La destruction des vannages des moulins

Nous reproduisons in extenso sans même avoir besoin de le commenter, un témoignage de 2003, d’André Rivière, pêcheur émérite sur la Bresles.

Cette destruction entraînera des conséquences néfastes et irréversibles sur l'hydraulique des rivières : aggravation des phénomènes de crues provoqués par un écoulement accéléré vers l'aval et étiages sévères en amont en cas de déficit pluvial.

 

Effets indésirables suite à la destruction d'un vannage:

            -accélération du courant,

            -diminution de l'épaisseur de la lame d'eau,

            -écroulement  et modifications des berges,

            -formation d'embâcles,

-disparition d'une partie de la flore; à cause de la puissance du courant, elle ne peut plus s'enraciner,

-formation de concrétions calcaires,

-comblement des fosses,

-oxygénation réduite,

-banalisation du cours d'eau,

-auto-épuration compromise.

 

La disparition des vannages, par l'accélération du courant et la réduction de l'épaisseur d'eau provoquera la réduction de la nappe de surface (aquifère) et entraînera la mise en place de nouveaux écosystèmes et des dérives benthiques préjudiciables à la vie des poissons.

En effet, la nappe aquifère, par le système des vases communicants à travers le ballast, par le transfert Rivière-nappe et inversement Nappe-rivière, sera réduite, hypothéquant par là même la recharge de la nappe phréatique.

 Les vannages permettent de stocker l'eau dans des zones humides ou inondables recensées préalablement afin de préserver  des inondations en aval. Il est évident que l'amont doit retenir les eaux de ruissellement et servir de rétention pour éviter que l'aval ne subisse de graves inondations.

 Comment faire sans vannages?

La pollution mécanique engendrée par la disparition des vannages entraînera de graves désordres dans le lit mineur des rivières, désordres préjudiciables aux biocénoses (êtres vivants d'un cours d'eau).

L'eau stockée dans les zones inondables et dans la nappe aquifère permet en période de déficit pluvial d'assurer, par le transfert nappe-rivière, un débit correct aux cours d'eau et évite un assèchement trop rapide.

 La vitesse de réaction des cours d'eau aujourd'hui en cas de fortes pluies, ou inversement en période de déficit pluvial, est devenue telle que les vannages assurent un rôle régulateur indispensable, en régularisant le débit sur l'ensemble du cours d'eau.

 Les nécessités à propos des crues et inondations.

Il est indispensable de traiter les problèmes liés aux méthodes culturales; la disparition des pâturages au profit des terres cultivées, la plantation de maïs en zones humides, le labourage dans le sens de la pente, la suppression des haies, le drainage des terres remembrées…, ont modifié l'équilibre écologique. Auparavant les pâturages évitaient les problèmes de ruissellement; à contrario, la culture du maïs qui forme de véritables couloirs à eau favorise, lorsqu'il pleut, la formation de torrents de boue qui finissent dans les rivières et accélèrent l'érosion. De plus, ces torrents de boue réduisent la section mouillée des cours d'eau; les eaux, arrivant plus vite et en plus grande quantité ne trouvent plus leur passage initial et se répandent donc comme elles peuvent, où elles peuvent.

 En cas d'inondation, il est plus facile et plus rapide d'incriminer les vannages que de traiter les véritables causes et les problèmes qui en découlent. S'attaquer au lit mineur des cours d'eau n'arrangera rien tant qu'on y implantera des zones industrielles et commerciales, lotissements, zones d'activités, qui, de plus, imperméabilisent les sols, et augmentent encore les risques.

 Même si quelques vannages posent problème à cause du manque d'entretien, et si les autres n'ont pas été conçus pour les débits que l'on observe maintenant, nous sommes conscients que des aménagements sont nécessaires, mais l'arasement (ou le dérasement) ne fera qu'augmenter les problèmes.

 On ne peut raisonnablement, de nos jours, dans un environnement industrialisé, urbanisé laisser divaguer un cours d'eau. Il faut donc maîtriser l'écoulement et les ruissellements afin de faciliter la pénétration de l'eau dans les nappes aquifères et phréatiques. Dans le lit des rivières, les vannages sont une nécessité absolue pour la maîtrise de l'eau.

 Conséquence de la disparition des vannages sur la flore et la faune.

Sur la petite faune en particulier à cause de la raréfaction des herbiers (renoncules, callitriches…) véritables supports vitaux pour les éphémères à larves nageuses (Baetis, cloëons…) ces espèces ont pratiquement disparu de nos rivières; ces éphémères précoces (février, mars, avril) permettaient aux truites, après le frai et l'hiver, de se refaire une santé. Habitat aussi des gammares qui donnaient à nos truites cette chaire saumonée si appréciée. La lenteur du courant liée à une qualité d'eau exceptionnelle, filtrée et oxygénée par les herbiers et les vannages (photosynthèse) permettait une prolifération de ces espèces pour le plus grand bonheur des truites, leur donnant une croissance rapide. Les mouches de mai (ephemera Danica et vulgata) larve fouisseuse creusant leurs galeries dans le limon, si elles existent encore, ne sont plus aussi nombreuses qu'autrefois: cette richesse dépendait du biotope favorable crée par l'existence des vannages et moulins, ainsi que d'une eau non polluée;

