Transporter des sédiments... mais lesquels? Le problème des sédiments fins (Mathers et al 2017)

On invoque beaucoup en France, jusque dans le Code de l'environnement, le "transport des sédiments" comme d'une fonction vertueuse pour la santé des rivières et de leurs milieux. Mais l'invocation de ce mécanisme naturel de transport de la charge solide par les cours d'eau doit s'interroger au préalable sur la qualité et la quantité des sédiments que le bassin versant produire naturellement. Nous évoquons aussi et surtout depuis quelques années la nature et les volumes considérables des sédiments artificiels résultant des pratiques culturales depuis 1960. En particulier, comme vient de le rappeler un numéro spécial de la revue River Research and Application, la question des sédiments fins (moins de 2 mm de diamètre), de leur évaluation et de leur impact biologique reste encore largement sous-traitée dans la recherche, et plus encore dans son application à la gestion écologique de la rivière. 
Les sols nus désherbés chimiquement (vigne) et les terres labourées subissent une érosion de dizaines de tonnes/ha/an, entraînant argiles et limons dans les cours d'eau devenus turbides, alors que l'eau des ruisseaux traversant prairies et forêts est beaucoup plus claire. Non seulement, nous observons une destruction massive des sols, mais les rivières ont-elles besoin de terre? La réponse à cette question nécessiterait des études sur les impacts piscicoles et  sur les mesures correctives à apporter. En 2018, c'est très peu crédible mais cela reste la version officielle: les coupables sont les étangs et les moulins
Pour comprendre les enjeux, il faut visionner cet excellent reportage: il expose une part de la formation des inondations et la nature des nouveaux "sédiments" depuis 1960.  

Un colloque national de la British Hydrological Society s'est tenu en 2016, à l'Université de Loughborough (Royaume-Uni), et un numéro de River Research Applications vient d'en publier les actes. Trois thèmes principaux sont associés à la gestion du problème des sédiments fins: caractériser les sources primaires dans les systèmes fluviaux; définir des approches physiques et biologiques de l'évaluation des pressions des sédiments fins sur les écosystèmes aquatiques; évaluer les conséquences écologiques des sédiments fins en excès, par des mesures empiriques et des modélisations.

Comme l'observent K.L. Mathers et ses 4 collègues dans l'article introductif de synthèse, "l'érosion, le transport et le stockage des sédiments fins dans les bassins fluviaux sont largement reconnus comme une cause mondiale de dégradation de l'habitat et de l'environnement. Ces sédiments sont une composante essentielle d'un fonctionnement normal de la rivière. Cependant, les charges sédimentaires de nombreux cours d'eau dépassent actuellement les niveaux usuels en raison du changement de la couverture végétale, de l'utilisation des terres et des pratiques de gestion." Certains modèles prévoient que les pressions des sédiments fins augmenteront à l'avenir en raison des changements de régimes de précipitations et de ruissellement. Il paraît donc essentiel aux chercheurs de développer une meilleure compréhension de la dynamique des sédiments fins : leurs sources, leurs voies d'exportation, leurs dépôts et infiltrations dans les substrats riverains, leurs implications pour les habitats aquatiques et l'écologie.

On considère en général comme sédiment fin une particule de moins de 2 mm de diamètre. Mais la taille n'entre pas seule en considération :  "il est important de noter que la prédiction de l'effet des surcharges sur les organismes dépend fortement d'un certain nombre de facteurs critiques, notamment la granulométrie, la composition chimique, la durée d'exposition et la concentration", soulignent les chercheurs.

Un premier enjeu est de savoir le potentiel de mobilisation du bassin versant et de la rivière. La méthode la plus communément utilisée pour identifier les sources est le "fingerprinting" qui va quantifier les contributions relatives des classes de sédiments dans des échantillons ciblés, recueillis dans le lit ou la charge en suspension. