L’étang Borgne au royaume des aveugles

Dans la hiérarchie des dysfonctionnements administratifs, le cas de l’étang Borgne sur la commune de Montchevrier (36) est assez kafkaïen. L’étang de 10 ha est fondé en titre, le ruisseau en amont n’est pas un cours d’eau, le cours d’eau en aval du barrage est classé L1 et L2 au titre de l’art L.214-17 CE (donc sans impact administratif sur l’étang) et une voie publique (communale) emprunte le barrage.
Un scénario très enviable ?
En théorie oui, sans compter l’abus de pouvoir et le harcèlement de l’administration. La situation s’est gravement perturbée depuis 2005 au point d’être bloquée en 2017. Depuis une erreur bénigne d’aiguillage en 2005, la gradation fut constante avec à chaque étape, des exigences inappropriées de l’administration mais de plus en plus pesantes pour l’usufruitier. Un arrêté préfectoral, faisant grief à la nue-propriétaire non informée, lui enjoint de laisser son étang en assec définitif. Après le décès de l'usufruitier, l’étau continue à se resserrer. Or, l’étang Borgne n’est pas concerné par la continuité écologique. En guise de réponse, la propriétaire reçoit le 20 janvier 2017 un rapport de manquement administratif de 5 pages et de conclure : «
à défaut d’une réponse de votre part sous 15 jours, je proposerai à M. Le Préfet de l’Indre d’imposer la suppression de l’étang (…) ». Au-delà des arguties invoquées, l’objectif avoué est bien la suppression de l’étang, scénario toujours priorisé au lieu d'encourager la filière piscicole.

      

un ruisseau d'alimentation à sec une majeure partie de l'année.  

Les différentes étapes du dossier:

10 novembre 2005 : après plusieurs visites des agents de la DDT en 2005 pour des sujets divers, l’administration finit par demander au propriétaire de « déposer un dossier de régularisation de pisciculture »

[cet étang fondé en titre dispose déjà du statut de pisciculture, ce que la DDT ne peut pas ignorer].

 

20 janvier 2006 : en toute bonne foi, le propriétaire dépose un « dossier de régularisation pour la pisciculture ».

 

13 mars 2006 : la DDT exige une étude d’impact pour compléter le dossier de demande d’autorisation.

[pour un étang, encore une fois déjà « autorisé sans limitation dans le temps »].

 

  5 mai 2006 : visite de deux agents de la police de l’eau qui constatent la "vétusté des ouvrages" demandent au propriétaire de vidanger l’étang selon des prescriptions particulières déjà transmises.

[les ouvrages prétendument vétustes sont encore opérationnels en 20017].

 

11 mai 2006 : la DDT accorde une autorisation de pratiquer une vidange totale et précise que l’étang ne pourra pas être remis en eau avant d’avoir obtenu préalablement une autorisation préfectorale.

[ 1°- l’autorisation de vidange n’est pas requise pour un étang fondé en titre ;

2°- ce message subliminal d’interdire la remise en eau sous-entend il déjà que l’autorisation préfectorale ne sera pas accordée ? Quoi qu’il en soit, les sachants de la police de l’eau engagent le propriétaire sur de mauvaises voies depuis 1 an.]

 

  6 octobre 2006 : le propriétaire, toujours de bonne composition, a missionné un bureau d’étude et dépose les pièces complémentaires.

 

9 octobre 2006 : la DDT 36 lui délivre un récépissé accusant réception du dossier et demande des compléments.

[2005-2006, l'administration se livre à une lecture très approximative du Code de l'environnement. Les années suivantes l'administration invoque la sécurité et la continuité écologique pour étayer son argumentaire].

 

16 octobre 2006 : la DDT demande de "prendre des dispositions visant à garantir la sécurité des habitants et des voies de circulations situées à l’aval de l’ouvrage  en cas de rupture de celui-ci et à assurer la survie des espèces piscicoles. A ce titre, le plan d’eau ne devait pas être rempli avant la mise en œuvre de prescriptions techniques visant à satisfaire ces exigences".

[ 1°- le problème de sécurité civile concerne les propriétaires des voies publiques, par le propriétaire de l’étang,

2°- l’ouvrage ancien n’a jamais manifesté de risque de rupture (cela ne veut pas dire que le risque n’existerait pas à l’avenir mais il appartient à l’administration de préciser comment cette survenance de risque serait apparue pour en interdire la remise en eau de l’étang en amont.

3°- de quelles espèces piscicoles s’agit-il et en quoi l’étang empêcherait-il subitement leur survie ? ]

 

13 novembre 2006 : la DDT reçoit les compléments qu’elle avait sollicités. Le bureau d’étude propose trois remèdes : redimensionnement de la vanne de fond, augmentation de la capacité du déversoir de crue ou dérivation de l’étang.

