Les résultats inconsistants des restaurations de continuité écologique imposent des suivis et analyses coûts-bénéfices (Mahlum et al 2017)

 La restauration de "petite continuité" des cours d'eau consiste à aménager des obstacles à la migration des poissons. Une équipe de chercheurs canadiens, soulignant le coût cumulé important de ces travaux de restauration écologique, a voulu vérifier si les chantiers ont une efficacité réellement démontrée. Leur analyse avant/après impact conclut que les résultats sont mitigés, avec des cas d'amélioration et d'autres de dégradation. Les quelques retours d'expérience sérieusement étudiés au plan scientifique aboutissent souvent à de telles conclusions équivoques. Au lieu de dépenser chaque année des centaines de millions € d'argent public en restauration physique (le coût public total du seul classement de continuité dépassera les 2 milliards €), il serait urgent de rehausser le niveau qualitatif du programme français, déjà de mener des campagnes rigoureuses de suivi avant/après et surtout d'engager une analyse coût-bénéfice.
Or, les modus operandi n'y concourent pas:  les Agences de l'eau subordonnent l'octroi de leurs subventions aux syndicats de rivière (études et travaux) a un diagnostic prédéfini: "priorisation à l'arasement des ouvrages". Il n'est donc pas curieux que dans ces "études" (s'apparentant plus à une propagande servant l'hypothèse initiale) qu'il n'y ait jamais place pour une analyse exhaustive préalable "coût-bénéfice". Elle risquerait de contrarier les postulats.

Shad Mahlum et ses collègues ouvrent leur article par un constat désormais partagé par la communauté scientifique en écologie de la restauration et de la conservation : "La restauration écologique et environnementale peut être coûteuse, et une certaine certitude de succès est donc désirable".

La restauration des continuités (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) fait partie des mesures ayant émergé ces dernières décennies en aménagement des milieux aquatiques. Contrairement à des choix environnementaux de prévention traitant des impacts à la source, par exemple en interdisant des substances ou en contrôlant leur émission, la restauration physique est une tâche complexe et coûteuse, à la fois par le très grand nombre de milieux concernés et par la lourdeur des interventions sur le bâti existant, en lit ou en berge.

Hélas, si les effacements de grands barrages s'accompagnent parfois de suivis scientifiques ambitieux, les travaux plus modestes mais bien plus nombreux de continuité en rivière sont souvent négligés sur ce point : "Dans les petites structures telles que les buses, les ressources sont rarement mobilisées pour évaluer le résultat biologique de ces interventions, soulignent les scientifiques. C'est dommage vu que ces structures sont ubiquitaires et que les études d'impact des activités de restauration sont indispensables pour établir les bonnes pratiques, préciser les espérances de succès de la restauration et comprendre l'analyse coût-bénéfice des différentes approches de la restauration".

L'étude canadienne a concerné 4 sites de tête de bassin, des petits cours d'eau fragmentés par une buse assurant un passage routier (ponceaux). A chaque fois, le site restauré a été comparé à un tronçon naturel présentant les mêmes caractéristiques. Les restaurations avaient consisté à ajouter des déflecteurs pour limiter la vitesse et varier l'écoulement, ou à construire un second passage.

Les chercheurs souhaitaient initialement étudier l'omble des fontaines (Salvelinus fontinalis), l'anguille d'Amérique (Anguilla rostrata) et la saumon atlantique (Salmo salar). Mais seuls des ombles ont pu être échantillonnés en quantité suffisante : 462 poissons ont ainsi été prélevés et taggés. Trois types de réponse ont été suivies : le pourcentage de montaison à succès (passage success, PS), l'échelle des débits franchissables (range of passable flows, RPF) et les périodes de débits franchissables (availability of passable flows, APF).

Effets significatif (+) ou négatif (-) sur les 4 sites étudiés et pour les 3 critères retenus, les résultats entre parenthèses sont significatifs à p<0.05. B-A : contrôle avant vs après. C-I : contrôle site restauré vs site référence (source : article cité, droit de courte citation).

Voici le résultat tel que le commentent les chercheurs : "Notre analyse de 4 buses (…) suggère que les résultats de la restauration ne sont pas garantis. Alors que la restauration des buses est supposée améliorer le passage des poissons, nous n'avons pas observé d'amélioration consistante dans toutes les buses. En terme de succès de franchissement, tous les passages sauf Spracklins ont montré une amélioration, mais un seul (Arnolds) était statistiquement significatif. Les résultats étaient plus équivoques en considérant les propriétés du débit dans les buses – seul un passage (Arnolds) a montré un changement positif (….) Ces résultats mitigés sont en accord avec les rares études ayant vérifié le succès des restaurations de franchissement de poissons (Pretty et al 2003; Noonan et al 2012; Evans et al 2015; Myers & Nieraeth 2016; Tummers et al 2016)".

