Continuité écologique: un rapport parlementaire appelle à réviser la politique de l'eau. Mais qui décide vraiment en France ?

Le choix de la continuité écologique porté par l'administration française doit se mettre en cohérence avec les autres politiques nationales et européennes. Il souligne des sur-transpositions du droit européen qui rendent tabou la création de plan d'eau nonobstant les besoins en eau, des coûts exorbitants de travaux (100 millions € par an) pour des enjeux biologiques non avérés, ainsi que l'entrave à l'hydro-électricité, une énergie bas-carbone qui pourrait être favorisée dans le concept de la transition énergétique. L'opposition entre l'eau (laquelle et pour qui ?), l'énergie et la biodiversité est qualifiée de "stérile et artificielle". Ce même rapport constate le retard français au sujet des pollutions.
Mais qui décide vraiment en France? Les élus ou une administration qu'ils ont mis en place? Les citoyens savent que l'administration n'a pas de légitimité démocratique à imposer ses diktats comme c'est le cas depuis 12 ans.
Les parlementaires expriment une position pondérée de conciliation et priorisation des enjeux, alors que leur administration milite sur des vues radicales de destructions de sites hydrauliques (que la loi n'exige pas),  doctrine n'apportant aucune preuve que les bénéfices l'emporteraient sur les inconvénients.
Ce rapport semble d'autant plus impartial qu'il n'a manifestement pas dû être inspiré par les propos des personnes consultées.

Les députés Jean-Claude Leclabart et Didier Quentin viennent de déposer un rapport d'information sur la politique européenne de l'eau à la commission des affaires européennes. Ce rapport est centré sur les cours d'eau et la mise en oeuvre de la directive cadre européenne de 2000 (DCE 2000), qui est actuellement en phase de bilan et révision à Bruxelles.

Une politique de l'eau confrontée à de nouveaux défis
"Nous sommes aujourd’ hui à un moment charnière pour la politique européenne de l’eau : l’Union européenne s’est engagée dans l’évaluation ou la révision de pans entiers de sa législation en la matière. Compte tenu de cette actualité et de l’ampleur du sujet, vos rapporteurs ont fait le choix de se concentrer sur les enjeux liés à la préservation des eaux douces.

Les nouveaux défis auxquels est confrontée l’Union européenne imposent en effet un réexamen de la politique de l’eau. Le premier de ces défis est le dérèglement climatique. Près d’un tiers du territoire de l’Union européenne est d’ores et déjà exposé à un « stress hydrique », et les dangers liés au manque d’eau – sécheresses – ou à son excès – inondations – risquent de s’accroître, dans les décennies à venir.

Le deuxième défi porte sur la qualité de la ressource : l’émergence des nouveaux polluants, comme les micro-polluants et les perturbateurs endocriniens, susceptibles d’interférer avec le système hormonal, constituent un défi de taille. Les principales difficultés, à cet égard, sont la détectabilité de certaines substances, ainsi que l’incertitude sur les seuils de toxicité et le manque de connaissance des effets «cocktails» (liés au mélange de substances).

Le troisième défi provient de la pression croissante de l’opinion publique, qui demande un meilleur accès à la ressource et davantage de transparence sur la qualité de l’eau. 

Enfin, s’il est opportun de réexaminer le cadre législatif et réglementaire de l’Union européenne spécifiquement lié à l’eau, il convient de rappeler que l’état de la ressource est étroitement corrélé à l’évolution d’autres politiques européennes. À cet égard, la politique de l’eau ne dépend pas uniquement de l’eau : elle dépend également de la politique agricole commune, énergétique, climatique et, plus largement, économique. 

Sur-transpositions, complexités, coûts, blocage de l'hydro-électricité
Ce rapport comporte plusieurs critiques de la continuité écologique "à la française" qui  a créé depuis 10 ans de nombreux problèmes autour de la question des ouvrages hydrauliques.

