Les zones humides désormais expertisées des nuages?

Les meilleures dispositions d'esprit et les bonnes intentions peuvent conduire aux pires résultats. Tel est le cas de cette approche au demeurant intéressante : quelle fut l’évolution des zones humides ces dernières décennies à l’aune des principes de valorisation par l’agriculture et la sylviculture intensives? Et dans le passé pour lutter contre les maladies (moustiques). Il y a eu aussi la conversion des ZH naturelles en d'autres types de ZH que sont les étangs d'aquaculture (Nick C. Davidson 2014). La perte des ZH dans le monde est estimée à 50% de celles qui existaient en 1900 (Finlayson et Davidson 1999). Si cette exploration historique peut déboucher sur une cartographie des « zones humides historiques » et leur rendre certaines de leurs fonctionnalités(1) cette modélisation semble digne d’attentions. Quelques commentaires sont néanmoins indispensables.

Le Code de l’environnement

  • Expliquons aux auteurs que la qualification de « zone humide », quand elle fait l’objet d’un classement, répond du CE (Code de l’environnement). Ce n’est pas anodin. Comme en termes de qualification de cours d’eau, insistons sur le fait que tous les écoulements d’eau ne sont pas des « cours d’eau ». Les centaines de milliers d’hectares de terrains hydromorphes ne sont pas des « zones humides ».
  • un aménagement à titre volontaire après vulgarisation et résultant d’une négociation, faisant l’objet pourquoi pas d’une contractualisation. Il s’agit d’une voie pertinente, mais ce message subliminal mérite un développement: « ces zones humides dégradées doivent être considérées comme des sites de négociation dans lesquels des actions d'ingénierie écologique peuvent y être menées ». L’absence de cadre précis pourrait alimenter les dérives existantes.
  • Comme le bon sens n’est plus de mise, que la diffusion des articles, études rapides et SIG (système d’information géographique) doivent trouver une clientèle, le faisceau de « vraies fausses preuves » abonde. Leur utilisation par les services instructeurs constitue une dérive qui tombe sur les pétitionnaires à qui incombe désormais la charge d’analyser les sources invoquées à mauvais escient, puis d’apporter la preuve de leur absence de légitimité légale. En clair : les pièces invoquées ne sont pas opposables. Cela constitue une lourde charge pour les projets particuliers, retarde l’instruction de leur dossier quand cela ne les contraint pas à aller au TA (tribunal administratif) quand l’administration s’obstine contre toute règle et toute évidence (comme si l’objectif consistait à dissuader(2) d’entreprendre).

Pour les projets d’envergure, les prescriptions administratives excessives passent dans le tiroir « compensation ». Une idée louable, mais hormis le volet financier, on n’a pas encore mesuré ce que l’environnement et la biodiversité auraient pu gagner ? Les vrais bénéficiaires sont ailleurs.

Conclusion

Rappelons fermement :

1.Une vue du ciel n’est pas une méthode expertise. La seule qui puisse faire foi est l’expertise de terrain, contradictoire, avec des bottes, un appareil photo en poche, une tarière pédologique dans une main et une flore dans l’autre.

2. Toutes les investigations, quelles qu’en soient les motivations, doivent être prudentes au plan sémantique pour éviter toute suspicion de dogmatisme ou de lecture manichéenne. Entre les zones efficaces, effectives, dégradées, potentielles voire virtuelles, il faudrait réserver l’usage de « zones humides » à celles qui le sont au plan légal. Cette observation concerne également la carte de « pré-localisation » de la DREAL qui peut sous-entendre un « pré-classement » … que les DDT pré-utilisent déjà. En dérogeant à cette prudence descriptive élémentaire, le risque d’amalgame, d’interprétation et de confusion existent.  Par loyauté et juridiquement, ces investigations technico-historiques devraient préciser qu’elles ont une vocation informative et ne sont « pas opposables ».

3.La notion de « zone humide potentielle » doit être bannie du vocabulaire expertal. Hormis les régions karstiques et à fort relief, les 2/3 de la France sont des « zones humides potentielles ». Ce n’est pas sérieux ! Cette potentialité ne peut engendrer que des dérives et susciter tous les contentieux.

4.Le retour à la nature originelle ne peut pas primer ses fonctionnalités (production) ni la loi.

lire l'arrêt ici:  ZH_Conseil d'Etat

Combien de zones humides le monde a-t-il perdu? Sur le long terme et tendances récentes depuis le 18ème siècle ZH_Nick C. Davidson 2014

(1) Nous avons déjà mis en évidence cette destruction institutionnalisée et subventionnée des ZH. Quarante ans plus tard, les résultats techniques escomptés n’y sont pas… et les écosystèmes ont été durablement bafoués. Cette recherche historique de ZH apporterait un éclairage sur ces dysfonctionnements passés et d’y apporter des remèdes. Une analyse multicritères est indispensable car les landes humides reboisées en épicéa de sitka et en pin sylvestre (branchus et rabougris) on fait l’objet d’un changement de nature de culture au cadastre, d’exonération foncière puis d’allègements fiscaux (d’abord Sérot, Monichon puis ISF). Le sujet n’est donc pas uniquement technique : Bercy doit « dire son mot »).

