menace de destruction définitive d'un cours d'eau du Clunysois.

Les incohérences de la continuité écologique : ailleurs, on détruit les seuils, mais à St Gengoux, on encourage un supermarché sur un ruisseau.

 Après beaucoup d'autres occupations, dont la présence romaine, au Xème siècle le site fut un domaine de l'Abbaye de Cluny toute proche (à distance d'un jour de marche).

L'établissement prospéra, devint bourg puis cité royale fortifiée au XIIIème siècle : Saint Gengoux le Royal.

C'est un site d'habitation idéalement situé au soleil couchant sur les pentes du Mont Goubot, aujourd'hui : Saint Gengoux le National. On peut s'en faire une idée en consultant la carte de Cassini et celle de l'état-major, entre 1820 et 1866.

Plusieurs vallons convergent vers la cité, constituant une petite tête du bassin de la Grosne, la principale rivière de la région. Sources abondantes et ruisseaux ont sûrement toujours invité au séjour prolongé. Pourtant, depuis une soixantaine d'années, ils ont été sacrifiés et reniés.

Captée très tôt dans un vallon du Mont Goubot, probablement dès le grand chantier des remparts, la source de Manon était assez abondante pour alimenter la cité, dont le fossé haut et un moulin le long de la muraille Sud. Mais en 1952, les élus décidèrent de déplacer la décharge brute municipale qui devenait trop encombrante dans un passage étroit de la vallée, au Nord de la cité. Et... et ils installèrent la nouvelle décharge sur le Mont Goubot, en haut du vallon de Manon, exactement dans le bassin versant de la source ! Bientôt, la collecte des fosses septiques y fut déversée, et chacun peut deviner ce qui ne tarda pas à arriver aux robinets et dans les baignoires.

Pour être spectaculaire, le dommage était réparable. Il suffisait de renouer avec le bon sens. Mais la leçon n'a pas profité. Plutôt que d'arrêter là l'expérience et de réhabiliter le site pour retrouver la jouissance de la source, la décharge a été maintenue ! Et de bien plus graves pollutions allaient devenir monnaie courante : batteries de voitures, huiles de vidange, bidons de pesticides...

En dépit de l'obligation de réhabiliter les décharges brutes, depuis 1985, rien n'a été fait pour récupérer la source. Complètement inutile, stérile et polluée, l'eau de Manon pollue probablement encore les eaux de l'aval. Aujourd'hui, dans cette vallée où l'eau coulait excellente, abondante et gratuite, elle est vendue très cher par une multinationale.

Le cours d'eau historique de la cité médiévale, le Nolange, n'a pas eu plus de chance. Maltraité de toutes les façons possibles, il était devenu objet de répulsion pour certains parce qu'il charriait des ordures, les ordures de la commune ! Alors, plutôt que de mettre de l'ordre dans les réseaux d'eaux usées et de lui redonner vie, on l'a confiné dans un égout busé à partir de 1962.

Aujourd'hui, les visiteurs de la cité médiévale ignorent généralement que l'eau y est abondante et qu'il y coule le ruisseau qui alimentait les fossés bas des remparts de la cité médiévale. Les habitants aussi, parfois.

Invisible et oublié, le ruisseau le Nolange ne structure plus la cité qui s'est construite à son côté. Les visiteurs ne peuvent plus lire la continuité historique et écologique de la vallée. Les paysages et l'ensemble médiéval en sont amputés. C'est une grande perte de valeur et de l'agrément à séjourner et vivre à Saint Gengoux ex-Royal.

 

Entre le faubourg Nord (Bourg-Hameau) et la sortie Sud (A l'Agasse et pré de la Tour des Archers) -une tour médiévale de défense avancée-, sur environ 800 mètres, le Nolange est enterré. Enterré mais toujours là, attendant une réhabilitation que semblaient annoncer et encourager :
- la Directive 2000/60/CE de l'Union Européenne du 23 octobre 2000,
- la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006, différentes circulaires du Ministère de l'Environnement,
- le développement du programme Natura 2000,
- la progression d'une Trame Verte et Bleue,
- le processus du Contrat de Rivière (1),  le début d'une prise de conscience environnementale etc..

Las, le fil de l'eau, sa continuité écologique et l'intégrité de la cité médiévale ont été perdus de vue par beaucoup. « Ils n’existent plus dans l’inconscient collectif, si ce n’est ponctuellement et de façon négative par exemple lors de débordements des réseaux ». Guide méthodologique réalisé par l’agence de l’eau Loire-Bretagne qui présente le cas des rivières perdues ou "inexistantes" :  http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/guide_restauration-ce.pdf

C'est exactement ce qui se passe à Saint Gengoux où même les crues centennales avaient été oubliées. C'est cette perte des savoir, cette perte de conscience et d'intérêt pour les biens communs et les richesses locales qui ont permis la relance et le développement d'un projet commercial en tous points étranger à l'économie de la cité. Sans aucune concertation, sans étude préalable, sans écoute des objections et des oppositions, un chantier risque de commencer demain pour installer un supermarché, un parking et une station-service sur un grand remblai occupant en totalité le lit (mineur et majeur) du ruisseau historique de la cité !