D'abord, le problème de l'arbitraire réglementaire et de la "sur-transposition par interprétation" de règles européennes. Il est souhaité que la Commission européenne clarifie cette question:

"la notion de «continuité écologique», qui n’est pas définie de la même façon selon les États membres. En France notamment, les projets de retenue d’eau se heurtent très fréquemment à des blocages au niveau local: la possibilité de déroger à la directive est sous-utilisée, en raison notamment de l’interprétation du principe de non-détérioration par les pouvoirs publics, confortés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il serait opportun que la Commission définisse plus clairement la notion de continuité écologique et établisse un guide des bonnes pratiques en la matière."

Ensuite, le conflit de cohérence entre les politiques de l'eau, de l'énergie et du climat:

"La politique énergétique et la politique de l’eau souffrent, à certains égards, d’injonctions contradictoires. L’objectif de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et le paquet « climat-énergie » imposent aux États membres de développer les énergies renouvelables. Or l’interprétation du principe de continuité écologique peut conduire à une réduction du potentiel de développement de l’hydroélectricité, en bloquant les projets de barrage. Selon le Cercle français de l’eau, en France, la liste des cours d’eau à équiper et le coût des équipements exigés sont hors de proportion avec les enjeux biologiques : les actions en faveur de la continuité écologique auraient coûté 100 millions par an, depuis 2008, à la profession hydroélectrique.
À notre sens, cette opposition entre eau, énergie et biodiversité est stérile et artificielle : l’atténuation du changement climatique est indispensable pour préserver la biodiversité. Les impacts positifs de l’hydroélectricité sur la biodiversité et le changement climatique doivent être pris en compte. Dans ce contexte, il convient de fixer des priorités et de rechercher les solutions les plus efficaces, au coût le plus acceptable, en fonction des spécificités locales.
Il convient de faciliter le développement de barrages hydroélectriques, lorsque les bénéfices environnementaux, notamment en matière de réduction de gaz à effets de serre, sont supérieurs aux coûts."

Nous rappelons à ce sujet que :

  • la solution à moindre impact environnemental est d'équiper d'abord les barrages existants, ce qui ne crée pas de changements morphologiques sur le milieu en place (parfois depuis des siècles), soit le contraire de la politique actuelle de destruction soutenue par le Ministère, les agences de l'eau, l'Office de la biodiversité (ex Onema-AFB) et les services déconcentrés,
  • rien que pour les moulins, il existe un potentiel d'environ 25 000 sites pouvant produire (voir Punys et al 2019), auxquels s'ajoutent tous les barrages non équipés ayant d'autres usages (navigation, irrigation, eau potable)
  • ces choix doivent avoir des traductions concrètes dans l'évolution des schémas locaux de type SDAGE, SAGE et SRADDET, car la politique nationale et européenne bas-carbone est entravée par des orientations contradictoires, cela alors que les programmations administratives locales ne disposent pas de la légitimité démocratique ni de la même force normative que des lois françaises et des directives européennes.

La politique française de continuité, contre-exemple d'écologie dogmatique et technocratique
La continuité écologique en France n'a pas posé problème sur son principe initial (rétablir une fonctionnalité de franchissement au droit de certains ouvrages), mais sur les innombrables dérives de sa mise en oeuvre depuis le plan gouvernemental PARCE 2009:

Si la continuité écologique a été reconnue comme l'une des politiques les plus contestées du ministère de l'écologie, ce n'est pas sans raisons : un discours partial a été adopté. Quelques responsables ont prétendu imposer leurs vues par la contrainte, de manière globale, technocratique et jacobine sans jamais tenir compte des objections formelles des usagers, des attentes des riverains, ni des expertises que la puissance publique aurait dû considérer.
C'est un échec, mais de cet échec doivent être enfin tirés des enseignements politiques sur la manière de construire et appliquer les choix publics à l'aune de l'intérêt général.

Source : Jean-Claude Leclabart et Didier Quentin  (2019), Rapport d'information n°2495, Politique européenne de l’eau

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