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Projet hydro en 2014. L’usinier obtient gain de cause à la CAA de Lyon en 2019

Un propriétaire de moulin envisage de valoriser la force motrice de l’eau (1) en produisant de l’électricité. Il présente un dossier robuste à la DDT de l’Ardèche.
Le préfet s’y oppose. Le pétitionnaire est contraint de déposer un recours au TA (tribunal administratif) et obtient gain de cause.

Le ministère n’accepte pas ce mauvais jugement et fait appel de cette décision.

 

Au Tribunal Administratif (TA)

Le préfet et son service instructeur estiment :

       Qu’il s’agit d’un nouvel ouvrage = faux

       Que l’ouvrage constitue un obstacle à la continuité écologique = faux

       L’état de ruine de l’ouvrage = faux

       Que l’ouvrage n’est plus exploité depuis plusieurs décennies = erreur manifeste d’appréciation (exploité ou non, cela n’a aucun effet sur le droit d’eau).

       L’importance des travaux de restauration doit être regardée comme portant sur un nouvel ouvrage donc une autorisation nouvelle = faux.

       Que la passe à poissons prévues va modifier (en résumé) les habitudes de montaison-dévalaison des espèces piscicoles

       Et surtout, in fine, la demande d’augmentation de puissance est très mal perçue (1) par la DDT, même si ce n’est pas explicitement écrit

 

Le juge considère que :

       La construction d’un nouveau barrage sur un cours d’eau ne constitue pas nécessairement un obstacle à la continuité écologique (2)

       Le préfet n’établit pas la preuve de ses allégations (3) sur les prétendues perturbations que subiraient les espèces piscicoles.

 

A la Cour Administrative d’Appel (CAA)

Le ministre soutient :

       que le jugement du TA est irrégulier en ce qu’il est insuffisamment motivé.

       et maintient ses écritures techniques présentées en première instance (celles qui ont été écartées), sans y apporter d’autre preuve. Nous notons que le Ministre ajoute en appel que le cours d’eau est déjà aménagé de douze micro-centrales « privées » (4).

       que « c’est à tort que les premiers juges ont considéré que le préfet pouvait assortir l’arrêté en litige d’une prescription imposant de réduire l’espacement de la grille destinée à empêcher le passage des espèces piscicoles en période de dévalaison »… (5).

 

Le juge en appel confirme le jugement en première instance : 

       il note que le ministre ne produit aucun élément précis au soutien de ces allégations (6).

       il considère que l’étude produite en appel de l’office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) intitulée « Pourquoi rétablir la continuité écologique des cours d’eau » a une portée générale et ne permet pas de « démontrer »(…).

       il décide que la requête du ministre de la transition écologique et solidaire (MTES) est rejetée.

 

Cette décision est intéressante à plusieurs titres :

• elle sanctionne un modus operandi hélas fréquent : un dossier instruit à charge, avec l’idée implicite initiale de ne pas autoriser ce projet, sans fondement légal pour s’y opposer.

• elle illustre toutes les erreurs d’appréciation et d’aiguillages des DDT. Ces dérives ne sont pas des fatalités : depuis 2010, nous déplorons une recrudescence des erreurs administratives (un ouvrage serait ipso facto « non conforme » et nécessite des travaux, refus de reconnaissance de DFT, classement en cours d’eau, enrochements, prétendue ruine de l’ouvrage, méconnaissance de la nomenclature IOTA…).

• elle remet les publications de l’OFB à leur juste place en leur déniant tout caractère probant (et donc encore moins de « preuve scientifique »).

 

Discussion

(1)  C’est grâce à la force motrice de l’eau que la France s’est industrialisée au 19ème siècle.
Si la houille blanche était à la mode après 1960, il y a longtemps que le terme a été effacé des manuels scolaires et oublié des axes de valorisation énergétique au profit du nucléaire en France. La Suisse et la Norvège pensent le contraire.

 

(2)  Ce postulat est essentiel à rappeler. Dans une lecture univoque et déformée du Code de l’environnement certaines DDT exigent systématiquement des propriétaires, par principe, une « mise en conformité » de leur ouvrage.
Cette erreur manifeste d’appréciation vient du raccourci erroné : seuil en cours d’eau = non-conformité.

 

(3)  Les allégations de l’administration sont insuffisantes : elle doit prouver ce qu’elle expose. Cet élément est évidemment très important.

 

(4)  Non seulement l’instruction du dossier n’a pas prouvé l’impact cumulatif des douze micro-centrales, mais insister sur le fait qu’elles soient « privées » recèle un caractère discriminant.
Les poissons sont-ils en mesure de distinguer le statut public ou privé d’un ouvrage ?
Le classement des cours d’eau a déjà exclu les ouvrages publics de la continuité écologique sans qu’il soit nécessaire d’avouer ce travers partisan.

 

(5)  Cette allégation ne manque pas de piquant : elle dénie le pouvoir régalien du préfet et dénie à la DDT-OFB le droit d’exiger « une prescription ». C’est se moquer ouvertement du monde quand tous les propriétaires d’ouvrages se voient infliger des « prescriptions » et des « prescriptions complémentaires » (certaines exposées sur 8 pages de l’arrêté préfectoral, les unes applicables, les autres inapplicables ou pire, ne s’appliquant pas au pétitionnaire).
Sous la plume d’un requérant, cette allégation serait qualifiée de dérisoire et d’outrancière.
Le juge rappelle au ministre que « 
c’est à bon droit que les premiers juges ont précisé qu’il était loisible au préfet d’assortir l’autorisation sollicitée d’une prescription (…) ».
C’est d’autant plus exaspérant que depuis les circulaires anciennes (1851 par exemple) le Ministre exige du Préfet qu’il prenne toutes les dispositions complémentaires au dossier de demande d’autorisation.
Il est enfin inadmissible que des arguments fallacieux récurrents soient exposés par l’administration dans chaque juridiction au mépris des règles procédurales d’instruction des dossiers et de la jurisprudence constante.

 

(6)   Le juge écarte toutes les allégations techniques de la DDT au motif qu’elles ne sont ni caractérisées ni prouvées. Et comment pourraient-elles l’être puisqu’elles ne reposent que sur les exigences à géométrie variable de l’OFB. On l’observe selon les régions pour une même espèce : une fois des rugosités dans les bassins des passes à poissons, une fois une passe à anguille spécifique etc…