Un million d’obstacles intellectuels fragmentent bien plus la pensée unique que les besoins réels des poissons dans les cours d’eau.

Anthropologie pour les nuls.

Après une série d’articles de presse sur la précarité des ouvrages hydrauliques multiséculaires, « Le Monde » a probablement été appelé en renfort pour qu’il se fasse l’écho de la vraie doctrine officielle, sans qu’il ne cherche à en connaître le bien fondé.
La ficelle est toujours un peu plus grosse, mais plus c’est gros, mieux ça passe.
• Comme si les moulins construits depuis des siècles devenaient subitement au 21ème siècle, responsables d’impacts piscicoles alors que les peuplements étaient encore surabondants en 1960 ?
• Comme si l’usage de la force motrice de l’eau consommait de l’eau ?
• Comme si la prétendue entrave à l’écoulement des eaux pouvait réduire les milliards de mètres cubes perdus dans l’océan ?

« Plus de 1 million d’obstacles sur les rivières d’Europe ».
Cet article du monde expose un truisme : « les cours d’eau européens sont fragmentés par une multitude de barrages, seuils, écluses » et d’affirmer péremptoirement par une pirouette qu’il s’agirait « d’une cause majeure et sous-estimée de perte de la biodiversité ».

Cet argument circonstanciel est dérisoire, peu crédible et ne résiste pas à quelques remarques de bon sens :
- la perte de biodiversité semble attribuée, pour partie, au 21ème siècle à la libre circulation d'espèces allochtones et invasives.
- la perte de biodiversité piscicole est due à l’impact de la pêche mercantile de loisir après 1960 qui a façonné les peuplements pour la satisfaction du pêcheur, par des empoissonnements massifs de milliers de tonnes de TAC (Truite Arc en Ciel) stériles et autres espèces non natives.
- la perte de biodiversité depuis 1980 est due à des pollutions intensives, durables, du milieu qui était jadis naturel.

Les naturalistes militants prônent pourtant de plus en plus haut et fort que tout cours d’eau ait une condition de référence comme idéal de qualité, sans intervention humaine.
L’état des lieux originel n’ayant jamais été réalisé contradictoirement, la croyance manichéenne est érigée en axiome par les protecteurs de la nature.
Il devrait rester deux ou trois cours d'eau en France n'ayant jamais été aménagés de la main de l’homme ?
Des cours d’eau sans eau l’été ?

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/16/plus-d-un-million-d-obstacles-sur-les-rivieres-d-europe_6063640_3244.html

 

 

 

Plus de 1 million d’obstacles sur les rivières d’Europe

Les cours d’eau européens sont fragmentés par une multitude de barrages, seuils, écluses, une cause majeure et sous-estimée de perte de la biodiversité.

Par Martine Valo
Publié aujourd’hui à 19h03

Les rivières d’Europe ne s’écoulent pas librement. L’eau est freinée dans sa course non seulement par quelques grands barrages, mais surtout par une myriade d’obstacles en tous genres : seuils, gués, déversoirs, écluses, canalisations de dérivation… Le Vieux Continent est sans doute celui qui a le plus fragmenté ses rivières au fil de son histoire pour alimenter des moulins, forges, scieries, au point de transformer progressivement la majorité d’entre elles en tronçons d’eaux stagnantes. Pour la faune et la flore, pour le sable et le gravier qui vont regarnir les plages sur le littoral, cela change tout. Seul un tiers des rivières de l’Union européenne répond actuellement aux critères d’un bon état écologique défini dans la directive-cadre sur l’eau.

Une équipe de chercheurs majoritairement européens a décidé d’inventorier tous les écueils artificiels qui contrarient les flux des « rivières cassées », selon leur expression, à l’échelle du continent (y compris en Scandinavie, dans les pays baltes, etc.). Ils ont recensé au moins 1,2 million d’ouvrages difficiles à repérer, mal cartographiés, souvent à l’abandon, sur un réseau fluvial de 1,65 million de kilomètres – soit une moyenne de 0,74 ouvrage par kilomètre. Encore s’agit-il d’une estimation prudente qui n’englobe pas les petits cours d’eau. Les 36 Etats sont loin d’avoir une vision juste de la situation qu’ils sous-estiment en moyenne de 36 % à 48 %.

Pour parvenir à cet atlas inédit – le plus complet à cette échelle même s’il pourra être complété –, quatre ans de travail ont été nécessaires au sein du programme Amber (Adaptive management of barriers in Europe ; « gestion adaptative des obstacles en Europe »), avec des financements de la Commission européenne. Une première étude tirée de cette base de données a été publiée mercredi 16 décembre dans la revue Nature ; elle est signée par vingt chercheurs avec pour principale autrice Barbara Belletti, spécialiste en géomorphologie au CNRS et à l’université de Lyon.

