L’étang, le moulin, l’habitus écologique et la biodiversité au fil des croyances.

Il existe une présence quasi-originelle, sociale, devenue constitutive du milieu naturel, des moulins et étangs en cascade sur les cours d’eau qui ont façonné nos paysages culturels. Qu’en est-il de la biodiversité brute, non circonstancielle, non dogmatique ? La biodiversité, avec ou sans l’homme ?

Elle gagne ou elle perd ? Quand et comment est-elle mesurée ? Avec quels indicateurs?

 

 

        

Un peu d’histoire

Rappelons qu’une seigneurie est la propriété éminente d’une personne individuelle (ou collective comme une abbaye), dénommée "le seigneur".

Le territoire de cette seigneurie est strictement délimité. Ses limites apparaissent dans un "terrier" ou "chartier" qui constitue le registre des droits seigneuriaux, droits pesant sur les paysans, dits "tenanciers"(pour la terre qu’ils "tiennent" de leur seigneur) ou "censitaires" (pour le "cens" c’est-à-dire le droit annuel que tous les paysans doivent payer au seigneur).

Cette seigneurie emporte, pour le seigneur, un droit de commandement sur les paysans : le "ban".

Il permet au seigneur de les contraindre, non seulement à utiliser exclusivement le moulin, le four et le pressoir de la seigneurie, mais aussi à payer pour cette obligation des "banalités" !

Ces banalités constituent un droit seigneurial qui est généralement payé en nature.

Comme les autres droits seigneuriaux, les banalités sont plus ou moins lourdes à payer mais sont toujours vexatoires pour les paysans.

Pour faire tourner la, ou les roues, du moulin seigneurial, un étang en amont est nécessaire.

En cas de besoin, et selon son seul bon vouloir, le seigneur pouvait exhausser le niveau du déversoir pour donner plus d’énergie au moulin.

Ce faisant, il inondait en amont les terres des paysans, provoquant leur détestation, et du seigneur, et de l’étang seigneurial.

Le XVIIe siècle étant une période de croissance agricole, les "rentiers du sol" que sont les seigneurs, ont entendu tout faire pour profiter de cette croissance, en faisant appliquer la totalité de leurs nombreux droits sur les paysans, y compris ceux qui étaient tombés en désuétude depuis le Moyen Âge, pour accroître leur "rente".

Ce courant que l’on nomme "réaction seigneuriale" provoqua l’exacerbation des crispations paysannes.

C’est pourquoi, lors de "La grande peur" qui, après la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, anime la rumeur que des "bandits" diligentés par des "aristocrates" se vengeraient sur les communautés villageoises, et donc sur les paysans, de cette première journée révolutionnaire, entre le 14 juillet donc, et la nuit du 4 août qui abolit les privilèges, les châteaux et autres demeures seigneuriales sont prises d’assaut, essentiellement afin de brûler les registres de droits féodaux, terriers et autres chartriers… honnis depuis le Moyen Âge.

Ceci explique la première phase de "la guerre aux étangs" (Jean Boutier, EHESS Marseille) qui conduit alors les paysans à détruire en conséquence les barrages seigneuriaux, fauteurs des "banalités".

Sous la Révolution, la deuxième étape de cette "guerre aux étangs" est radicalement marquée par le décret révolutionnaire de la Convention, qui ordonne le "dessèchement" des étangs du France pour "nourrir la République en guerre".

Cette volonté de détruire les étangs de France, «nous sommes tous de la Conjuration contre les carpes » lancera Robespierre, est alimenté par deux courants de pensée: l’aérisme et la physiocratie.

 

Les courants de pensée

1/ l’aérisme

Au XVIIIe siècle, l’idée -d’origine médicale- est que l’air véhicule des maladies.

De là, une forte défiance à l’égard des marais (Gâtine poitevine) et, par extension, à l’égard des étangs (Sologne), dont l’air propagerait par exemple, le «palud» (du paludisme) et autres morbidités.

