Restauration de rivière: quel avenir pour une illusion ?

{CAPTION}A chaque fois que l’homme a aménagé un cours d'eau (pour sa survie depuis des millénaires et sa prospérité à partir du 19ème siècle), il a inévitablement engendré une perte et un gain en termes d’écosystème et de biodiversité. Sylvain Rotillon, ancien responsable de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, spécialiste de la question du risque, Directeur du Syndicat mixte du bassin versant de la Bièvre (SMBVB), livre une intéressante tribune sur les "illusions de la renaturation" dans la Gazette des communes. A l'heure où chaque syndicat de rivière ou presque reçoit un financement de son Agence de l'eau pour un reméandrage "vitrine", les vues de l'auteur devraient inciter à réflexion. Extraits et commentaires.


Sylvain Rotillon évoque d'abord le passage de l'idéal de maîtrise hydraulique à celui de restauration écologique. "Pendant des décennies, l’aménagement des cours d’eau a consisté à essayer de les transformer en canaux. Une bonne rivière était une rivière droite, rectiligne, qui ne perdait pas son temps à méandrer, à se diviser. Une rivière droite, ça permettait d’évacuer les eaux plus vite, ça facilitait les opérations de remembrement en alignant les parcelles, ça libérait de la place pour construire. (…) On se lance désormais dans des opérations inverses. Quand c’est possible on découvre la rivière, on supprime le béton des berges, on laisse revenir la végétation. On
renatureʺ les cours d’eau. On les restaureʺ.

La rivière-vitrine des imaginaires appauvris 
L'auteur pointe ensuite l'ambiguïté de la démarche, dont le présupposé implicite est l'existence d'un état originel et intangible du cours d'eau. Le fait même de parler de restaurationʺ pose question. Restaurer un objet, c’est chercher à lui redonner son aspect originel. Dans le cas d’une rivière cette notion est très ambiguë car l’état originel reste à définir. Par nature, une rivière est mobile, en équilibre dynamique, en interaction avec le milieu dans lequel elle s’écoule, avec le contexte climatique et les actions anthropiques sur son bassin."

Le problème est notamment que la renaturation s'inspire d'un idéal assez naïf et appauvri de la rivière, voire d'une muséification assez comparable à ce qui s'est observé dans le domaine de la culture : "Ces restaurations sont confiées à des bureaux d’études qui insidieusement sont en train de vendre un modèle de rivière, celle que les enfants dessinent spontanément : avec des méandres. Une rivière restaurée se doit d’avoir des méandres pour faire naturel. On voit ainsi se multiplier des rivières paysagées qui doivent répondre à un canon esthétique correspondant à notre imaginaire. Comme la loi Malraux a imposé des centre villes standardisés, figés dans une époque historique pseudo-médiévale n’ayant jamais existé, l’ingénierie écologique nous façonne des rivières génériques, des anatopismes, comme nos centres sont anachroniques (…) On ne pense pas le lieu, on l’imagine, mais avec une imagination d’une extrême pauvreté ; ça traduit le fait que la géographie est une discipline sacrifiée, mal enseignée, mal considérée."

Sylvain Rotillon pointe que cette "nature renaturée" à grand renfort d'ingénierie palliative, consécutive à une perte des savoir-faire et de bon sens, témoigne, malgré ses bonnes intentions, de la rupture entre les gens et les lieux: "Ceci reflète un lien avec la nature totalement rompu, reposant sur des idées toutes faites de ce que doivent être les objets géographiques."

Plusieurs travaux scientifiques récents confirment le point de vue de l'auteur, comme ceux de Laurent Lespez sur la renaturation des rivières de l'Ouest ou encore la tribune de cinq chercheurs s'alarmant de la standardisation des travaux en écologie de la restauration (notamment le cas particulier des reméandrages) et du risque de développer des chantiers coûteux sans gains majeurs ni durabilité réelle (Hiers et al 2016).

Le problème va au-delà de la restauration morphologique pointée par Sylvain Rotillon dans sa tribune: par exemple, l'idée que chaque rivière posséderait un "état de référence" sur son peuplement (critique de Bouleau et Pont 2015) et pourquoi pas selon certains une "biotypologie théorique" fixant la qualité et la quantité de chaque espèce supposée s'y trouver, participe du même fantasme de surveillance, de contrôle et d'assignation. Non seulement la rivière va méandrer, mais elle aurait son quota garanti de poissons et d'insectes…qu’elle avait peut-être déjà ?

