Agence Adour-Garonne: un dévoiement du concept d’appel à projets

En quoi la destruction d’un ouvrage hydraulique deviendrait-il un projet socio-économique? Une scandaleuse démarche innovante de prime à la casse de 5 millions d’euros pour la destruction des ouvrages hydrauliques est lancée. Le postulat de l’atteinte du ‟bon état 2015” justifiant toutes les dépenses publiques après la LEMA 2006, fut un échec… aussitôt oublié. Aucune remise en cause et encore moins de syndrome : la machine fut relancée de plus belle vers des horizons confortablement plus lointains, avec les mêmes arguments (ceux qui n’ont produits aucun bénéfice environnemental), mais avec plus de moyens financiers. Les idées fusent(1) et l’argent coule à flot.

 L'Agence de l'eau Adour-Garonne avait plutôt des positions moins caricaturales et inégales que les agences Loire-Bretagne et Seine-Normandie, notamment des financements de passes à poissons pouvant atteindre 80%. Mais voilà que cette Agence dérape sous couvert d’un appel-a-projets_adour-garonne-5-millions le seul ‟projet” consiste à détruire des seuils, barrages et autres ouvrages en rivière en finançant ces funestes travaux à 100%. Elle offre 5 millions d'euros d'argent public à une condition : destruction totale. Tout cela aux frais du contribuable et faisant fi de ce que n’exige pas la loi.

Le diagnostic : généralités et assertions sans preuve

« 1200 à 1400 ouvrages présents sur les cours d’eau du bassin doivent faire l’objet de travaux pour restaurer la circulation des poissons et des sédiments d’ici 2018 ; cette obligation s’applique sur les rivières classées prioritaires en matière de restauration de la continuité écologique par le Code de l’environnement (L214-17 liste 2). Certains seuils sont aujourd’hui sans usage et parfois en mauvais état. Cette action de restauration de la continuité écologique contribue à améliorer de manière significative le fonctionnement naturel du cours d’eau et la qualité générale des milieux aquatiques. Cet appel à projets vise à apporter un soutien financier décisif aux propriétaires désireux de s’engager dans l’effacement de leurs seuils ».

Rencontrant depuis des années, trois, quatre ou 5 fois par semaine des propriétaires d’étangs et de moulins, nous n’en avons encore jamais vu un seul ‟désireux” de détruire ses ouvrages. Après menaces, désinformation, harcèlement et/ou  contentieux, ceux qui s’y résolvent, généralement esseulés(2), le font de guerre lasse.

Cette présentation miséricordieuse relève de la provocation déloyale puisqu’aucun d’entre eux ne le ‟désire”. Il faudra user du chantage et des menaces pour que les perdants gagnent ce concours de dupes.

Que la restauration de continuité écologique améliore de "manière significative" la qualité des milieux est une affirmation qui appelle des preuves. Car les travaux scientifiques émettent les plus grandes réserves sur ce point (voir cette synthèse d'une vingtaine de publications couvrant des milliers d'opérations en rivière, voir aussi Morandi et al 2014 en détail sur 44 projets français de restauration de rivière, dont des effacements de seuils).
Sans parler d'une analyse scientifique pour l'instant inexistante, les Agences de l'eau doivent a minima publier les scores de qualité chimique et écologique DCE 2000 des tronçons ayant bénéficié d'aménagements de continuité, afin que l'on vérifie si ces scores se sont améliorés, stabilisés, aggravés, et sur quels compartiments, avant et après la supposée "restauration". Mais l'administration n'est pas capable de produire aux parlementaires une telle base de données. Elle n'est même pas capable de dire combien de chantiers sont réalisés, a fortiori de croiser ces chantiers avec une analyse de qualité des eaux et d’un suivi scientifique un tant soit peu sérieux.
Il est donc insupportable que les contribuables soient ponctionnés pour appliquer ces pratiques d'apprentis-sorciers à grande échelle. Ce n'est au demeurant que la partie émergée de l'iceberg : c'est tout le rapportage français sur la qualité des eaux de surface à Bruxelles qui paraît vicié par des mesures incomplètes, des données manquantes, des évaluations à dire d'expert ou de modèle à faible niveau de confiance.

L’offre alléchante: ‟tout est payé si tout est détruit”.

Une prime à la casse sur argent public
"Les aides de l’Agence portent sur les projets d’effacement d’ouvrages c’est à dire de suppression totale ou d’arasement permettant un franchissement naturel par les poissons, dans la limite d’une enveloppe globale de 5 millions d’euros. (…) Les projets retenus dans le cadre de cet appel à projets pourront bénéficier d’un taux d’aide allant jusqu’à 100% des dépenses éligibles. Des acomptes seront versés au démarrage afin de faciliter le déroulement du projet."

