L'affront de l’apron au préfet coordonnateur de bassin : impacts à Joyeuse (07)

L’apron ne remonte pas. Malgré la volonté administrative résultant du classement des cours d’eau en L2, il n’en a pas la capacité. Mais la loi exige qu’il remonte ! Le cours d’eau étant curieusement classé L2 (liste 2), le seuil de Joyeuse doit être "équipé" au titre de l’art L.214-17 CE. On imagine deux agents AFB, arme au poing (au lieu de s’occuper de biodiversité), intimant l’ordre à l’apron endormi de remonter le cours d’eau. Quel affront !
Il faudra de bonnes âmes pour fabriquer des preuves : les  capturer en aval, les relâcher en amont, pour enfin en attester la présence. C’est une pratique piscicole.

Ce dossier illustre, outre les erreurs manifestes d’appréciation, les effets pervers du classement des cours d’eau pour des espèces cibles qui devraient "circuler" selon l’article précité, alors qu’elles sont absentes du cours d’eau.
Le cas ne concerne hélas pas que l’apron
du Rhône (zingel asper).
Ce défaut de rigueur lors des classements précipités inflige pourtant des aménagements aux coûts exorbitants aux propriétaires-exploitants d’ouvrages.
Dura lex, sed lex.

Le syndicat de Rivières Beaume-Drobie, devenu EPTB de l’Ardèche, s’est donc investi tout seul de la mission et a lancé des études pour étudier. Et il paye. Et l’Agence de l’eau finance… mais pour quel résultat ?
Passons sur le volet très anecdotique de l’efficience des dépenses publiques.

Le seuil de la Tourasse à Joyeuse/Rosières: contexte hydromorphologique

La Beaume se caractérise par l’alternance de faciès lotiques et lentiques jusqu’à la confluence de la Drobie.

Un barrage en travers de la Beaume a été édifié, semble-t-il, sous  Henri IV, pour dériver l’eau dans un canal d’irrigation en rive droite juste en amont de dalles rocheuses (certainement pour s’y adosser ?).
Il s'agit d'un 
obstacle naturel composé d’affleurements de dalles calcaires gréseuses plus ou moins profondément entaillées de petits canaux étroits dans lesquels le courant s’accélère, avec une pente qu’il n’a pas rencontrée en aval constituent un obstacle naturel infranchissable à l’apron?
Aucune étude du syndicat de Rivières ne s’en est préoccupée (nous en avons pourtant trouvé d'anciennes).

En aval, c’est le domaine de prédilection de l’apron; en amont, il est disqualifié

Le profil en long de la Beaume, affluent de l’Ardèche, s’élève de 105 m en 21 km jusqu’à Joyeuse. La présence de l’apron y est avérée dans ces eaux plutôt paisibles. En amont, l’altitude grimpe de 385 mètres en 15 km. Le très discret apron a des capacités réduites en termes de nage/déplacement/franchissement.

Or, au droit des communes de Joyeuse/Rosières, la géologie fait la particularité et le charme du site : le cours d’eau dévale sur des affleurements rocheux. Ils ne représentent évidemment aucun obstacle hydrologique : l’eau, les sédiments et les poissons dévalent quoi qu’il advienne. Ils existent depuis des millénaires mais semblent bien constituer un obstacle pour certaines espèces piscicoles à la montaison?

Le syndicat de Rivières a-t-il étudié le sujet piscicole, les enjeux multicritères, avant de focaliser sur le volet administratif qui le fait vivre ?

Une passe à poissons innovante

Pour aménager un seuil de 1 m à 1,60 m de haut (entre la crête et le pied selon les endroits), la passe à poissons peut mesurer 15 à 20 mètres de long tout au plus. Le bureau d’étude a conseillé une passe à enrochements sur 35 m.
En clair et légalement : après avoir franchi une épreuve de 35 mètres en pente douce, l’apron doit pouvoir s’affranchir du barrage à la montaison.
Eh bien non : c’est notoirement inopérant à Joyeuse car il aurait dû affronter au préalable en aval, l’escalade des dalles rocheuses où les débits sont accélérés entre les rochers profondément érodés.

