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La colère des riverains du Thouet face au dogme de la destruction des seuils des moulins

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Une rivière ayant de moins en moins d’eau et une lame d’écoulement réduite à presque rien l’été, des proliférations de plantes invasives (jussie, élodée), une faune piscicole appauvrie, des usages et des agréments estivaux contrariés voire disparus… la colère monte sur les rives du Thouet, affluent de la Loire coulant de Parthenay à Saumur. Pêcheurs, riverains et élus contestent le bilan de la continuité écologique destructrice qui a vu les disparitions de plusieurs barrages et chaussées, dans le tronçon aval géré par l’Agglomération Saumur Val de Loire. L’étude de la station de mesure de qualité DCE proche de Saumur leur donne plutôt raison: depuis 2010, l’indice poisson rivière est toujours mauvais, avec son pire score à date récente, tandis que les teneurs maximales de nitrates ont plutôt augmenté. Pour éviter une dérive fatale comme celle du Vicoin, rivière martyre quasiment privée d’eau à chaque été depuis que 95% de ses ouvrages ont été détruits, un moratoire sur les effacements d’ouvrage sur le Thouet doit être engagé au plus vite. La restauration de continuité écologique doit préserver les ouvrages et les équiper si besoin, pas les détruire. 

Depuis le début des années 2010, une politique d’arasement des barrages et chaussées de moulins est menée sur le Thouet en Maine-et-loire. Ces chantiers ont soulevé de nombreuses polémiques quand ils ont été proposés, mais ont été menés malgré les protestations. Aujourd’hui, les langues se délient, particulièrement autour de l’Agglo Saumur Val de Loire qui a joué les apprentis sorciers en mettant en oeuvre les destructions souhaitées par l’Etat et financées par l’agence de l’eau sans études multicritères préalables sur les impacts patrimoniaux, piscicoles, sociaux et environnementaux.

Les pêcheurs témoignent des dégâts : plus d’eau, plus de poissons, des plantes invasives
Daniel Vion a été un précurseur à alerter et à dénoncer le défaut de bon sens depuis longtemps.
Les pêcheurs ont ensuite exprimé leur colère face à la disparition des ouvrages et de leurs réserves d’eau.“Ces retenues existaient parfois depuis mille ans”, pointe Camille Richard, membre du collectif Thouet. “La faune et la flore de la rivière étaient structurées autour de ces ouvrages.” Le reproche est d’autant plus vif que la destruction de ces barrages et de leurs précieux petits réservoirs d’eau n’est en rien une obligation. “L’Europe n’a jamais dit qu’il fallait les éradiquer”, fulmine inlassablement Ludovic Panneau, président des Martins pêcheurs, association de pêche de Montreuil-Bellay. “Elle a demandé aux gestionnaires des rivières d’entretenir les ouvrages et de les gérer de sorte que la continuité écologique soit assurée.

Premier problème : le niveau d’eau en été est très bas en l’absence des retenues. “Le niveau et le débit du Thouet s’effondrent de manière significative”, affirme Camille Richard. Qui précise : “La rivière a perdu 2,5 mètres de profondeur en moyenne. Les bateaux ne passent plus et les berges sont trop haute”.“Ces bassins étaient indispensables à la vie aquatique, y compris l’été, quand l’eau était basse”, appuie Ludovic Panneau.

Deuxième problème : la jussie, plante invasive, s’est installée dans le secteur. “C’est un drame”, explique Camille Richard. Ce végétal étouffe l’écosystème.” “Le réchauffement de l’eau s’accélère et favorise la photosynthèse” ajoute Ludovic Panneau. “De nouvelles plantes aquatiques apparaissent, au premier rang desquelles figure l’élodée.”

Un élu dénonce le refus d’un bilan objectif des actions menées, avec comparaison entre zones avec et sans barrages
Les pêcheurs et les riverains sont donc consternés. Ils ne sont plus les seuls à se poser des questions, quand beaucoup s’inquiètent de nouveaux projets comme la disparition du barrage du moulin de Couché. Dominique Monnier, ancien maire du Puy-Notre-Dame, ex-vice président du Conseil général, s’est fendu d’une lettre ouverte à l’agglomération de Saumur Val de Loire.

En voici quelques extraits :

“Les maires se posent de nombreuses questions sur la gestion de cette rivière depuis la disparition des barrages. Ils admettent parfaitement que, pour des questions écologiques et de continuité de l’eau, cette action ait pu amener des améliorations de la rivière, mais tous indiquent qu’aucun bilan significatif n’a été réalisé.”

“Ne peut-on pas marquer une pause et réfléchir avant de continuer à araser? Peut-on savoir si le travail déjà réalisé a apporté les bénéfices écologiques espérés?”

L’élu propose une méthode objective et intéressante, comparer au fil des années comment évoluent en hydrologie, biologie et écologie les tronçons où les chaussées ont disparu et ceux où ils sont restés :

“il doit être possible de comparer les conséquences obtenues sur la partie Maine-et-Loire (relevant d’une gestion publique), arasée, avec la partie Deux-Sèvres (gestion privée), restée en état.”

Au final, Dominique Monnier interpelle le président de l’Agglo : “Pouvez-vous nous donner des éclaircissements concrets sur les améliorations espérées, si elles existent”. Et la chargée des milieux aquatiques et de la diversité à l’Agglo : “Pourquoi campe-t-elle sur ses positons sans vouloir répondre?

