Suivi d’un effacement d’ouvrage sur le Bocq: quel bilan après quelques années? (Castelain et al 2016)

Une équipe universitaire a fait le bilan de l’effacement d’un ouvrage sur un affluent de la Meuse. Au bout de quelques années, on voit que la biodiversité totale des poissons et invertébrés a plutôt régressé sur le site. Certes et sans surprise, les espèces lotiques ont été favorisées par la suppression de la retenue et de son habitat lentique initial. Mais ces gains minuscules et spécialisés, s’ils intéressent éventuellement le naturaliste, relèvent-il d’un intérêt général des citoyens justifiant la dépense publique? Nous avons le droit de savoir pour quels objectifs précis on casse les ouvrages hydrauliques, de décider si l'éventuel gain est justifié au regard des autres enjeux et, dans l’affirmative, de vérifier si ce gain est réellement atteint après chaque chantier. Les pratiques actuelles d'effacement d'ouvrages à la chaîne, sans diagnostic biologique complet ni programmation de suivi, sont très éloignées de cette analyse.

On se plaint régulièrement de l’absence de suivi sérieux des opérations des restauration morphologique, en particulier sur le dossier conflictuel de la continuité longitudinale, où certains choix radicaux comme l’effacement des ouvrages hydrauliques sont supposés être justifiés par des gains substantiels pour les milieux aquatiques. Ces promesses restent abstraites et théoriques tant qu'on ne mesure pas ces gains pour les présenter aux citoyens finançant les travaux.

Dans le cadre du programme européen Life Environnement Walphy, une équipe des universités de Namur et de Liège, ainsi que de la Direction des cours d’eau non navigables de Belgique, a dressé un bilan des aménagements réalisés sur le Bocq, affluent rive droite de la Meuse (bassin versant de 237 km2). Sur cette rivière ont été réalisés 7 effacements d’ouvrage (arasements), 6 bras de contournement, 3 pré-barrages, 2 rampes rugueuses, 1 passe à poissons, 3 scénarii mixtes combinant 2 dispositifs techniques sur un même site. Par ailleurs, des linéaires rectifiés de la rivière ont été reméandrés.

Les auteurs étudient un effacement (déversoir de Spontin d’une hauteur de 1,2 m) et un reméandrement (site d’Emptinale). Nous nous concentrons ici sur l’effacement, et plus particulièrement sur son bilan biologique. Les auteurs font aussi un bilan morphologique du passage des habitats lentiques à lotiques, mais ce point n’appelle pas de commentaires particuliers (en dernier ressort, la diversité morphologique n’est pas recherchée en soi, mais comme un facteur pertinent de variation de la diversité biologique). On se contentera d'observer que la remobilisation sédimentaire (11 galets marqués sur 50) n'a pas tenu toutes ses promesses sur le site de l'ouvrage effacé.

Venons-en donc aux indices biologiques, ici les insectes (avec calcul IBGN) et les poissons (avec calcul IBIP, indice de qualité piscicoles équivalent à l'IPR en France).

Extrait de Castelain et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Le schéma ci-dessus montre le bilan 2009/2012 sur le site de Spontin (la Senenne en tronçon de référence) pour les invertébrés. On observe que :

  • la richesse taxonomique (biodiversité alpha) baisse de 40 à 33 taxons à l’amont et de 32 à 28 taxons à l’aval,
  • l’IBGN aval se dégrade de 15 à 13, l’IBGN amont s’améliore (de 15 à 16), dans ce dernier cas grâce à l’apparition des Trichoptères (Hyperrhyacophila et Hydropsyche) et des Ephéméroptères (Ephemerella, Torleya et Baetis),
  • l’équitabilité suite la même tendance (hausse amont et baisse aval),
  • l’indice de qualité l’eau ln augmente mais l’indice de qualité de l’habitat lv se dégrade,
  • le cours d'eau de référence (Senenne) suggère que ces variations ne sont pas très significatives (évolutions d'amplitude comparable de certains indices entre deux relevés, malgré l'absence d'intervention).

Au final, le bilan ne paraît manifestement pas exceptionnel, avec une biodiversité globale des invertébrés sur la station qui a baissé, un site qui a gagné en qualité et un autre qui a perdu.

