Réponse de la végétation riveraine à la suppression d'ouvrages hydrauliques (Depoilly et Dufour 2015)

 Une étude de long terme faite sur la végétation riveraine de deux fleuves côtiers bas-normands (Orne, Vire) montre que les arbres situés à l'amont de deux ouvrages de moulins effacés en 1997 ont connu une baisse significative de croissance, en particulier les aulnes. Pour les chercheurs à l'origine de ce travail, les écosystèmes aquatiques, les écosystèmes riverains, le bâti historique et les pratiques sociales doivent être davantage intégrés dans la programmation multidisciplinaire de la restauration de continuité écologique. 

Doriane Depoilly et Simon Dufour, chercheurs en unité mixte CNRS et Université de Rennes, se sont attachés à mettre en évidence l’influence éventuelle de la suppression d’ouvrages hydrauliques sur la ripisylve des cours d’eau du nord-ouest de la France, grâce à une approche dendrochronologique. L’étude a été réalisée sur 2 sites localisés dans les bassins versants de l’Orne et de la Vire (fleuves côtiers bas-normands), le moulin du Viard (Calvados) et le moulin de Rondelles (Manche). Ces ouvrages, d’une hauteur de 2 et 3 m, ont été supprimés en 1997.

Quelle est la réponse de la croissance des arbres de la ripisylve en fonction des espèces et de la localisation des individus par rapport à l’ouvrage?

L'approche dendrochronologique repose sur le fait que les cernes de croissance des espèces ligneuses montrent une variabilité interannuelle de leur largeur, qui est directement liée aux paramètres environnementaux impactant cette croissance ligneuse: climat, apport en eau, ouverture ou fermeture du milieu. Cette approche est aussi utilisée pour reconstituer l'évolution des climats passés.

Une chronique climatique et hydrologique a été analysées sur une période de 34 ans (1980-2013): moyenne des précipitations mensuelles, moyenne des températures minimales et maximales mensuelles. Des placettes d’échantillonnage ont été localisées en amont de l’ancien barrage, à 20, 350 et 538 mètres pour le moulin des Rondelles et à 114, 412 et 560 mètres pour le moulin du Viard.

Résultat : "la mesure rétrospective des cernes de croissance des arbres de la ripisylve sur une période de trente ans met majoritairement en évidence une baisse significative de la croissance ligneuse suite à la suppression des ouvrages".

Les ruptures de croissance sur la période analysée, avant et après la suppression d'ouvrage, Depoilly et Dufour 2015, art cit, droit de courte citation.

Dans le détail, 30 échantillons sur 36 enregistrent une différence statistiquement significative. La suppression a ainsi entraîné un changement de croissance (positif ou négatif) pour près de 83 % des individus avec 66 % de diminution, 17 % de stagnation et 17 % d’augmentation. Concernant les ruptures significatives, la majorité sont à la baisse (77 à 80 % selon le test). Temporellement, les ruptures statistiquement significatives après 1997 sont majoritaires (60 % des arbres). Tous les arbres ne réagissent pas de la même manière: sur un des deux sites, la suppression du barrage affecte négativement la croissance des aulnes mais positivement celle des frênes et des tilleuls (baisse du caractère hygrophile des ripisylves).

Comme l'écrivent le chercheurs, "les résultats de cette étude illustrent en partie la complexité des enjeux politiques et opérationnels qui s’articulent autour de la stratégie de restauration de la continuité écologiques des cours d’eau par suppression des ouvrages de type seuils ou petits barrages. En effet, cette stratégie soulève la question de notre capacité à combiner les effets de telles opérations sur des plans multiples, relevant des dimensions écologistes et socio-culturelles. La mobilisation de critères multiples, si elle assure une intégration plus complète des différents enjeux, ne résout pas les éventuelles oppositions. Ainsi, en ce qui concerne la dimension écologique, la restauration de la continuité se concentre sur le chenal, dont elle vise à améliorer les conditions biotopiques et, dans de nombreux cas, elle n’intègre pas les écosystèmes de plaine alluviale, dont la réponse elle-même peut être variable. (…) nos résultats semblent montrer que le risque d’une perte partielle du caractère humide des habitats riverains en place existe, même si l’ampleur du phénomène reste à analyser plus finement. Si le bilan écologique est difficile à établir pour une seule composante du système, il devient vite évident que le bilan global, intégrant plusieurs systèmes (écosystèmes et sociosystèmes), à différentes échelles spatiales, est encore plus délicat à dresser (Stanley et Doyle, 2003 ; Jørgensen et Renöfält, 2012)."