Déclin vertigineux des poissons migrateurs

Cette collaboration d’universitaires a pour but de recenser et mieux cerner la typologie des obstacles qui freinent les courants en surface, afin de contribuer à rétablir leur continuité. « Une rivière vivante est une rivière dont l’eau coule, martèle Carlos Garcia de Leaniz, de l’université Swansea au Royaume-Uni, coordinateur du programme Amber et cosignataire de l’étude. Connaître le nombre des obstacles qui les barrent est indispensable. Certains d’entre eux ont un impact énorme sur tout le bassin-versant. La bonne nouvelle de notre étude, c’est que la plupart [des obstacles] atteignent moins de 2 mètres de haut [dans 68 % des cas tandis que 91 % mesurent moins de 5 mètres] et qu’ils sont à l’abandon. On peut donc envisager de les enlever ! »

La stratégie européenne en faveur de la biodiversité décidée en 2020 demande en effet aux Etats membres d’atteindre un écoulement naturel d’au moins 25 000 kilomètres de cours d’eau d’ici à 2030. Car les écosystèmes aquatiques sont parmi les plus variés mais aussi les plus menacés. Le déclin des poissons migrateurs dans le monde est vertigineux : il dépasse 90 % en un demi-siècle pour certaines espèces. Et la fragmentation des rivières en est une des causes majeures. Les poissons – pas seulement les migrateurs – sont impactés tout au long de leur cycle de vie. Ils sont entravés dans leurs déplacements vers leurs frayères, leurs zones d’alimentation, leurs abris qui dépendent aussi des sédiments transportés par les ondes. Ils pâtissent des changements de morphologie des rivières, des lâchers de barrages, de changements brusques de température et de taux d’oxygène. Les retenues d’eau modifient les communautés de macro-invertébrés et augmentent l’abondance du plancton, ce qui favorise la colonisation de certaines espèces planctonivores, réduisant la diversité de la faune.

« Il y avait 1 million de saumons dans le Rhin au XIXe siècle, depuis les grands travaux d’aménagement il n’en reste plus un seul, indique Martin Arnould, président du Fonds pour la conservation des rivières sauvages. On nous objecte souvent que d’autres éléments entrent en ligne de compte : les pesticides, l’urbanisation, le changement climatique, des siècles d’extraction de granulats… Evidemment, mais cela n’empêche pas que, dans une rivière, l’eau a besoin de circuler. On reste perplexe devant la capacité de celles-ci à créer du vivant et à répondre à un rythme extraordinairement rapide dès qu’on enlève un ouvrage. » Il cite en exemple le retour des aloses et des esturgeons dans la Kennebec après l’effacement du barrage d’Edwards en 1999 dans le Maine aux Etats-Unis, ainsi que les premiers effets de la démolition, en 2019, dans le sud de la Manche de l’ouvrage de Vezins – 278 mètres de large, 35 mètres de haut –, et bientôt de celui de La Roche-Qui-Boit sur la Sélune. La France fait d’ailleurs plutôt figure de bon élève : le barrage de Poutès (Haute-Loire) sur l’Allier, qui va être réaménagé et passer de 17 mètres à 7 mètres de haut, est souvent cité comme une référence.

147 rivières étudiées

Selon Carlos Garcia de Leaniz, la restauration des cours d’eau a jusqu’à présent souffert à la fois du manque de données et d’idées fausses. Ainsi le débat sur le retour de la continuité des rivières a tendance à se focaliser sur les grands barrages, alors que ces derniers représentent moins de 1 % du total des ouvrages en moyenne. « C’est la multitude d’obstacles divers qui a le plus d’effet, insiste le biologiste. Si un saumon de l’Atlantique ne peut pas sauter une barrière de plus de 4 mètres dans sa migration, peu importe que celle-ci mesure 5 mètres ou 10 mètres ! Sur les trois facteurs qui entrent en compte : le nombre, la localisation et la hauteur des obstacles, celle-ci est la moins déterminante. »

D’ailleurs, souligne-t-il, prendre systématiquement le saumon pour référence n’est pas juste. « Il incarne certes une espèce iconique mais pas la plus représentative. Et tous les autres poissons qui n’ont pas sa formidable puissance de nage alors ? Et les invertébrés ? »

Le grand défi d’Amber a été de rassembler et d’harmoniser les informations contenues dans 120 bases de données qui diffèrent grandement en qualité et en couverture spatiale, le tout reflétant de sérieuses différences culturelles d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, rapportent les auteurs de l’étude. Certaines différences sont surtout motivées par le potentiel de développement hydroélectrique ; d’autres par les capacités de prélèvements de la ressource hydrique ; ou encore par la préservation de la biodiversité. Pour les ajuster, il a fallu exclure 106 400 duplicatas et nourrir les modèles informatiques d’Amber d’échantillonnages en arpentant les berges.

Au total, 2 715 kilomètres de 147 rivières ont fait l’objet d’une étude standardisée de terrain dans 26 pays. Le public a rapporté une partie des observations lors d’une campagne de science participative par le biais d’une application dédiée, le reste étant fourni par des professionnels. Résultat : la fragmentation de ces 147 cours d’eau s’est révélée supérieure de 61 % aux estimations antérieures.

La sous-évaluation est généralement massive : les Balkans ne recensent pas 76 % à 98 % du total de leurs déversoirs, seuils, barrages de toutes tailles, vannes, conduites, gués… L’Estonie en ignore 91 %, la Grèce 97 %. L’Italie, par exemple, compte officiellement 32 000 ouvrages quand l’étude de Nature en trouve 65 700. A l’inverse, les Pays-Bas – dont les cours d’eau sont les plus fréquemment interrompus avec une densité moyenne de 19 barrières au kilomètre – connaissent avec une grande précision l’état de leur réseau fluvial. La France fait elle aussi figure d’exception avec son inventaire national d’une qualité exceptionnelle.

Dans l’ensemble, « il faut changer de paradigme, small is not beautiful », écrivent les scientifiques : prendre conscience de la réalité des « rivières cassées » et du déclin vertigineux du vivant dans les écosystèmes aquatiques. Or, il existe encore nombre de projets de microcentrales électriques sur les cours d’eau préservés des Balkans et même dans les régions montagneuses de l’ouest de l’Europe.

Martine Valo

 

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