Conscient de cette épreuve due à un phénomène géologique, le bureau d’étude a proposé plusieurs scénarios… tous prolongés de 100 mètres, histoire d'équiper un obstacle naturel infranchissable à l’apron.

Nous sommes là dans une dérive interprétant la loi qui s’applique uniquement aux IOTA (Installations, ouvrages, travaux et aménagements) mais pas aux obstacles naturels.
L’argument des propriétaires d’ouvrages qui invoquent quelquefois un obstacle naturel en amont ou en aval de leur seuil est toujours balayé d’un revers de main par l’autorité en charge de l’eau qui réfute en bloc les obstacles naturels proches, les barrages EDF proches, les pollutions, l’absence d’espèces cibles, la charge spéciale exorbitante que le pétitionnaire est incapable de payer etc : « aménagez votre ouvrage, un point c’est tout » !

A Joyeuse, le syndicat de rivières s’autorise à proposer l’aménagement d’un obstacle naturel au frais du pétitionnaire. C’est innovant et sans fondement légal.
On s’interroge sur la pertinence du COPIL qui a "validé" au doigt mouillé les scénarios. Sans même évoquer les effets induits de ces scénarios: impact paysager, baignade, sécurité.
Les penseurs ne sont jamais les payeurs.

Au plan légal

1)    Nous ne nous opposons jamais  à la loi. Elle exige une passe à poissons au profit essentiel de l’apron, soit. Qu’une passe à poissons de 20 à 35 mètres (l’allonger, pourquoi pas s’il nage mal ?) soit édifiée pour satisfaire aux exigences légales : OK.
A condition que l’autorité en charge de l’eau contraigne au préalable l’apron, sanctions administratives, fiscales et pénales à l’appui, à accéder au pied de la passe à poissons qui lui sera dédiée.
C’est une image, mais un préambule strict que l’étude aurait dû étudier. A défaut, il n’y a aucune légitimité technique à engager des travaux onéreux en amont des dalles rocheuses si l'apron n'est pas capable d'accéder à la passe à poissons.

Si l’apron est d’intérêt général, les travaux dans les dalles rocheuses en aval de la Tourasse doivent être payés sur des fonds publics :

• avec une ACB (Analyse-coût-bénéfice) préalable, une étude d'impact suivie d'une enquête publique,

• au visa d’une analyse multicritères (le volet touristique constitue une richesse locale).

 

2)    Nous n’avons pas toutes les infox sur les conditions (menaces, désinformation…) adressées aux mauvais interlocuteurs (en l'occurrence les élus locaux) qui ont présidé à l’ouverture illégale de deux brèches sur un ouvrage privé sur un cours d’eau non domanial.
Un dossier de demande d’autorisation a-t-il été déposé à la préfecture par le syndicat de rivières (avec copie des récépissés de LRAR faisant foi) ? Sanctionné par un arrêté préfectoral autorisant les travaux ? A défaut, les travaux en cours d’eau menés par le Syndicat de rivières sont illégaux à bien des titres de la nomenclature et sont passibles de lourdes amendes et de sanctions pénales.

 

3)    Après que deux kayakistes chevronnés aient failli y perdre la vie, les brèches ont été rebouchées, par principe de précaution pour garantir la sécurité.
Le volet piscicole est une chose, mais il ne doit pas primer à notre sens le volet social et humain dans la prise de décision publique.

 

Discussion/conclusion


Pour l’instant l’affaire semble au point mort, poussée cependant par une Association locale qui s’indigne du traitement désinvolte de ce dossier qui :
• impacte la vie sociale, touristique, économique,
• fige les valorisations patrimoniale, environnementale et agricole.

Nous attendons l’épilogue.

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