(2) Les projets déposés seraient de plus en plus rares car les verdicts obstructifs de l’administration en suite d’une instruction à charge deviendraient un principe ? Nos retours en témoignent.

https://osur.univ-rennes1.fr/news/les-zones-humides-delimitees-depuis-le-ciel.html

Les zones humides délimitées depuis le ciel

Sébastien Rapinel, Simon Dufour, Laurence Hubert-Moy (LETG-Rennes) et Bernard Clément (ECOBIO) publient en décembre 2017 dans la revue Wetlands les résultats d’une étude portant sur la surveillance à échelle fine et sur le long terme de la déperdition des zones humides.

Sébastien Rapinel, Simon Dufour, Laurence Hubert-Moy (LETG-Rennes) et Bernard Clément (ECOBIO) publient en décembre 2017 dans la revue Wetlands les résultats d’une étude portant sur la surveillance à échelle fine et sur le long terme de la déperdition des zones humides. Les résultats ont été obtenus par couplage de données aéroportées LiDAR et de photographies aériennes historiques.

Les zones humides sont menacées dans la plupart des régions du monde par les actions anthropiques. Cependant, la perte des zones humides est difficile à détecter, à délimiter et à quantifier avec précision sur le long terme. L’objectif des auteurs était de cartographier et suivre la disparition de zones humides à une échelle fine en couplant des données LiDAR et des photographies aériennes historiques basées sur une typologie fonctionnelle qui identifie les zones humides potentielles, effectives, efficaces et dégradées. Les zones humides potentielles correspondent à l'emprise maximale des zones humides avant les dégradations anthropiques. Les zones humides effectives sont des zones humides en bon état écologique. Les zones humides efficaces correspondent, quant à elles, à une fonction principale donnée (dénitrification, valeur patrimoniale…). Les zones humides dégradées sont des zones originellement humides mais qui ont perdu ce caractère suite à des aménagements anthropiques (drains, remblais, etc.…).

Délimitation théorique des zones humides suivant l'approche Potentiel, Existante, Efficace, Dégradée.

L'étude s'est concentrée sur les zones humides de fond de vallée de la Zone Atelier Armorique. Dans un premier temps, les limites des zones humides potentielles ont été extraites à partir des données micro-topographiques LiDAR qui ont été normalisées par rapport à l'altitude du réseau hydrographique. Dans un second temps, les auteurs ont discriminé les zones humides effectives et dégradées à l'aide de photographies aériennes historiques acquises en 1952, 1978 et 2012. Puis ils ont utilisé une analyse de correspondance multiple pour caractériser différents types de perte de zones humides selon l'occupation du sol, la période, la superficie et le contexte géomorphologique.

Pour la première fois, les limites externes et internes des zones humides ont pu être automatiquement identifiées à l’échelle 1:5000 (précision > 88%). Les auteurs évaluent par ailleurs à 14% la superficie des zones humides dégradées depuis les années 1950. En outre, les résultats révèlent également deux grands types de dégradation de zones humides: 1- les remblais de voies de communication dans les petites vallées et effectués dans les années 1950; 2- les cultures céréalières mises en place dans la vallée du Couesnon depuis les années 1980.

La contribution à la gestion des zones humides

Bien que les gestionnaires et les scientifiques inventorient et surveillent largement les zones humides patrimoniales, les petites zones humides dites "ordinaires" sont rarement prises en considération. Cette nouvelle approche fournit une carte détaillée des limites externes et internes des zones humides ainsi qu'une carte de la perte de celles-ci sur le long terme. Ces résultats soulignent que les zones humides de la Zone Atelier Armorique sont dégradées essentiellement sur des terrains privés même lorsque ceux-ci sont inclus dans les aires protégées NATURA 2000 ou RAMSAR "Baie du Mont Saint Michel". Ces zones humides dégradées doivent être considérées comme des sites de négociation dans lesquels des actions d'ingénierie écologique peuvent y être menées afin de reconquérir la ressource en eau et la biodiversité.

  • Natura 2000 est un réseau européen institué par la directive 92/43/CEE sur la conservation des habitats naturels de la faune et de la flore sauvages (plus connue comme directive habitats), du 21 mai 1992 : Le réseau Natura 2000 rassemble des sites naturels ou semi-naturels de l'Union européenne ayant une grande valeur patrimoniale, par la faune et la flore exceptionnelles qu'ils contiennent
  • La Convention RAMSAR est un traité international adopté le 2 février 1971 : elle a pour mission « La conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides par des actions locales, régionales et nationales et par la coopération internationale, en tant que contribution à la réalisation du développement durable dans le monde entier ».

 

Référence
Rapinel, S., et al. (in press, dec 2017). "Fine-Scale Monitoring of Long-term Wetland Loss Using LiDAR Data and Historical Aerial Photographs: the Example of the Couesnon Floodplain, France." Wetlands.

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