L'implantation est prévue dans le pré "A l'Agasse", entre cité médiévale et Tour des Archers. Il s’agit donc du fond de vallée, là où la nappe phréatique est la plus proche, où elle affleure en période pluvieuse – justement là où il arrive aussi que l'eau monte (2).

Toutes les cartes, depuis la carte de Cassini, le plan cadastral du hameau de Nourue de 1817 (3), la carte de 1835, la carte d'état-major (1820-1866)... jusqu'à la carte IGN de 1978, témoignent du tracé du ruisseau le Nolange dans la cité et de la réalité de son lit mineur en bordure du pré "A l'Agasse" visé par le projet commercial.

En tant que lit du ruisseau, zone d'expansion des crues et partie du réseau hydrographique local à restaurer pour la qualité de toutes les eaux de l'aval et la continuité écologique entre les pelouses calcicoles de la Côte Chalonnaise, celles du Mâconnais, et les espaces protégés de la Grosne, le pré qui serait détruit par la réalisation de ce projet est protégé par la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Comme dans tout le Bassin de la Grosne, la loi s'applique aux cours d'eau de Saint Gengoux le National et invite à leur réhabilitation.

La protection effective et la réhabilitation du lit du Nolange pourraient amorcer une restauration de l'ensemble constitué par une cité médiévale encore remarquable et les paysages tout aussi remarquables de la vallée. Cela dynamiserait le tourisme et profiterait à toute la région. Une restauration qui serait infiniment plus bénéfique aux commerces locaux et à une économie qui ne demandent qu'à se redévelopper, qu'un nouveau renforcement (deux fois destructeur à l'endroit prévu) de la grande distribution. Une protection et une réhabilitation d'autant plus nécessaires que la cité médiévale de Saint Gengoux le National fait désormais partie du Pays d'Art et d'Histoire "Entre Cluny et Tournus"
http://www.pahclunytournus.fr/presentation-du-pah.

Mais, jusqu'à présent, plusieurs années d'information et d'interpellation des décideurs et des organismes officiels ont été sans effet. Tous restent cois ou disent leur impuissance à empêcher un nouveau saccage, faisant fi de la continuité écologique.

Alain-Claude Galtié

 

(1) Un Contrat de Rivière a bien été élaboré dans la région. Mais...il doit reposer  "sur une forte mobilisation des élus locaux, des riverains et des usagers en faveur de la réhabilitation et la valorisationde leur patrimoine aquatique" (La gestion durable des ressources en eau en milieu agricole : Réflexions générales et applications dans le bassin versant de la Moselle, par Roselyne Allemand, L'Harmattan mai 2010).

http://www.guiers-siaga.fr/les-outils-de-gestion/une-dynamique-locale

Ici, c'est seulement en 2014, au hasard d'une recherche sur internet, que les associations de défense du patrimoine et de l'environnement de toute la région – et la population - ont découvert qu'un comité restreint s'était réuni pendant cinq ans avant de signer un contrat qui "oublie" complètement la tête de bassin où se trouve la cité médiévale.

(2) extrait des comptes-rendus du Conseil Municipal de St Gengoux, 11 septembre 1902 :"(...) Considérant que ce danger de grande crue n'est pas un danger illusoire et que la population de Saint Gengoux le National, a parfaitement conservé le souvenir de la crue de 1867, où les eaux se sont élevées à plus d'un mètre sur la route et ont envahi les maisons voisines (...)"
"la route" est la Route des Tanneries qui longe le Pré A l'Agasse, et "le ruisseau des Tanneries" est décrit comme étant "d'une grande largeur et assez grande profondeur".
(...) En 1867, une poche d'eau creva dans la montagne. En quelques heures, l'inondation envahit l'école. L'eau monta dans les classes presque jusqu'au plafond (...)".
Extrait de "Trois siècles d'enseignement libre" par J.D.M. Dutroncy, bulletin La Paroisse, juillet 1938.
L'école était, alors, dans le couvent des Ursulines, l'actuel Foyer Rural, rue des Tanneries, à deux pas du pré convoité.
Et, en juin 1875, d'après le "Registre d'ordre. Notes diverses 1889-1865", à la rubrique "Sinistres de 1875" (pages 75-76), ce sont 150 hectares qui ont été inondés. 150 hectares représentent presque 1/6ème du territoire de la commune (936 ha). Schématiquement, cela correspond à une large part des lits majeurs (côté rivière Grosne) des ruisseaux.

(3http://www.archives71.fr/arkotheque/arkotheque_visionneuse_archives.php?arko=YTo0OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMTMtMDctMjgiO3M6MTA6InR5cGVfZm9uZHMiO3M6MTE6ImFya29fc2VyaWVsIjtzOjQ6InJlZjEiO2k6MztzOjQ6InJlZjIiO2k6NDg2O30=

 Et encore :

"Rivières perdues".  un film de Caroline Bâcle. Il était une fois, des centaines de rivières sillonnaient nos villes. Pourquoi sont-elles disparues? Comment? Et pourrions-nous les revoir un jour? Ce documentaire tente de trouver des réponses en rencontrant des urbanistes, des militantes et des artistes visionnaires du monde entier.  http://rivieresperdues.radio-canada.ca/

page FaceBook  https://www.facebook.com/LostRiversDoc

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