Rétablir la continuité écologique en acquérant les droits d’eau fondés en titre.

Investissez dans un moulin sans seuil
Cette publication  (ici)  d'André Berne nous inspire la plus grande défiance à bien des égards : ce point de vue ne s’appuie sur aucune étude scientifique.
«Pour araser les seuils facilement, il suffit d’acquérir le droit d’eau » Ce message, non seulement est un formidable pied de nez au Code de l’environnement puisqu’il suffirait de payer pour faire fi des règles administratives, mais il soulève un point philosophique et devra répondre d’une approche économique calamiteuse. Pour les opérations de destruction, aucune expertise indépendante n’est menée. L’ONEMA se contente de propager un autosatifecit : ‟c’est mieux après qu’avant” …qui ne convainc que ceux qui y croyaient déjà.

Les postulats initiaux : un échafaudage branlant    
1) l’acquisition d’un droit d’eau n’est pas suffisante en soi pour rétablir la continuité d’un cours d’eau.
2) non, le rétablissement de la continuité d’un cours d’eau ne constitue pas un "impératif écologique vital". L’auteur ne peut apporter aucune preuve puisque cette assertion dogmatique est erronée. Même remarque sur les enjeux majeurs…des centaines d’enjeux majeurs depuis 1960 ; aussitôt énoncés, aussitôt oubliés.
3) « La suppression des obstacles est le seul moyen d’y parvenir ». Cette affirmation défie le sens de l’observation, de la mémoire …et dénie l’intérêt des passes à poissons. A quoi bon cette obligation légale d’en construire ?

4) l’iniquité totale : un ouvrage ‟non fondé en titre” ne recélerait aucune valeur. De ces postulats, l’auteur concocte une méthode d’estimation des droits fondés en titre, ignorant les nombreux seuils qui n’ont pas ce statut. Cela sous-entend aussi, en message subliminal, que la valeur d’un site fondé en titre non équipé ne pourrait plus jamais l'être, qu'il ne recèle aucune valeur potentielle en cas d'aménagements d’ici 2017? Qu’un chêne de 40 ans en forêt de Tronçais n’aurait aucune valeur?

Une dénégation de l’impact social
Occulté complètement cet engouement général pour les seuils, plans d’eau, étangs et ce fort lien social. Témoin ces réactions d’oppositions quasi unanimes sur le terrain. La valeur de ces aménités sociales doit être estimée.

L’aveu philosophique discrédite la démarche
La relecture lancinante de la révolution du 4 Août 1789 et ce regret affiché d’imaginer que puisse encore perduré ce privilège, semble insupportable à l’auteur. D’autant que cette perception de "privilège" aujourd’hui fut à l’époque une impérieuse nécessité. Sans farine, les révolutionnaires seraient morts de faim. « Laisser l’anarchie détruire les moulins c’eût été remplacer la Révolution par la famine » DALLOZ 1852. Les moulins contribuèrent ensuite à l'essor industriel et à la prospérité du pays jusqu’au 20ème siècle. Heureusement qu’un hommage leur est rendu lors des journées du patrimoine et de la journée des moulins… c’est bien là le minimum qu’on leur doive. On ne peut obliger quiconque à cultiver cette mémoire, d’avoir la passion des moulins et d’en reconnaître les usages. Il n’empêche que cet acharnement philosophique à ‟vouloir détruire” discrédite d’emblée l’alibi mathématique au service d’un dogme.

L’étude des impacts       

Etude d'incidence édulcorée ou inexistante, absence de respect des prescriptions des arrêtés préfectoraux, dossiers de déclarations de travaux insipides...voilà le volet administratif bafoué des projets de destruction.

Une approche économique inexistante

Si l'achat du droit d'eau et du seuil étaient destinés à équiper l'ouvrage, la démarche n'a aucun sens économique dans la mesure où il suffirait d'accorder une subvention au propriétaire, sans avoir à endosser les charges futures (gestion, responsabilités diverses, assurance).