Discussion
Les auteurs observent : "Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le bien-fondé de la politique de restauration de la continuité, ni de conclure à l’impossibilité d’une prise de décision devant la multiplicité des conséquences, mais bien de souligner la nécessité d’une approche des actions de restauration qui, sans renier ses ambitions, serait probablement plus intégrée, plus en lien avec la diversité des situations et, dans tous les cas, plus explicite dans ces objectifs et ses conséquences." Et ils ajoutent : "Ecosystèmes aquatiques, écosystèmes riverains, bâti historique, pratiques sociales... autant d’éléments à intégrer par des processus qui réclament conjointement des connaissances scientifiques multi-thématiques et des dispositifs politiques efficients".

On ne peut que partager cet appel raisonnable à une approche multidisciplinaire et intégrative de la restauration de rivière, particulièrement de la restauration de continuité écologique. La défragmentation a été portée en France par des objectifs très orientés sur l'expertise hydrobiologique, en particulier la franchissabilité des obstacles par les migrateurs et la réhabilitation d'habitats lotiques pour des rhéophiles. On a oublié un peu rapidement que les habitats artificiels lentiques (biefs, canaux, retenues, étangs, etc.) forme des hydrosystèmes à part entière, connectés aux habitats riverains, avec un bilan de biodiversité et de fonctionnalité ne pouvant se limiter à l'optimisation pour certains assemblages pisciaires ou pour certains traits fonctionnels de ces assemblages.

Discussion sur les enjeux…les vrais :

1) l’idée de cette étude de l’impact de la continuité écologique sur la ripisylve ou sur les ligneux rivulaires est très pertinente : elle élargit le spectre d’études qui aurait dû être menées avant la LEMA 2006.

2)l’impact sur la croissance de l’aulne stricto sensu n’a guère d’intérêt. La croissance d’un arbre dépend aussi de la concurrence spatiale: la croissance diminue au fur et à mesure du développement des sujets voisins. Si la prétendue ripisylve n’a fait l’objet d’aucun acte de gestion (éclaircie, recépage) la croissance diminue inexorablement, indépendamment de l’alimentation hydrique ;

3)la suprématie d’autres essences (frêne, rejets de peupliers) ne s’explique pas a priori (leurs performances, en termes de croissance, sont comparables)  hormis leur positions (profil en travers) et là encore, l’analyse de la concurrence immédiate est indispensable: un frêne en contre haut, sans concurrence, poussera plus vite qu’un aulne en contre bas, concurrencé par ses voisins.

4)si l’aulne n’a aucun intérêt commercial, il peut s’enorgueillir d’un grand intérêt environnemental : il est le champion du monde du maintien des berges. A ce titre, qu’il pousse vite ou plus lentement reste secondaire : cela n’affecte en rien sa fabuleuse capacité racinaire. Il mérite une grande considération.

Accessoirement, il produit un bon bois de chauffage et il était apprécié des boulangers…des considérations désuètes en 2017.

5) si la croissance de l’aulne est un sujet très secondaire, il y a bel et bien un sujet d’intérêt général : celui de la croissance du peuplier. La filière de valorisation du bois de peuplier est sinistrée : emballages en bois révolus à la faveur des caisses en produits pétroliers.

La baisse brutale de la nappe phréatique fait crever les peupliers du lit majeur.

Pour la biodiversité, c’est excellent.;

Pour l’économie et l’emploi, c’est dramatique ;

Pour alimenter les futurs embâcles, c’est un effet collatéral jamais considéré par les partisans des « rivières sauvages ».

Nonobstant le code forestier, les peupleraies exploitées sont de moins en moins replantées. Cela affecte les finances locales sur des milliers d’hectares (peupleraie fortement imposée au titre de l’impôt foncier) et la pérennisation de l’emploi.

Des considérations hors de portée de la continuité écologique.

Un autre inventaire reste à faire…

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Référence: Depoilly D et Dufour S (2015), Influence de la suppression des petits barrages sur la végétation riveraine des cours d'eau du nord-ouest de la France, Norois, 237, 51-64

 

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