Fragmentée puis défragmentée, aménagée puis désaménagée, rectifiée puis reméandrée, dénaturée puis renaturée… l’homme ne laissera jamais tranquille la rivière. Il l’a aménagée par réels besoins, il tente de la réaménager pour compenser ses fautes expiatoires en s’imposant une souffrance pécuniaire. La pelle mécanique des années 1970 s'assumait comme utilitaire et anthropocentrée, celle des années 2010 se prétend savante et écocentrée. Elle n'en reste pas moins une pelle mécanique avec ses impacts négatifs, qui rend la démarche suspecte aux moins sceptiques.

La réussite comme l'échec confirmeront le présupposé initial, ce qui est le propre des croyances.

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Là où le bât blesse, en dix points

Le souci n'est certes pas dans la finalité de l'action inspirée par l'écologie des milieux aquatiques : qui souhaite une eau polluée ? Qui souhaite une pénurie d’eau ? Le gros problème réside plutôt dans la méthode:

·                     l'historicité du vivant (soit la plus grande leçon de la théorie de l'évolution) est niée au profit d'une naturalité idéale et intangible, comme si on pouvait retrouver et figer un état d'équilibre perpétuel de la rivière et de son peuplement, 

·                     la démocratie participative ne concerne pas la politique de l'eau: la capacité des citoyens à décider réellement des environnements où ils veulent vivre est éliminée au profit de processus impersonnels, abstraits et lointains de normalisation, délimitant strictement les options discutables,

·                     le dogme actuel fait l’impasse totale sur la gestion quantitative de l’eau. Il a fait grief en stigmatisant les ouvrages en dérivation de cours d'eau au profit de retenues collinaires alimentées par des forages de plus en plus profonds ponctionnant les nappes phréatiques,

·                     l'identité de chaque rivière est effacée au motif qu'il faudrait, pour des raisons manichéennes, standardiser les diagnostics comme les solutions sans en étudier les singularités,

·                     la planification publique (politico-administrative) vise des objectifs courts en affichant des certitudes fortes, deux postures peu compatibles avec une écologie scientifique soulignant la complexité et la faible prédictibilité de la réponse des milieux aux changements,

·                     les gestionnaires publics improvisent, happés par les contraintes de mise en œuvre et de rapportage dans un cadre réglementaire complexe et instable,

·                     les bureaux d’études émergeants, reniant leur indépendance, perdent toute capacité de distance critique vis-à-vis des postulats produits par la technostructure de l'ingénierie écologique, diagnostiquent ce que le catéchisme leur dicte…dans l’unique espoir de prochaines missions,

·                     les gestionnaires privés, harcelés, menacés de sanctions administratives, de sanctions pénales, de sanctions financières et de peine de prison, ne savent plus à quels saints se vouer ; la plupart courbe l’échine et ne fait rien (contrairement à l’effet escompté), les uns cèdent au chantage à la subvention et consentent à détruire leur patrimoine...d’autres résistent.

·                     les entreprises du BTP voient un effet d'aubaine ; elles ont été missionnées pour la détérioration des milieux (combler les mares, assainir 90% des zones humides, araser les haies, défricher les bosquets et rectifier les cours d’eau), les voilà mobilisées pour leur restauration.

·                     la quadrature peu vertueuse du cercle : l'euro consacré à ces travaux n’a pas d’impact significatif sur l’emploi et personne n’a étudié les hypothétiques gains environnementaux.

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Illustration : exemple de reméandrage par la société d'éco-ingénierie Cbec (tous droits réservés). Des arbres adultes ont été coupés, d’autres seront probablement replantés : dans combien d’années assureront ils les mêmes services environnementaux ? Les pelleteuses ont détruit la micro faune du sol : dans combien de temps se reconstituera-t-elle ? Quelles espèces protégées ont été détruites ? Quelle est la perte en termes de biodiversité ? Quel est le gain escompté ? Quels sont les impacts foncier et agricole ?

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