Ségolène Royal aux préfets : suspendre les actions sur les moulins présentant des difficultés

L’information se répandait aux quatre coins de la France depuis la fin 2015 sur une recommandation qu’aurait faite la Ministre aux Préfets. Nous avons eu connaissance de cette lettre écrite par Mme Ségolène Royal au Préfet ici: Directive de Ségolène aux préfets 9dec2015 D15023167-Préfets-1 en date du 9 décembre 2015.  Ce courrier présente une avancée très significative. Il fait suite aux nombreuses questions portées par les élus, eux-mêmes interpellés par leur électorat.

Le constat : « des interpellations récurrentes et parfois vives que m’adressent des élus locaux ou des propriétaires privés montrent que, dans certains cas, cette politique génère encore trop d’incompréhensions qu’il convient de corriger. C’est en particulier le cas pour les moulins. »

Commentaire : nous apprécions que les interpellations de Madame la Ministre aient des effets et qu’elles aient été entendues. Les récentes et nombreuses questions des élus ont suscité cette recommandation aux Préfets. Cependant, compte tenu des problèmes posés par les réformes de continuité écologique, cette bonne intention ne dissipe pas nos craintes sur le fond.

Nous ne souscrivons pas au terme « incompréhensions ». Il faut sortir de ce serpent de mer vieux de presque 10 ans du Ministère et des Agences de l’eau selon lequel il y aurait un déficit de compréhension, qui pourrait être compensée par de la pédagogie et de l’information.

Soyons clair: nous avons parfaitement compris la réforme de continuité écologique ; nous souhaitons que le Ministère comprenne parfaitement que :

  • nous n’acceptons pas les ‟choix” intenables que cette réforme nous offre : soit la destruction, soit des aménagements à des couts exorbitants pour le particulier et les  milliards d’euros pour les finances publiques;
  • nous n’acceptons pas ces destructions pour des résultats environnementaux très modestes sur les milieux, parfois même négatifs ;
  • nous n’acceptons pas la remise en cause du 3e patrimoine de France qui est aussi un formidable potentiel pour des petites productions énergétiques ;
  • nous n’acceptons pas une mise en œuvre administrative alimentée par certains lobbies connus pour leur stigmatisation des ouvrages en rivière (FNE, FNPF) sans écoute réelle des autres parties prenantes ;
  • nous n’acceptons pas le déni des valorisations potentielles qui pourraient être un vecteur de redynamisation des territoires ruraux, sans autre motif qu’il n’y a plus d’usage actuel ;
  • nous n’acceptons pas l’iniquité de traitement entre les petits ouvrages privés et les grands ouvrages publics, ces derniers étant les plus impactants ;
  • nous n’acceptons pas cette certitude affichée sur les diagnostics, qui ne tient jamais compte des échecs ni des échéances reportées (le ‟bon état 20125” est déjà lointain) et qui ne s’appuie ni sur des mesures complètes, ni sur des connaissances robustes.

La mission : « en complément de la première mission menée par le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) en 2012, j’ai demandé à nouveau à ce conseil de faire un état des lieux précis et une analyse de l’ensemble des blocages et des sites conflictuels, liés en particulier à des moulins, afin de faire des propositions pour faciliter le consensus autour de la mise en conformité des seuils et barrages en rivière »

Commentaire : Mme la Ministre devrait savoir que sur les 11 premières recommandations du CGEDD en 2012, la seule -à charge- qui a été suivie d’effet est le classement des rivières (l’origine du problème), et que les 10 autres sont soit à peine ébauchées (3) soit totalement à l’abandon (7) (voir cette synthèse). La Direction de l’eau et de la biodiversité montre une attitude méprisante, elle ne donne aucune suite aux recommandations qui lui sont faites, elle n’a montré en trois ans aucune volonté d’intégrer les moulins dans les instances de délibération dont il est question depuis douze ans, de développer des grilles multicritères d’évaluation des ouvrages,  d’analyse le potentiel de la petite hydroélectricité, etc.  La première chose que le CGEDD devrait faire, ce serait de renseigner Mme la Ministre sur le fait qu’elle préconise en 2016 un nouveau rapport pour des problèmes déjà clairement posés en 2012… et n’ayant reçu aucune solution ni début d’exécution de la part de la DEB ni de l’Onema ni des Agences de l’eau.

Mais qu’à cela ne tienne : nous nous prêterons au jeu de ce nouveau rapport, d’autant qu’au cours des trois dernières années des dizaines d’opérations ont montré les problèmes concrets de mise en œuvre, l’absence dramatique de suivi, de déficience d’analyse coût-bénéfice, la surdité aux objections des riverains et des usagers... Dans le même temps, des dizaines de travaux scientifiques ont souligné la fragilité de l’arrière-plan des connaissances de la continuité écologique et sa faible place dans nos obligations DCE 2000. Autant de facteurs qui doivent induire une révision drastique du classement des rivières.

