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les moulins: réflexions sur huit siècles de patrimoine

Préambule : cet article, copié/collé d’un blog qui évoquait une rivière précise, nous semblait tellement dupliquable au scénario national que nous le reproduisons in extenso, en ayant juste remplacé le nom du cours d’eau par « votre rivière »…

Il suffit de le réécrire en l’adaptant à votre situation locale.

 

Les moulins de « votre rivière »: réflexions sur huit siècles de patrimoine

 Grâce aux travaux sur l’histoire des moulins de « votre rivière », nous disposons des dates de premières mentions des moulins concernés par le programme LIFE+ de restauration écologique.

En voici le tableau, classé par ordre croissant d’apparition : suit un tableau de 24 moulins édifiés entre 1147 et 1704

Tous les ouvrages sont fondés en titre
Les moulins de « votre rivière » ont donc une présence attestée depuis 3 à 8 siècles, le plus récent d’entre eux apparaissant au tout début du XVIIIe siècle. Il est permis de tirer de cette remarquable ancienneté du patrimoine hydraulique de « votre rivière » quelques réflexions.

Du point de vue juridique d’abord, tous les moulins de « votre rivière » sont de droit d’eau fondé en titre. Seul un état de ruine complet (auquel correspondent des critères précis) permettrait à la DDT de nier leur existence légale. Notre association aura prochainement l’occasion de le rappeler à la DDT, dont les services de police de l’eau ont entrepris de contester la validité de certains droits d’eau. Notre association est hélas coutumière de cette posture, dont nous nous sommes déjà plaint jusqu’à la direction de tutelle des agents administratifs au Ministère de l’Ecologie, et que nous continuerons de combattre, y compris devant les tribunaux si cela était nécessaire.

L’impact morphologique des moulins est faible
Du point de vue écologique ensuite, et surtout, le bon sens indique que si les moulins de « votre rivière » affectaient gravement la faune de la rivière, leurs effets n’auraient pas attendu des centaines d’années pour se manifester.

En fait, il est très improbable que les altérations morphologiques des moulins (changements d’écoulement et de franchissabilité dus au seuil en rivière) entraînent un impact notable sur les populations de truites et de moules perlières. On sait en effet par des témoignages historiques assez robustes que ces espèces étaient observées dans la rivière à la fin du XIXe siècle, malgré la présence pluri centenaire des moulins. On sait aussi qu’au cours du XXe siècle, l’effet morphologique des moulins n’a fait que s’atténuer et non pas s’amplifier (ruine et disparition de certains ouvrages, présence de brèches et d’échancrures facilitant le transit piscicole, etc.). Cela signifie que la disparition progressive des moules et la raréfaction des truites s’expliquent très vraisemblablement par l’apparition d’autres facteurs limitants / dégradants au cours des cent dernières années, et certainement pas par les modifications morphologiques modestes, présentes depuis fort longtemps et ayant créé un nouveau profil d’équilibre du cours d’eau dès les XVIIe-XVIIIe siècle. (A noter que ces observations valent pour d’autres espèces sensibles aux perturbations comme les écrevisses, dont le déclin n’a aucune corrélation manifeste avec la densité des seuils).

Nos connaissances sont encore lacunaires
Parmi les causes d’altération piscicole méritant un examen, on peut citer notamment : réchauffement climatique (hausse de la t° moyenne de l’air ayant des effets sur la t° de l’eau par transfert thermique), changement quantitatif des prélèvements en eau pour les usages humains, pollution par les composés chimiques d’apparition récente (domestiques, agricoles, sylvicoles et industriels, ainsi que les micropolluants médicamenteux), recalibrage du lit / modification des rives (avec effets sur les températures, les sédiments, les macro-invertébrés et les niches écologiques en berges), effets direct (prédation, surpêche, braconnage) et indirects (rempoissonnement d’élevage, introduction accidentelle d’espèces concurrentes et de pathogènes) de la pêche de loisir.

Il est remarquable que les deux bureaux d’étude ayant procédé à l’étude du cours d’eau n’ont pas développé de modèle de la rivière incluant l’ensemble de ces impacts que nous venons de mentionner (fut-ce pour les disqualifier, mais de manière scientifiquement robuste). Pas plus que ces bureaux d’étude (ni l’ONEMA) n’ont disposé d’un « état zéro » de la population piscicole assez ancien dans le temps pour juger de l’évolution réelle des truites et des moules, de sorte que la quantification même du déséquilibre piscicole est finalement absente (ou simplement présumée par des biotypologies posant des problèmes intrinsèques).

Ces observations ne sont pas anodines pour l’avenir de la rivière :
– d’une part, les choix du PNR en termes de restauration de « votre rivière » doivent être proportionnés à l’importance des impacts,
– d’autre part, dans le cadre du classement L1-L2 prenant effet d’ici 2017, l’autorité en charge de l’eau (DDT, ONEMA) doit motiver ses demandes d’aménagements sur chaque site, dans le cadre d’une procédure contradictoire, avec des éléments de preuve sur la proportionnalité impact/solution.

Ne soyons pas amnésiques

Pour conclure, les huit siècles (au moins) de présence des moulins sur « votre rivière » devraient inciter les acteurs de l’eau à quelque humilité lorsqu’ils doivent prendre des décisions relatives à ce patrimoine. La dictature du court-terme et de l’urgence nous aveugle souvent et, sous prétexte que nous avons l’opportunité de quelques moyens juridiques et financiers, nous nous autorisons de faire ce que nous voulons, sans consacrer trop de réflexion à la longue durée, vers le passé comme vers l’avenir. Mais l’amnésie n’enfante généralement que l’erreur!

La restauration du patrimoine hydraulique presque millénaire de « votre rivière » et la réflexion sur de nouveaux usages adaptés aux enjeux de notre siècle seraient créatrices de valeur pour la région. L’enjeu mériterait une large concertation entre les riverains, les élus, les gestionnaires de la rivière et les autorités administratives.

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