-coût de l’opération d’effacement : dans l’analyse de l’acquéreur, on admet que le concept de R.O.I. (Return on investment)  ne soit pas un facteur de prise de décision. Il conviendrait  a minima, d’appliquer la méthode ACA (Analyse-Coûts-Avantages).  Quel(s) avantage(s) réel(s) pour justifier le prix de revient total de l’opération : indemnité + études diverses + travaux d’effacement = ….. € . Le jeu en vaut-il la chandelle? Pour quel bénéfice environnemental?

 -des éléments oubliés dans le calcul de l’indemnité : les  fonctionnalités économiques et sociales du seuil : l’auteur néglige ces fonctionnalités qui devraient être estimées. Outre les particuliers (chambres d'hôtes, restaurant, musée, siège social d'entreprise...) de nombreuses Collectivités ont acquis des moulins qui produisent des richesses hors hydroélectricité.

Absence d'estimation du préjudice immobilier 

Ce qui confère la valeur du site est le qualificatif ‟moulin”. Supprimer ce label et procédons à l’estimation foncière. Le bâti ‟rétrogradé" va supporter une  moins-value immobilière considérable qui, dans la moins mauvaise hypothèse  atteindrait 50% de sa valeur vénale.

Tentez de vendre une voiture sans carte grise : sa valeur correspond au poids de la ferraille. Dans ce cas, on peut calculer la moins-value grâce au marché.

La moins-value immobilière, pour un moulin qui n'en est plus un, en l'absence de réel marché, pourrait atteindre 80%.

Une démarche déloyale

Preuve d'une démarche outrancière et déloyale: il suffirait tout simplement que la Collectivité achète l’ensemble du bien foncier quand il se présente à la vente, ou de le préempter au prix du marché. La Collectivité serait libre de gérer son bien comme elle l’entend (**). Elle pourrait dans ce cas, détruire le seuil de son moulin (après avoir déposé un dossier de demande d'autorisation à la DDT conformément au Code de l'environnement).
Sauf utilisation spécifique, le bâti deviendrait une lourde charge pour la Collectivité. Les contribuables apprécieront.

En résumé, il s'agit une méthode expertale grossière, très incomplète, dont il résulte une indemnité à géométrie variable mais surtout très minorée.

La formule commentée:

V= montant de l’indemnité (nous ne sommes pas d’accord sur le contenu très édulcoré de V dans la présentation d’André Berne).

Il faut ajouter à V1 d'autres facteurs à estimer nommés V2 et V3

V1=  correspond au chiffre d’affaires réel ou potentiel toutes charges déduites, c’est-à-dire au revenu net,

V2= valeur de convenance. Valeur qualifiée de convenance eu égard précisément à son statut administratif plus favorable qu’un édifice non fondé en titre,

V3= dépréciation ou moins-value immobilière du site.

La valeur du droit fondé en titre doit être V= V1+V2+V3

Suivent dans l'article des digressions sur la valeur B alors qu’elle est transparente et relativement simple à cerner. Il suffit, pour l’exemple d’effectuer plusieurs simulations avec B= 25 000 €   puis B=50 000 € etc… Mais peu importe la valeur de B. Il est bien préférable pour le propriétaire de la sous-estimer  et d’être plutôt attentif sur l’interaction entre le "TIR" (taux interne de rentabilité) et "n" (la période considérée).

Le TIR est établi par tâtonnement en recherchant la valeur du taux qui permet d’égaliser le résultat d’une formule d’escompte des recettes prévisibles et d’une formule d’indexation des capitaux produits. C’est donc le taux pour lequel le bénéfice actualisé, s’appuyant sur des valeurs absolues, est nul. Pour un porteur de projet qui prendra en compte plusieurs facteurs, un taux interne de rentabilité supérieur au taux d’actualisation choisi lui permettra d’investir dans l’opération. Le critère du TIR est un critère relatif qui traduit la rentabilité d’un euro investit. A la Communauté de Communes, non rompue à ces concepts, de calculer son TIR. Pour la séduire et forcer la décision d'achat, on lui fait miroiter un t% de 4% voire plus. Parfait ; mais c’est une supercherie pour le propriétaire qui voit son indemnité diminuer au fur et à mesure que le t% augmente. Donc prudence. Un t% de la Banque de France de 0,71% (arrondi à 0,7% pour simplifier nos calculs) lui est bien plus favorable.