De là, la conviction largement répandue chez les députés qu’il faut assécher toutes les « zones humides », marais et étangs confondus (Michel Cassan, Jean Dereix et al. journées d’études -Paris 2005- Persée.org) afin "d’assainir la France".

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2/ les physiocrates

Le deuxième courant de pensée à l’origine du décret révolutionnaire est la physiocratie. Il domine l’économie politique du XVIIIe siècle.

Il s’oppose à ce que l’on nomme le "mercantilisme" qui, du temps de Colbert sous Louis XIV, considérait qu’il n’y avait de richesse que de stocks de métal précieux, d’or et d’argent.

Les physiocrates affirment, au contraire, qu’il n’y a de richesse que la richesse agricole.

D’où le souci d’étendre les terres cultivables, de deux façons :

1)    L’une était, avant la Révolution, conforme à la volonté des seigneurs de s’approprier les "biens communaux", les terres partagées (bois et prairies) des communautés villageoises, pour les mettre en culture et étendre ainsi les terres arables (volonté satisfaite pour 5% des terres du royaume).

2)    L’autre façon d’étendre ces terres labourables pour les physiocrates qui sont nombreux à la prôner, est, celle-là, conforme aux souhaits des paysans.

Il s’agissait d’assécher les étangs, avec cette croyance que, comme le limon du Nil en Egypte, les étangs asséchés deviendraient de bons prés à exploiter !

Il n’est qu’à voir un étang asséché, ou aujourd’hui pudiquement nommé "effacé", pour constater qu’il n’offre plus qu’un tènement sans grande qualité fourragère.

Il ne constitue en aucun cas une terre arable féconde. Une mauvaise pâture tout au plus.

Et pas plus non plus, une « zone humide » d’intérêt environnemental.

Ce concept géographique qui a été détourné à des fins administratives pour désigner les prairies hydromorphes et des étangs asséchés, qui trouveraient sous cette qualification biaisée une pseudo-justification écologique qui perpétue la "guerre aux étangs" continuant de façon méta-consciente, c’est-à-dire sans travail sur le passé, sur des préjugés et croyances plus que bi-séculaires, sans connaissance sur les résultats réels de cette vieille "guerre", qui se poursuit et renaît avec d’autres prétextes et croyances, c’est-à-dire de façon non-rationnelle et comme évidente "ça va de soi " ou pire "la DCE". Or, le compte n'y est pas. Nous avons une autre lecture.

 

Les croyances du 21ème siècle

Cette guerre au nom de l’écologie se fait sans le nom, bien sûr. L’euphémisme administratif "d’effacement" d’un étang est, de ce point de vue, un néologisme qui masque bien la violence symbolique et matérielle du dessèchement de l’étang avec destruction de sa chaussé… mais aussi la violence qu’elle induit sur le milieu écologique et social, sachant qu’il y a des siècles que "la nature" a été modelée par l’homme et que de nouveaux écosystèmes ont retrouvé un profil d’équilibre : « nous sommes dans un contexte où, tout à la fois, on perd et on gagne » (Ch. Lévèque. La Biodiversité avec ou sans l’homme ? 2017).

 Rares sont les paysages "naturels" épargnés. Une prétendue zone humide originelle n’est qu’un indice parmi d’autres de l’invocation d’une nature originelle mythique. En réalité, l’« humidité » de la « zone » d’un étang asséché ou d’une prairie est assénée comme parole de Bible, un postulat devenu administratif, sans la moindre étude scientifique… qui risquerait de montrer le contraire. Le Conseil d’Etat a remis du bon sens dans la qualification d'une "zone humide".   ZH_Conseil d'Etat

 

Epilogue provisoire

Il semble urgent de toiletter le catéchisme manichéen actuel, d’engager plus de science et de bon sens, en lieu et place des nouvelles croyances dogmatiques du 21ème siècle.

 

http://www.toupie.org/Dictionnaire/Habitus.htm

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