[ trois diagnostics ineptes techniquement, très lourds à mettre en œuvre.

1°- la vanne de fond a toujours donné satisfaction,

2°- le déversoir de crue est largement surdimensionné par rapport au busage qui franchit la voie communale,

3°- la dérivation dans un canal de 650 mètres, sans pente, en assec une majeure partie de l’année deviendrait un roncier-saulaie-aulnaie en un an].

 

22 novembre 2006 : projet d’arrêté de mise en demeure portant interdiction de remplissage du plan d’eau et obligation de laisser la vanne de vidange ouverte.

 

7 décembre 2006 : un avis de constatation faisant office d’avertissement officiel est transmis au Procureur de la République pour non-respect du débit minimum garantissant la survie des espèces piscicoles prévu à l’art L.432-5.

 

8 décembre 2006 : le Préfet signe un arrêté interdisant à l’usufruitier de remplir son étang.

[ sa fille pourtant nue-propriétaire n’est pas informée par l’administration. C’est pourtant elle qui subit le préjudice immobilier].

15 janvier 2007 : dans le cadre de l’instruction du dossier « pisciculture », la DDT demande à l’usufruitier de se prononcer sur le choix d’un des trois « remèdes » proposé par le bureau d’étude.

[le scénario est huilé : le bureau d’étude rémunéré par l’usufruitier émet des propositions agréables à l’administration, qui demande ensuite à l’usufruitier de faire son choix].

 

28 juin 2007 : La DDT, au titre de la sécurité publique, évoque la nécessité de réaliser une étude sur le barrage et comportant une étude hydraulique réalisée par un bureau d’étude qualifié. Un projet d’arrêté préfectoral de mise en demeure de respecter toutes les garanties de sureté est joint à ce courrier.

[ Il s’agit d’une erreur manifeste d’appréciation car l’usufruitier n’est pas concerné n’étant pas propriétaire du barrage].

 

4 septembre 2007 : un nouveau complément au dossier est transmis par l’usufruitier.

 

19 septembre 2007 : la DDT expose : si le choix de l’usufruitier se portait sur telle ou telle solution, le classement du barrage pourrait être revu.

[en clair : en réduisant la hauteur –donc la surface- de l’étang et avec une rivière de contournement, les prescriptions sur le barrage seront moindres].

 

22 septembre : l’usufruitier accuse réception de ce dernier courrier mais sollicite un délai de réflexion en raison de la complexité du dossier.

[le dossier a en effet été considérablement complexifié pour obtenir la reddition de l’usufruitier ; mais celui-ci avec cette demande de délai a compris qu’il était dans une nasse].

 

28 septembre : nonobstant cette demande, le dossier de projet d’arrêté préfectoral passe en CODERST et reçoit un avis favorable.

[au CODERST, le propriétaire a la sensation d’être réputé coupable et le dossier présenté par la DDT passe –presque- toujours comme une lettre à la poste].

 

5 novembre 2007 : l’arrêté préfectoral de mise en demeure portant prescriptions complémentaires est signé.

[notons que l’origine du dossier portait sur la "régularisation du statut piscicole" -pourtant régulier- et qu’il n’y a eu aucune suite à l’instruction de ce dossier pourtant exigé et qui a généré des frais inutiles].

 

Vue de "l'étang".  Vide ou plein, pour la taxe foncière, c'est le même tarif

  2012 : l’usufruit tombe avec le décès de l’usufruitier. Sa fille hérite d’un étang vide, et d’un dossier administratif lourd.

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.Epilogue au 30 juin 2017

Nous n’avons pas relaté les nombreux détails, les menaces et les exigences à géométrie variable sans fondement légal sur ces douze dernières années. L’administration prétend:
- « régulariser une pisciculture »,
-  imposer « la dérivation de l'étang Borgne devra être réalisée afin de permettre le transport des sédiments et la circulation des poissons entre l'amont et l'aval ».
- puis exiger l’effacement de l’étang de la carte tout en imposant des frais considérables à une petite commune rurale. Celle-ci devrait en effet éventrer le barrage en son milieu (« au droit de la bonde ») pour agrandir le busage (Ø 300 actuellement) puis tout reboucher, puis reconstruire la route.
Tout cela sans aucun enjeu piscicole ni sédimentaire.

Ce dossier illustre la perte de bon sens, le défaut d’analyse-coût-bénéfice environnemental et bafoue les textes en vigueur.

 

 

 

illustration: photo aérienne de l'étang Borgne le 18 juin 2005

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