Extrait de Castelain et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Le schéma ci-dessus montre le bilan piscicole du site du Spontin amont, c’est-à-dire l’ancienne retenue. On observe que :

  • le site a perdu en biodiversité avec disparition de la perche et de la tanche (espèces d’eaux calmes),
  • les populations rhéophiles de truites, d’ombres et de chabot ont fortement augmenté,
  • la biomasse totale a été multiplié par 6,
  • le score de qualité IBIP a augmenté de bon à très bon (19 à 23)

Cette présentation de l’évolution piscicole souffre cependant d’un biais majeur: les auteurs n’ont pas présenté les données pour le site Spontin aval (ni une station de référence pour évaluer l'amplitude de la variation inter-annuelle). Or, chacun sait que les stations à l’aval des petites chutes sont riches en populations (à la fois par l’effet obstacle qui concentre davantage d’individus à l’aval, par l’oxygénation derrière la chute, etc.). Que des espèces colonisent l’ancien emplacement de la retenue est un mouvement de population attendu, mais il faut vérifier que cela ne s'est pas réalisé au détriment du site aval, par un simple transfert d'individus vers l'amont. Comme pour les invertébrés, seule une estimation globale amont/aval et avant/après a du sens (sur la répartition des espèces autour d'un site, voir par exemple Mueller 2011 sur un diagnostic de population amont/aval d’un site non effacé ou Benejam et al 2016 sur l’effet piscicole d’une retenue). Il est assez incompréhensible que le protocole IBGN de contrôle sur l'ensemble de l'hydrosystème impacté n'ait pas été également appliqué pour l'analyse IBIP.

Discussion
La restauration de rivière peine à prédire ses résultats (voir par exemple nos recensions de Muhar et al 2016, Kail et al 2015, Morandi et al 2014, ainsi que cette synthèse sur les nombreux retours critiques de la littérature scientifique). En proportion des nombreux effacements ou aménagements d’ouvrages en France et en Europe, rares sont les chantiers faisant l’objet d’un suivi, en particulier d’un suivi intégral des paramètres physiques, chimiques et biologiques.

Sur notre région, nous avions déjà observé que l’effacement de l’ancienne forge d’Essarois, pour 400.000 euros, s’était surtout traduit par un gain à court terme de truites sur un linéaire de quelques centaines de mètres. C’est l’un des rares cas de suivi (hélas limité aux poissons), et il pose de notre point de vue question sur l’intérêt de la dépense publique (la truite fario n’étant pas considérée comme une espèce menacée sur son aire européenne de répartition, et en particulier sur nos rivières de Nord Bourgogne).

C’est donc plutôt une bonne chose que le projet Walphy contribue à compenser le vide de données réelles sur les effets de la restauration par effacement ou équipement d’ouvrages. Le protocole en est toutefois incomplet, puisqu’on ne peut pas réellement estimer le gain piscicole. Par ailleurs, les opérations de restauration ont des résultats variables dans le temps, et pas toujours durable (par exemple Pander et Geist 2016), donc un suivi de quelques années n’offre qu’un bilan provisoire. L'étude de l'hydrosystème à plus long terme sera intéressante.

Les auteurs de cette analyse sur un ouvrage effacé du bassin de la Meuse concluent: "Au vu des résultats présentés ici (…), la restauration hydromorphologique se présente comme un atout à considérer pour atteindre le bon état écologique des masses d’eau". Nous sommes en désaccord avec eux au regard des données produites par leur étude:

  • la biodiversité totale invertébrés et poissons a diminué,
  • le score de qualité invertébrés a diminué sur une station et augmenté sur une autre (bilan nul),
  • le score de qualité poissons n’est pas donné sur la station aval qui a le plus de probabilité d’avoir eu un effet négatif,
  • ces résultats sont donc ambivalents, incomplets et globalement modestes.

Car les gains paraissent en tout état de cause assez minuscules aux non-spécialistes, limités à la recolonisation d'un site par des espèces non menacées d’extinction. Cela pose la question des finalités de l’action écologique en rivière, mais aussi des limites qu'elle se donne.

Sur les millions de kilomètres de linéaires européens, allons-nous dépenser des sommes considérables d’argent public pour simplement obtenir des répartitions différentielles de plantes, d’insectes ou de poissons au sein des tronçons? En quoi le passage local de peuplements lentiques à des peuplements lotiques (principal objet de restauration en continuité longitudinale hors migrateurs) présente-t-il un intérêt majeur pour la société, mais aussi pour la diversité du vivant? En quoi l'alternance lentique / lotique des rivières aménagées pose-t-elle un problème grave à la biodiversité, alors qu'elle crée de nouveaux habitats différents de ceux qu'offre l'hydrosystème naturel? Que signifie au juste l'idée qu'il existerait un "état de référence" de chaque cours d'eau (Bouleau et Pont 2015) et comment va-t-on définir cet état, alors que le vivant évolue sans cesse et, dans les rivières européennes à forte et ancienne implantation humaine, qu'il a déjà été considérablement modifié par l'homme? Qu'est-on disposé à sacrifier de l'écoulement, du paysage et du patrimoine actuels d'une rivière pour obtenir le genre de gains que le projet Walphy met en lumière?

Nous posons ces questions depuis un certain temps, sans obtenir de réponse.  Mais on ne pourra pas indéfiniment esquiver le débat de fond et fuir la discussion démocratique de nos choix en rivière.

Référence : Castelain L et al (2016), Walphy, un projet expérimental de réhabilitation de cours d’eau: suivis hydromorphologiques et écologiques, Hydroécol. Appl., doi: 10.1051/hydro/2015014

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