(n) : le bât commence à blesser très fort. Comment l'auteur ose-t-il proposer une indemnité calculée sur 20 ans alors que le droit à indemniser perdure depuis 223 ans, qu’il ne s’éteint pas, même par le non-usage ? Il faut impérativement décorréler cette durée confiscatoire de la durée d’amortissement d’une turbine. Une proposition d’indemnité calculée sur 20 ans équivaut à une tentative de spoliation. Rien d’autre.
L’équité serait de calculer sur 223 ans…la décence, à notre avis, serait de retenir consensuellement un calcul d’indemnité sur une période de 99ans (calée sur celle des baux emphytéotiques). Mais faire porter les calculs d’intérêts composés sur une très longue période est dénué de sens. De l’aveu de l’auteur, les résultats sont astronomiques. Nous avons au moins un point d’accord. Le résultat astronomique, même incomplet, n’est cependant pas illogique. Seule la méthodologie est illégitime.

Conclusion 
S’il n’y a pas abus de faiblesse, s'il n'y a pas harcèlement de l'Administration, il nous semble assez peu probable qu’un propriétaire de moulin, jouissant de son entière faculté d’analyse, soit assez déraisonnable pour vendre et voir disparaître sous ses yeux ce qui constitue plus qu’un accessoire c'est à dire l’essence même de son moulin : son seuil. La propriété serait rétrogradée au rang de simple maison dans un fond de vallée, ne voyant le soleil qu’entre 10h30 et 16h15.
Cette approche intellectuelle tentant de détourner le droit, qui prétend s’appuyer sur une méthode expertale édulcorée, mise au service d’une philosophie surannée, n’apporte rien en terme sociétal et plomberait les finances publiques.
Un dossier qui se référerait à une telle publication aurait bien peu de chances d’obtenir gain de cause lors d’un contentieux judiciaire car le maniement de cette formule conduit à un différentiel possible des deux résultats extrêmes uniquement sur V1 de 1 452 786€ (un million quatre cent cinquante-deux mille sept cent quatre-vingt-six euros)… de quoi s’entourer d’expert et d’avocat.

In fine, le contribuable pourrait ne pas apprécier de devoir payer ce combat idéologique d’arrière-garde sous couvert d’écologie, quand on lui demande de se serrer la ceinture au quotidien.

(*)
– « il n’y a pas d’indemnisation possible pour la part de puissance augmentée excédant la stricte consistance légale si la puissance fondée en titre n’a pas été augmentée de manière légale,
– pas d’indemnisation non plus lors de dommages dus à des travaux publics quand il ne subsiste de l’usine que des vestiges et que la force motrice n’est plus susceptible d’être utilisée,
– l’indemnité, en cas de suppression ou de diminution de la force motrice, correspond au droit effectivement utilise ou à la puissance susceptible d’être utilisée étant donne l’état des installations,
– le fait de ne pas utiliser son droit et de laisser ses installations à l’abandon comporte, sinon la perte de ce droit, du moins la perte de son indemnisation ».

(**) Dans (n) années, le site pourrait recouvrer toute sa valeur car le seuil pourrait être reconstruit, par nécessité…avec subventions. Il serait intéressant pour une Collectivité de spéculer dans un moulin sans seuil, acquis à vil prix.

note 2020 : Pour illustrer les belles théories, il faut se pencher sur le dossier financièrement calamiteux de la centrale hydroélectrique de Pont-Audemer. Une gabegie financière de fonds publics, rien de grave !

Calculs
t% variables sur 20, 50 et 100 ans. Pour info, le t% 2012 de la Banque de France = 0.71%.   Pour simplifier nous avons retenu 0.70%.
B provient du potentiel hydro en kW, c’est-à-dire du débit de la rivière (le module Q) x hauteur de chute (H) x 9,81  soit    B kW= Q x H x 9,81
Si le revenu B, par exemple, est de 25.000€/an, nous obtenons selon le taux:

tableau-taux

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