Barrage portant une voie publique: qui est propriétaire?

Une voie de communication, devenue publique par l’usage au fil des siècles (c’est-à-dire par destination), empruntant le barrage d’un étang privé, emporte la propriété complète du barrage. Les propriétaires d’étangs sont la cible du Code de l’environnement. Ils subissent un marasme économique sans précédent et sont victimes d’une prédation devenue insupportable. Ils vont devoir désormais se préparer à se frictionner avec le droit de propriété. Non pas cette fois un droit qui leur serait supprimé, mais un droit nouveau qui leur serait offert : un cadeau empoisonné de devoirs qui ne leurs incombent pas dans une convention proposée par le propriétaire de la voie publique qui passe sur le barrage. Cette mode pourrait être contagieuse si elle n’est pas commentée: tout réside dans la rédaction de ce contrat avec les mêmes conséquences qu'entre les bons et les mauvais contrats.

Quelle est la situation juridique actuelle ? Quelle notion effective du droit ?
N’étant pas juriste, nous portons crédit aux témoignages oraux non équivoques et à la jurisprudence de cas tangibles.

En clair : l’usage du barrage par une voie publique emporte la propriété du barrage pour la Collectivité; l’étang et ses ouvrages hydrauliques associés en restent bien distincts (attachés au droit d'usage de l'eau).

En l’espèce, il y a donc bien deux propriétaires: le propriétaire de la voie publique et le propriétaire de l’étang ou du moulin.

1)    Le propriétaire de la voie publique est bien propriétaire du barrage, même s'il est édifié sur la parcelle cadastrale de l'étang.

Le Conseil départemental ne peut pas revendiquer, sur un remblai, la propriété de l’entier ouvrage jusqu’en pied de talus et sur un barrage de la même hauteur, prétendre qu'il ne serait propriétaire que de la chaussée sur quelques décimètres d’épaisseur. Par analogie, la propriété va aussi en pied de talus, c’est-à-dire en pied de barrage. Prétendre le contraire serait irrecevable(*).

Ce postulat ne semble pas avoir été contesté(**).

2)    Le propriétaire de l’étang reste propriétaire des ouvrages hydrauliques attachés au droit d’eau, c’est-à-dire vanne(s) ouvrière(s), vanne de fond, déversoir évacuateur de crue. C’est à lui et à lui seul de manœuvrer ces vannes (ou son représentant) et de les maintenir en bon état d'entretien.

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Où est donc le problème et de quoi s’agit-il ?
Les Conseils départementaux ont imaginé, depuis quelques années, proposer aux propriétaires d’étangs dont le barrage est emprunté par une voie départementale, la signature d’une convention précisant les droits et devoirs des parties, c’est-à-dire : le propriétaire de l’étang et le Conseil départemental.

La lecture de telles conventions est souvent consternante, spécieuse : elles bafouent la plupart du temps le droit et infligent des mesures qui n'avaient pas lieu d'être aux propriétaires, induisant une charge financière exorbitante ad vitam æternam. Rien de moins.

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1)    Le Conseil départemental  prend soin de ne jamais employer le terme "propriétaire du barrage"…un flou entretenu pour une convention censée clarifier et qui complique tout. Propriétaires de tout et de rien, dans un contentieux, le juge pourrait rendre les parties co-solidaires et on imagine mal comment il en serait autrement?

2)  Le Conseil départemental énumère et choisit ce qui serait sa propriété et accorde généreusement tout ce qui ne l'intéresse pas (ou qui engage trop sa responsabilité) au propriétaire de l'étang. Les conséquences peuvent être lourdes en termes de sécurité civile.
La convention transfère des charges qui ne sont pas du ressort du propriétaire de l'étang quand il n'y a pas de convention.

3)  Par contre, il instaure (à dessein ou par ignorance –au bénéfice du doute-) le statut de «copropriété forcée» ou d’«indivision forcée ». C'est un régime doctrinal d'indivision qui, précisément, déroge au régime de l'indivision légale prévue aux articles 815 et suivants du code civil. L'article 815 du code civil dispose en effet que « nul ne peut être contraint à demeurer dans I’indivision et le partage peut toujours être provoqué ». Or, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, « la qualification d'indivision forcée et perpétuelle s'applique aux biens indivis qui, ne pouvant être partagés et étant effectivement nécessaires à l'usage de deux au plusieurs autres biens appartenant à des propriétaires différents en constituent l’accessoire indispensable ». C'est donc le caractère d’ « accessoire indispensable » d'un ouvrage au bon fonctionnement de l'ensemble du barrage appartenant à des propriétaires différents, qui crée une indivision forcée et perpétuelle sur cet ouvrage, par opposition avec l'indivision légale qui est par nature temporaire. Dans ces conditions, les clauses de non-renouvellement de ladite convention apparaissent superfétatoires.

L’iniquité juridique selon le statut du propriétaire de la voie publique
Pour la même thématique, une petite commune sans l'assistance d'un service juridique par exemple, serait moins bien armée qu'un Conseil départemental. 

Cela créerait des distorsions du droit ? Des voies publiques sur des barrages à statuts variables ?

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Des conventions qui créent le droit
Dans le cadre de la GEMAPI et en termes de sécurité civile, des contraintes et des devoirs pèsent sur les ouvrages. Etudes et surveillance des barrages peuvent induire des charges financières importantes.

Si cette démarche de signer une convention faisait tache d’huile par mimétisme de département en département, le risque est de créer un droit stochastique s'inspirant de telle ou telle convention en guise de preuve.

Un piège inextricable si l'on n'y prend garde
Une convention risque de créer grief(***) au propriétaire de l’étang ; la signer, alors que rien ne l’y oblige, pourrait lui transférer une grosse partie des charges financières et des responsabilités. Surtout si ce mariage forcé, consenti à la signature, ne prévoit aucune possibilité de s’y soustraire.

Un vrai marché de dupes... sauf si la convention est précisément rédigée, dans le respect des obligations et droits des parties.

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(*) le Conseil d'Etat a exposé récemment: "qu'un mur destiné à soutenir une voie publique qui passe en surplomb d'un terrain privé, constitue l'accessoire de la voie publique et présente le caractère d'un ouvrage public, alors même qu'il serait implanté dans sa totalité sur le terrain privé". Ce qui signifie, par analogie avec un barrage, que les parements amont et aval constitueraient l'accessoire de la voie publique et présentent le caractère d'un ouvrage public.

(**) vos contributions nous seraient précieuses sur des cas analogues ? une jurisprudence ? oce2015(a)gmail.com

(***) pour qu'une convention ne créée pas grief, il suffit qu'elle soit bien rédigée; dans ce cas, la démarche peut être intéressante.

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