Analyse des données de l’eau à la station aval près de Saumur: le bilan n’est pas bon du tout depuis 2010
L’élu, les pêcheurs, les riverains ont quelques raisons de s’inquiéter. Nous avons été voir sur la base données publiques de l’eau Naïades l’évolution des indicateurs de qualité écologique et chimique de l’eau à la station du Thouet aval, située dans le Saumurois, à Chacé. Nous avons pris les dernières mesures disponibles en ligne (2017 pour les poissons, 2019 pour les nitrates) pour voir l’évolution observée depuis 2010.

L’indice poisson rivière mesure la composition de la faune piscicole. Plus il est élevé, plus cet indice est mauvais : inférieur ou égal à 7 excellent, entre 7 et 16 bonne qualité, entre 16 et 25 qualité médiocre, entre 25 et 36 mauvaise qualité, supérieur à 36 très mauvaise qualité.

L’IPR à Chacé depuis 2010 oscille entre qualité médiocre et mauvaise qualité. Le pire score a été atteint la dernière année de mesure :

Le taux de nitrates dans l’eau indique le risque d’eutrophisation, et c’est notamment un facteur favorable aux plantes invasives. Alors que les barrages ont plutôt tendance à épurer les eaux courantes (en sédimentation et métabolisation locales des effluents), les gestionnaires de rivières ont prétendu le contraire dans les années 2010. Nous avons pris les valeurs maximales observées de chaque année (plusieurs campagnes).

Mais à Chacé, le bilan nitrates n’est pas bon:

Les nitrates sont en tendance maximale croissante à la station de mesure, à deux reprises dont en 2018 le mauvais état écologique a été atteint (dépassement de 50 mg/l). Les valeurs observées, supérieures à 30 mg/l, sont considérées comme élevées et nettement au-dessus de la concentration d’un milieu naturel d’eau de surface, hors plan d’eau.

Cesser le mépris et la langue de bois des gestionnaires, stopper un dogme destructeur
Sophie Tubiana, chargée de la gestion des milieux aquatiques et de la biodiversité à l’agglomération Saumur Val de Loire, avait ainsi répondu aux citoyens inquiets: “Nous sommes confrontés à des conflits d’usage. Agriculteurs, pêcheurs, promeneurs, chacun défend ses intérêts. À l’Agglo nous œuvrons pour le bien commun.

Désolés de contredire cette représentante de la bureaucratie de l’eau : il n’y a aucun bien commun fondé sur la négation des attentes des riverains et des usagers, il n’y a aucun bien commun dans la destruction des patrimoines des rivières, il n’y a aucun bien commun lorsque les résultats promis des politiques d’effacement des ouvrages ne sont pas au rendez-vous et que les vraies causes de dégradation de la rivière ne sont pas traitées.

Ces pratiques doivent cesser désormais, d’autant que le ministère a appelé à une mise en oeuvre apaisée de la continuité écologique.

Nous appelons donc les élus et citoyens du bassin du Thouet à exiger un moratoire sur les projets éventuels de destruction des ouvrages en amont, un audit indépendant de la politique menée depuis les années 2010 et une définition concertée des vraies priorités pour la qualité de l’eau… en oubliant pas les usages partagés du Thouet. 

Illustrations : le Thouet aval en été, sans eau, eutrophe, envahi par la jussie,

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Analyser la continuité écologique au-delà de ses bilans « officiels »
Les ouvrages anciens (moulins, forges, étangs) ou plus récents (barrages), installés depuis des décennies à des siècles, tendent à créer au fil du temps un état écologique alternatif sur les rivières, avec des zones courantes et des zones lentes, des retenues et des bras dérivés (biefs). En prenant le choix de les détruire, on occasionne une perte irrémédiable du patrimoine historique et paysager de chaque bassin, ainsi que du potentiel énergétique bas carbone de la rivière et de divers usages riverains. Par ailleurs, les gestionnaires de l’eau jouent aux apprentis sorciers, car ils refusent de reconnaître les conséquences prévisibles: perte de ressource en eau, disparition de milieux aquatiques ou humides, étiages plus sévères avec moindre hauteur d’eau et parfois assec, incision des lits, fragilisation berges et bâtis, moindre écrêtage des crues, disparition de certaines espèces lentiques qui s’étaient installées, suppression de zones refuges, etc.
Les politiques de destruction sont inspirées par des vues souvent dogmatiques sur un idéal de « retour à la nature sauvage » n’ayant pas grand sens dans les milieux européens anthropisés depuis 5 millénaires. Elles nient certaines fonctionnalités écologiques et sociales avérées des petits ouvrages. Ces effacements de barrage ne reposent de surcroît pas sur des bases légales, car le parlement français a demandé dans la loi de gérer, équiper, entretenir les ouvrages autorisés, non de les détruire. Les riverains doivent donc défendre sur chaque site les milieux et les usages menacés par des administrations et syndicats outrepassant leurs prérogatives et faisant des choix néfastes pour la société comme pour le vivant.
Trop souvent, les services de l’Etat (DDT-M, DREAL, Office de la biodiversité), les maîtres d’ouvrage publics (syndicats, parcs, intercos et agglos GEMAPI) et des parties prenantes choisies (fédérations de pêche) se contentent d’énoncer des généralités non vérifiables sur la soi-disant vertu des travaux engagés, ou se limitent à mettre en avant quelques espèces spécialisées de poissons. Mais l’écologie, l’hydrologie, la sociologie, l’histoire, la géographie et l’économie d’un bassin versant ne se limitent pas à ce discours convenu ni à ces enjeux limités. Nous avons besoin d’une analyse critique, indépendante, citoyenne des conséquences réelles des choix de lacontinuité écologique