Rappelons que la loi française (LEMA 2006 et Grenelle 2009) n'a jamais prévu l'effacement des ouvrages, mais demandé qu'ils soient "gérés, entretenus, équipés" ou que leur "aménagement" soit "mis à l'étude" pour "les plus problématiques" d'entre eux. Rappelons aussi que d’excès en dérives, l'administration a interprété dans un sens maximaliste et doctrinaire le concept récent de continuité écologique. Au nom de quoi une Agence de l'eau dont le Comité de bassin n'intègre même pas les représentants des moulins et des riverains premiers concernés, dont la légitimité ne repose sur aucun suffrage démocratique, dont la place dans la hiérarchie des normes juridiques est fort basse, se permet-elle de réécrire la loi française et de proposer des "solutions" que les parlementaires ont exclues dans leurs délibérations? Sans parler de la réglementation européenne qui n'a jamais exigé le moindre effacement de barrage..

L’échelle de la dilution des responsabilités

Pour les cours d’eau non domaniaux, dans sa présentation lénifiante, l’agence de l’eau Adour-Garonne manque à son devoir d’information sur la qualification des responsabilités réciproques des intervenants:

  • quelle structure pourrait s’autoproclamer maître d’ouvrage d’un bien qui, s’il n’est plus attaché au moulin, devient propriété des riverains? L’arrêté préfectoral de renonciation au droit d’eau doit définir, a minima, le(s) futur(s) propriétaire(s) de l’ouvrage.
  • considérant que le "droit des tiers doit être préservé", le dossier ne semble pas aussi limpide. L’accord des propriétaires fonciers riverains (jusqu'au milieu du cours d'eau) devra être requis avant la destruction de l’ouvrage ancré sur leurs berges, sous peine de « destruction, dégradation et de détérioration de biens appartenant à autrui » (Code Pénal articles 322-1 à 322 -4.1)
  • quel maître d’ouvrage, ayant un réel intérêt à agir, va déposer une demande d’autorisation de destruction d’ouvrage hydraulique au Préfet ?
  • qui sera en charge de la maîtrise d'oeuvre?
  • quelles sont les préconisations du BE (le Bureau d’étude engage sa propre responsabilité) sur les droits et devoirs réciproques, les règles de sécurité, les prescriptions sociales (sécurité des salariés) et environnementales (sédiments)?

L’iniquité administrative

Le cas très échéant, un vague dossier très édulcoré de déclaration de travaux fera l’affaire. Dans l’esprit ‟tous les services s’accordent pour la destruction”, le dossier insipide sera vite instruit puisqu’il est déjà réputé validé par un prochain arrêté préfectoral(3) très complaisant... mais au titre de l’exemplarité de l’Etat, le compte n'y est pas.

Là encore il s’agit d’un affront provoquant aux yeux de tout ‟porteur de vrai projet” qui s’est lancé un jour dans un dossier de déclaration ou a fortiori d’autorisation depuis la LEMA 2006, à qui la DDT impose le recours à un BE (Bureau d’étude) qu’elle recommande chaudement etc… Le parcours d'un vrai combattant.

 Le dévoiement du concept d’appel à projet : un gros mea culpa suffit pour l’emporter!

Pour avoir déjà candidaté à plusieurs reprises à des ‟appels à projets”, ayant toutes les capacités pour le mener à terme, avec un projet robuste en parfaite adéquation avec la thématique proposée (4), nous savons qu’il ne suffit pas de coller le timbre sur l’enveloppe pour être ‟reçu à l’examen”. De très loin s’en faut !

C’est la 3ème provocation, cette fois humiliante : dans l’appel à projet de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, ce ne sont pas les capacités multiples du candidat qui sont requises : il suffit de renoncer à tout pour tout perdre gagner.

Honni soit qui mal y pense (5) il y aurait peut-être dans nos lecteurs un juriste qui étudiera ce montage pervers de ‟projet très innovant” ou un magistrat de la cour des Comptes qui requalifiera les 5 millions selon les règles d’octroi des subventions?  Déjà suffisamment avantageuses à notre goût pour les destructions au détriment des aménagements.

(1)  Nous apprenons que la SABV (Syndicat dit ‟d’aménagement” du bassin de la Vienne) se propose de payer les destructions d’étangs. Que la cassette du SABV soit archi-pleine est une chose...que cette idée séduise les propriétaires d'étangs en est une autre. Affaire à suivre.

(2)  Ce sont ceux qui vont alimenter les Rex (Retours d’expérience). L’ONEMA va pouvoir vanter ces opérations de restauration qualifiées de ‟réussies”.

(3)  Gageons que ces arrêtés préfectoraux (qui s’empressent d’abroger le droit d’eau car c’est strictement le seul objectif) ne seront pas assortis des fameuses ‟prescriptions complémentaires”. Pour un dossier de demande, le pétitionnaire étant passé par toutes les arcanes d’un dossier robuste mais instruit à charge, peut tomber des nues en se voyant imposer des ‟prescriptions complémentaires” sorties du chapeau. Ubuesques, toujours déroutantes, quelquefois irréalisables… mais figurant toujours dans le dossier transmis au CODERST puis dans la foulée immédiate, dans l’arrêté.

(4)  Vous pensez que votre projet est éligible…et il y a souvent une clause qui met fin à vos critères de sélection.

(5)  Ce n’est pas l’OCE qui va se livrer à cette mise en cause; il s’agit juste d’un simple message subliminal.

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