Les anciens se souviennent des densités incroyables de truites, de leur croissance spectaculaire. La souche de truites normandes, adaptée au régime régulé des vannages, a fait la réputation mondiale des cours d'eau normands (Andelle, Lieure, Risle, Iton, Charentonne, Bresles…) Tous les plus grands écrivains halieutiques fréquentaient assidûment les rivières normandes et ont laissé des comptes-rendus émerveillés (de Boisset, Ch. RITZ, Burnand, Petit…). Certains parcours étaient loués à prix d'or à des anglais, des australiens, des américains,…La destruction des vannages, contrairement aux propos de certains, sonnera définitivement la disparition des dernières truites sauvages normandes. Des spécialistes ont constaté que plus on détruit de vannages, moins il y a de truites, d'éphémères et d'herbiers. Nous sommes témoins de cette situation en parcourant tous les ans, une canne à mouche à la main, les berges de nos cours d'eau. Les crues brutales, non maîtrisées par les vannages, en période de frai, détruisent les frayères, compromettant ainsi la pérennité de l'espèce. La réduction d'épaisseur d'eau et l'accélération du courant provoquent le colmatage des fonds, réduisent les zones de frai et obligent les poissons à fournir des efforts préjudiciables à leur croissance, en plus de la raréfaction de la nourriture. La suppression de sous-berges et d'herbiers ne permettront plus aux poissons de se protéger des prédateurs (hérons, cormorans, braconniers…) La réduction d'épaisseur d'eau changera les populations de truites: ce ne sont pas les mêmes poissons qui vivent dans 10/20 cms d'eau que dans 50/60 cms.  

En conclusion, les vannages bien plus nombreux auparavant avaient créé un biotope très favorable à la formation de biocénoses. La symbiose de ces éléments donne des écosystèmes très riches dont la truite de souche normande fait partie intégrante.

 Depuis des siècles, les vannages produisant l'énergie nécessaire aux activités humaines étaient ouverts du lever au coucher du soleil, le dimanche, et les déversoirs étaient en eau de quelques centimètres: les poissons pouvaient donc circuler. (Il est important de rappeler que les règlements anciens prévoyaient que la longueur des déversoirs devait être de la même largeur que la rivière. Cette précaution évitait les inondations.)

 Les entraves à la libre circulation des migrateurs que posent les vannages ne sont rien comparées aux massacres (civelles, saumon, truites de mer) qui ont lieu dans les estuaires, mais il semble plus facile et apparemment plus médiatique de s'attaquer à quelques propriétaires de vannages qu'aux véritables causes de ce problème; la libre circulation ne se limite pas à la rivière, mais va des frayères aux zones d'engraissement (Groenland, îles Féroé…) et de celles-ci aux frayères. Il est utopique de croire que des poissons nés dans une rivière en remonteront une autre parce qu'elle n'offre pas de difficultés à leur circulation; un migrateur né sur une frayère ne reviendra pondre que sur celle-ci, étant programmé génétiquement. Deux scientifiques irlandais, Sara Mc EVOY et Dick TRACY, travaillant dans le CONNEMARA sur la migration des saumons et des truites de mer ont prouvé que jamais un migrateur ne remontait une autre rivière que celle où il était né, et qu'il ne remontait pas plus haut que sa frayère d'origine, au-delà de laquelle il perdait tout sens migratoire.

Il est donc illusoire de croire ou de faire croire que des rivières ou partie de rivières seront colonisées par des saumons ou truites de mer qui ne les ont jamais fréquenté, parce que l'on supprimerait les vannages. La diminution de l'épaisseur d'eau provoquée par la disparition des vannages est bien plus préjudiciable à la libre circulation et au stationnement des migrateurs.

 En plus de tous ces facteurs (hydrauliques, physiques, piscicoles), les vannages et moulins constituent un patrimoine unique et inestimable. Les anciens qui ont domestiqué les cours d'eau pour se servir de la force hydraulique avaient une connaissance des rivières, et de la nature en général, qui reposait sur un savoir ancestral qui force l'admiration: les vannages étaient construits selon des règles très précises qui, sauf catastrophe naturelle, ne pouvaient pas provoquer d'inondation (Cf. la circulaire ministérielle de 1851 qui indiquait aux préfets, de façon très précise, les procédures à respecter pour implanter les vannages.). Ils assuraient l'énergie et l'irrigation agricole, en même temps qu'ils empêchaient la divagation des cours d'eau. La démolition des vannages nous exposerait à des conséquences que personne aujourd'hui n'est  capable de prévoir, outre qu'il nous priverait de la mémoire historique et patrimoniale.

 La baisse du niveau d'eau et l'accélération de celle-ci peuvent provoquer des dégâts très importants sur les fondations de bâtiments ou de ponts et miner l'urbanisme de zones entières.

  Si certains décideurs se permettent maintenant de ne pas en tenir compte, ils mettront en péril le devenir des rivières et cours d'eau dont ils sont les garants officiels.

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