Un fossé n’est toujours pas un cours d’eau en décembre 2020

Nous avons depuis 2006 traité à plusieurs reprises ce sujet important des vrais-faux cours d’eau. Il concerne un linéaire très important en France. Nous déplorons les appréciations de type journalistique s’insurgeant sur la "disparition" de cours d’eau alors qu’ils étaient tout simplement qualifiés "cours d’eau" par erreur administrative.
Ces erreurs manifestes d’appréciation alimentent les contentieux judiciaires.
La tendance de l’autorité en charge de l’eau n’est pas à la rectification des erreurs mais à l’obstination dans une doctrine prétendant que la première goutte d’eau tombant du ciel ou sortant du sol doive rejoindre la mer en répondant du code de l’environnement. 

C’est un point de vue univoque … mais sans aucun fondement historique ni légal.
L'affaire Simon de la Selle ci-dessous en témoigne.

 

• 02/03/2005 :       Ségolène Royal demanda aux services déconcentrés d’établir la cartographie départementale des cours d’eau pour décembre 2005.

• 2006 :                   La tâche était telle que les services de l’ETAT effectuèrent un inventaire maximaliste rapide en faisant un copié / collé de la carte IGN.
Cette cartographie, non opposable et pourtant itérative, la DDT rechigne à la modifier.
Elle nie certaines évidences. Elle refuse de tenir compte des remarques des observateurs de terrain et des usagers.
Il s’agit du dysfonctionnement initial car cela aurait permis de rendre cette cartographie départementale plus fiable, alors qu’elles comportent toutes de multiples erreurs puisque l'IGN restitue une imagine physique, sans relation avec le statut administratif des ouvrages hydrauliques. On peut ainsi observer bon nombre de liserés bleus sur la carte IGN n'étant pas pour autant des cours d'eau
Ces erreurs compréhensibles résultent du mode opératoire : le délai imparti pour publier la cartographie était très court.
Mais ce qui est insupportable, c’est ce déni de la réalité s'arc-boutant sur les bévues.

• 11/03/2016 :       Le préfet du Loiret rejette le recours gracieux. Ce principe est lui aussi inadmissible car un recours gracieux (certainement très sérieusement argumenté) devrait éveiller l’attention de l’administration, inviter l’auteur de la décision à reconsidérer sa position. La DDT ne devrait pas refuser d’actualiser un inventaire supposé être indicatif.
• 03/04/2018 :       M. Simon de la SELLE est contraint de saisir le TA d’Orléans. Cette première instance donne raison au requérant et condamne l’Etat à requalifier les écoulements d’eau classés par erreur en "cours d’eau".

Mais dans son obstination le MTES (Ministère de l’écologie) fait appel de ce jugement qui ne lui plait pas.

• 20/09/2020 :       La CAA de Nantes rejette l’appel formé par le MTES. Après les dysfonctionnements des services départementaux, second échec judiciaire du ministère.

• 21/11/2019 :       Cette décision ne convient toujours pas au MTES qui forme un pourvoi au Conseil d’Etat, en le justifiant par la production d’un mémoire.

• 27/11/2019 :       La Haute Juridiction demande au MTES de produire un mémoire complémentaire.

                       Mais quel complément apporter quand on a déjà épuisé tous les motifs inappropriés ? 

                       A court d’arguments, ne pouvant plus soutenir l’invraisemblable, le MTES ne produit même pas le mémoire attendu, renonçant à toute plaidoirie, alors qu’il avait bien saisi le Conseil d’Etat à cette fin.
Or, le défaut de production de pièces promises et demandées dans le délai imparti équivaut, au bout de trois mois, à un désistement.
C’est un flop qui aura coûté 5 ans d’énergie (et très accessoirement des frais) au requérant.

 

Discussion

En clair, toute la chaîne administrative s’est obstinée à tous les échelons, encombrant les rouages judiciaires.

Jusqu’en 2000, les relations entre les techniciens DDT et les usagers permettaient de régler ces sujets sur le terrain au lieu de les transformer en problèmes administratifs et judiciaires.
L’ambiance délétère distillée du sommet de l’administration en charge de l'eau incite désormais toute la hiérarchie à s’opposer "à tout et par principe".
Le défaut d’instruction impartiale des dossiers échoit souvent au juge qui doit rappeler la loi à l’administration.
C’est le dysfonctionnement majeur : se permettre de solliciter le juge suprême du Palais Royal pour trancher un sujet qui aurait dû se solutionner au niveau local.

 

Que dit la loi ? 

Nous estimons que la caractérisation d'un cours d’eau non domanial doit répondre :
1) à l’arrêt de la CCA de Nancy du 20/09/1954 c’est-à-dire disposant d’un débit permanent d’au moins 12 l/s,
2) à la base légale de l’art L.215-7-1 CE qui dispose :
« constitue un cours d'eau un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année ».
Il faut formellement écarter les allégations sur la présence de plantes et d’espèces aquatiques, de vie biologique : il faut un débit suffisant une majeure partie de l’année.

• un canal créé de la main de l’homme, un écoulement d’eau, un fossé ne sont pas assujettis au code de l’environnement (donc hors du champ de compétences de la police de l’eau). Ils répondent du code civil (art 641 et 642).

• un dernier point important sur l'inversion de la charge de la preuve : ce n'est pas au propriétaire mais à l’administration d’apporter la preuve des mesures de débits prises, échelonnées sur 5 ans.

 

cours d'eau_Conseil d'Etat_Arrêt du 02-12-2020_désistement du MTES

 

Illustration : pour une affaire pendante au TA, le préfet maintient que ce ru temporaire entre les liserés blancs), à sec une majeure partie de l’année serait un "cours d’eau". C’est un truisme d'exposer que le fond d’un talweg recueille les eaux de ruissellements. Mais tous ces écoulements d’eau n’en font pas pour autant des "cours d’eau". Et pour étayer ses dires, il produit dans cette affaire une carte secrète sur laquelle figurent des sources inexistantes.
Enjeu pour un cours d'eau qui n'en est pas un :
1) même si le propriétaire obtient gain de cause au TA, son préjudice s’élève d'ores et déjà à 40 000€.
2) s’il perd son recours judiciaire, son préjudice s’élèvera à 250 000 € minimum. 

 

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