Les options : « supprimer entièrement les seuils n’est pas la seule solution puisque de nombreuses autres alternatives ont pu être mises en œuvre : passes à poissons, abaissement de la hauteur du seuil, suppression partielle pour maintenir un écoulement d’eau dans le bief du moulin, ou encore gestion coordonnée des vannages »

Commentaire : du point de vue juridique, arasement, dérasement, suppression partielle, brèche, etc. ont le même effet de changer la consistance légale et poussent à l’abrogation du droit d’eau. Au plan technique, dans la majorité des cas, cela empêche la reprise d’une activité énergétique.

Ces solutions funestes conduisent en général à ne pas avoir d’eau assurée dans le bief en été, donc à produire des effets de marnage néfastes au bâti, au paysage et au bien-être des occupants.  Ces "alternatives" ne sont donc pas considérées comme valables par les propriétaires attachés au respect de leurs droits et à l’intégrité de leur bien.

Rappelons par ailleurs qu’à ce jour, l’Etat n’est pas capable de donner : le nombre total des obstacles à l’écoulement devant être aménagés (à tout le moins étudiés) en rivières classées L2, le nombre total des ouvrages aménagés / encore à aménager, la répartition exacte des solutions choisies (dérasement, arasement, dispositifs de franchissement, ouverture de vanne).  Un simple catalogue non chiffré de quelques actions locales sera bien sûr jugé irrecevable, car bien trop vague et sans information réelle sur l’ampleur du chantier comme sur les options réellement proposées. Il conviendra que la base de données des ouvrages aménagés en rivières L2 précise le coût total de l’opération et le montant des subventions publiques. Sans cette rigueur et cette transparence, il n’est pas possible de débattre de la réforme. La moindre des choses est de tenir le tableau de bord des politiques publiques afin de permettre un vrai débat démocratique sur la pertinence des options, sur la réalité, et non des effets de communication sur une représentation partielle de cette réalité.

Le sursis : « Dans l’immédiat, sans attendre les résultats de cette mission, je vous demande de ne plus concentrer vos efforts sur ces cas de moulins (ou d’ouvrages particuliers) où subsistent des difficultés ou des incompréhensions durables. Ces points de blocage ne trouveront de solution qu’au travers de solutions adaptées, partagées et construites le plus souvent au cas par cas »

Commentaire : Il s’agit d’une trêve que certains propriétaires, désinformés par les DDT et les syndicats de rivières, harcelés, épuisés, vont apprécier. Ils vont pouvoir envisager de mettre leur ouvrage en conformité plus sereinement que sous la baïonnette d’un PV de l’Onema et dans le spectre d’une mise en demeure de la DDT. Puisse cette recommandation circuler dans tous les services déconcentrés…

Il est grand temps d’envisager des traitements plus ciblés, correspondant aux besoins, répondant aux enjeux au lieu des pelleteuses ‟amphibies” financées de 80 à 100% par Agence de l’eau ou des passes à poissons tellement coûteuses qu’elles rendent ces travaux indécents aux yeux de la majorité des riverais et de nombreux élus.

Dans ce courrier, Mme Ségolène Royal appelle les Préfets et les services à rassembler des exemples d’opérations « réussies ». Notons que la notion de réussite n’est adossée à aucun critère scientifique : nous ne manquerons pas rappeler au CGEDD que la réussite de la continuité écologique se prouve par des chiffres et des résultats sur les critères de qualité DCE 2000, au lieu d’exhiber des images d’Epinal, des power-points insipides et des compte-rendu  auto-référents confinant à la propagande (voir le mauvais exemple du recueil d’expériences de l’Onema).

Nous attendons une autre lecture, avec de vrais indicateurs pour qualifier des travaux « réussis » plutôt que d’invoquer des "frayères potentielles" et autre vocabulaire qui regarde l’intérêt des pêcheurs, pas l’intérêt général des rivières dans leurs dimensions multiples, naturelles, culturelles et sociales.

Conclusion : ce que nous devons faire

● Il est nécessaire de compiler dans les meilleurs délais les innombrables exemples des effets collatéraux des opérations calamiteuses de "restauration",

● La campagne du moratoire va devoir se poursuivre, puisque Mme la Ministre suspend toute décision en attente de ce énième rapport.

Cela nous laisse le temps de sensibiliser de nouveaux élus à la défense du patrimoine des rivières, à la réhabilitation des 450 000 ha d'étangs (une nouvelle fois oubliés) et au refus des solutions destructives et dispendieuses.

Redoublons d’efforts: la vérité sur la continuité écologique commence à émerger, elle doit éclater au grand jour au cours de l’année 2016 !

Les commentaires sont fermés.