Shad Mahlum et ses collègues énumèrent les causes possibles de problème :

  • manque de population source pour recoloniser le tronçon,
  • persistance de dégradation de l'habitat, en particulier lié aux usages des sols du bassin versant,
  • faible puissance statistique des tests,
  • variabilité interindividuelle des comportements de montaison chez les poissons d'une même espèce.

Ils observent notamment : "Les efforts pour restaurer la connectivité à un point spécifique de l'espace peuvent ne pas amener des résultats remarquables pour des barrières partielles car les résultats écologiques ne sont pas susceptibles d'augmenter de manière linéaire avec la franchissabilité. Par exemple, le franchissement occasionnel d'un animal à travers une barrière partielle peut être suffisant pour garantir la persistance de la population et le flux génétique (Neville et al 2016; Soanes et al 2017), et permettre la recolonisation après un épisode d'extinction".

Les scientifiques concluent enfin : "Nos résultats démontrent que sans un contrôle approprié, les chances de tirer des conclusions fausses regardant les restaurations des systèmes spatialement et temporellement dynamiques sont substantielles".

Discussion
Les observations de Shad Mahlum et de ses collègues ne sont pas isolées, mais forment au contraire un topique bien connu en écologie de la "restauration".

De surcroît, la difficulté à prédire les résultats écologiques d'un chantier n'est qu'une des dimensions à envisager quand on se pose le problème de l'évaluation coût-bénéfice ou avantage-inconvénient d'une opération qui irait dans le sens de l'intérêt général.  Intervenir sur argent public demande de définir et de vérifier l'objectif biologique du chantier (les espèces cibles de la restauration, l'effet sur les autres espèces du site, le bilan global de biodiversité), mais aussi d'envisager toutes les dimensions impactées (patrimoine, énergie, paysage, épuration chimique, préservation d'eau à l'étiage, recharge et niveau de nappe, etc.) (1).

On est très loin de ces bonnes pratiques en France, essentiellement en raison d'une part de la gouvernance défaillante de la continuité écologique et surtout des options prises pour les subventions d'autre part. L'iniquité se révèle anti-pédagogique. L'argent public gaspillé aurait déjà permis de restaurer tous les vannages de France. Les cours d'eau auraient "gagné" en termes de fonctionnement des ouvrages. Les retours d'expérience dans la presse et exposés sur des vidéos, où un élu récite une ritournelle de croyances doctrinales, sont d'une pauvreté scientifique consternante et très souvent dépourvues du moindre bon sens. "C'est bien mieux après qu'avant"... sans analyse antérieure des peuplements (très artificiels) sur plusieurs années, sans évaluation du gain environnemental total sur le tronçon, sans bilan floristique ni faunistique, sans analyse sociale, sans tests élémentaires de significativité des variations observées, sans analyse chimique du cours d'eau et surtout sans s'interroger sur la réelle pertinence des coûts. Si ces satisfécits autoproclamés suffisent à valoriser des travaux aux yeux des élus qui les ont en partie financés, ces allégations sont ressenties comme des provocations par les riverains(2). Aux lanceurs d'alerte initiaux, s'ajoutent maintenant riverains et pêcheurs qui découvrent une nature "restaurée" différente de celle promise(3).

Référence : Mahlum S et al (2017), Does restoration work? It depends on how we measure success, Restoration Ecology, DOI: 10.1111/rec.12649

(1)  Il y a un pas qui n'a pas été franchi à cette obsession destructrice pour les ouvrages hydrauliques proches des ouvrages de génie civil (ponts). Comme quoi le statut de l'ouvrage et ses enjeux peuvent primer l'hydromorphologie?

(2) Tous les moulins sur le Viaur (affluent de l'Aveyron) ont été équipés de passes à poissons. Travaux (validés par le CSP) sous maîtrise d'oeuvre DDAF et financés par le syndicat de rivière en 2000. En 2017, rien ne passe plus pour 3 nouvelles espèces. Les dossiers moulin par moulin priorisent tous le même diagnostic: la destruction subventionnée des seuils...ou un nouvel équipement à des prix TTC quasi astronomiques, faisant peser une "charge spéciale exorbitante". L'analyse ACA (analyse coût-avantage) est manifestement ignorée.

(3) Les riverains et pêcheurs semblent furieux de découvrir l'état du Thouet dans le Saumurois (49) consécutivement à la continuité écologique.

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