Les alevinages des pêcheurs influencent davantage la génétique des poissons que les ouvrages hydrauliques (Prunier et al 2018)

Des chercheurs français ont étudié la structure génétique des goujons et des vairons du Célé et du Viaur, deux rivières du Sud-Ouest de la France. Ils concluent que les facteurs naturels (topologie du réseau hydrographique) restent déterminants pour expliquer les variations observées. Au sein des impacts humains, les ouvrages hydrauliques pourtant anciens et nombreux ne montrent pas d'influence cohérente, ce qui interdit toute généralisation à leur sujet. Amusante découverte : les empoissonnements pour la pêche ont une influence génétique plus notable que les ouvrages. Séparer en France les questions halieutiques et écologiques devient un enjeu de plus en plus manifeste, car la pêche est avant tout un usage des milieux ayant des impacts, et ses instances n'ont plus la capacité de développer des méthodes conformes à l'évolution rapide des connaissances en écologie des milieux aquatiques.

La diversité génétique des poissons est connue pour être affectée par de nombreux facteurs, le premier d'entre eux étant naturel : l'organisation en réseau des écoulements hydrographiques, pouvant isoler des branches de ce réseau en pools reproductifs autonomes, du moins à moindre fréquence d'échanges, ainsi que faire varier les structures génétiques de l'amont et de l'aval. Des facteurs anthropiques peuvent également influer sur cette diversité. Parvenir à pondérer ces facteurs naturels et humains permet une meilleure compréhension de l'évolution des lignées locales de poissons, le cas échéant une meilleure anticipation de leur capacité future d'adaptation (par exemple au changement climatique).

Jérôme G. Prunier et ses collègues (Station d’écologie théorique et expérimentale UMR 5371, Institut méditerranéen de biodiversité  et d’écologie marine et continentale UMR 7263, Laboratoire évolution et diversité  biologique UMR 5174) ont étudié les rivières Célé et Viaur dans le bassin Adour-Garonne. Les superficies de bassin versant (1350 et 1530 km2) et les linéaires (136 et 168 km) de ces cours d'eau sont comparables, mais la topologie du réseau hydrographique, la fragmentation par les ouvrages humains et le usages des sols diffèrent, ce qui permet des comparaisons.

Les chercheurs ont étudié deux poissons largement distribués dans le Sud-Ouest : le goujon du Languedoc (Gobio occitaniae) et le vairon (Phoxinus phoxinus). Plus d'une vingtaine de sites (22 et 25) ont été choisis sur chaque rivière, à des emplacements permettant de caractériser par ailleurs des variables d'intérêt de l'environnement. Des marqueurs microsatellites (11 pour le goujon et 16 pour le vairon) ont été isolés pour quantifier trois indices de diversité génétique : la richesse allélique, la richesse allélique privée et l'unicité génétique.

Les prédicteurs environnementaux de la diversité génétique retenus dans cette étude ont été formés de 18 variables répartis en 4 familles : caractéristiques naturelles de la rivière, fragmentation humaine du lit mineur, usage des sols en proximité du lit et probabilité locale d'influence des empoissonnements pour la pêche.

Les principaux résultats sont les suivants :

  • les caractéristiques naturelles du réseau hydrographique (notamment la place dans le gradient amont-aval) sont le premier prédicteur de la diversité génétique des poissons, avec un poids 1,82 fois supérieur à l'ensemble des facteurs anthropiques,
  • parmi les facteurs anthropiques, seul l'empoissonnement de pêche a une influence forte et consistante, notamment sur les goujons,
  • la distance de circulation (home range) entre deux obstacles a montré des influences sur la richesse allélique des goujons dans le Viaur et dans une moindre mesure des vairons dans le Celé,
  • le taux d'urbanisation à 2 km de la station influence l'unicité génétique.

Les auteurs soulignent que "les influences locales de la dégradation et de la fragmentation sont spécifiques à chaque rivière et à chaque espèce, variant parfois même au sein du même lit mineur, ce qui interdit toute généralisation".

Et ils concluent : "la structure naturelle des réseaux et l'empoissonnement de pêche influencent fortement les caractéristiques spatiales de la diversité génétique selon une direction prévisible, alors que l'influence des autres activités humaines peut être plus difficile à prédire selon les espèces et les contextes".

Discussion
> Cette étude sur la génétique des poissons du Célé, du Viaur  (intuitivement, c'est le même phénomène pour les autres rivières) rejoint de nombreuses conclusions montrant que les variations observées dans les cours d'eau restent difficiles à prévoir : les modèles n'expliquent qu'une part de la variance, et la diversité des résultats indique la forte influence des contextes et de l'histoire de vie propre à chaque hydrosystème ou plus précisément à chaque traitement anthropique qu'on lui inflige. Cela doit inciter le gestionnaire public à se défaire de l'idée que des règles simples et uniformes pourraient s'appliquer dans tous les cas de figure. On ne fera de la bonne écologie qu'avec une étude rigoureuse de chaque rivière en son bassin versant ce qui prend certes du temps (et coûte de l'argent) mais qui évite d'engager des programmes inadaptés aux enjeux locaux et peu susceptibles d'obtenir des résultats significatifs.

> Un peu d'observation et de mémoire: l'influence des alevinages, empoissonnements et bassinages en provennance des piscicultures comme cause anthropique la plus impactante de certains changements génétiques locaux, ne vient pas commune une surprise. Depuis les 30 glorieuses et l'avènement de la pêche de loisir, les cours d'eau ont été considérés comme un "support" aux activités halieutiques. Il n'y a eu à l'époque, aucune considération particulière pour les peuplements piscicoles en place, encore moins pour les "souches" devenues une réminiscence des souvenirs des pêcheurs. L'écologie n'existait pas. Le seul objectif était, par des déversements massifs, la satisfaction du pêcheur. La génétique dans les piscicultures n'était pas encore un sujet: la quantité et le prix/kg primaient.

On peut en tirer certaines conclusions institutionnelles:

  1. Il est regrettable, d'une part que la pêche de loisir en France soit quasiment le seul usage de l'eau, bien commun, à ne pas faire l'objet d'un programme systématique d'évaluation de ses impacts biologiques et écologiques.
  2. Il est regrettable d'autre part que l'approche globale des connaissances des milieux aquatiques et des méthodes sectorielles invoquées par les pêcheurs n'aient jamais été en phase avec l'écologie,
  3. Il est anormal que cette location d'un milieu naturel jouisse encore d'une préséance particulière en gestion prétendument écologique des milieux aquatiques. Cet héritage par défaut d'après guerre, ne devrait plus être aujourd'hui, car les résultats environnementaux depuis la prise du bail n'y sont pas.
  4. il est un exemple unique (?) vicié, de position dominante, où une Fédération perçoit d'un côté (cartes de pêche), encaisse de l'autre, gère un milieu naturel à son seul profit, est locataire d'un bien public sans verser 1 € de loyer mais encaisse de confortables subventions locales, départementales et nationales, dicte en outre  sa loi sur la gestion des cours d'eau et verse en prime une lecture univoque sur les dossiers des porteurs de projets privés. Qui dit mieux en termes de dictature de l'eau?

Référence : Prunier JG et al (2018), The relative contribution of river network structure and anthropogenic stressors to spatial patterns of genetic diversity in two freshwater fishes: A multiple-stressors approach, Freshwater Biology, 1, 6-21

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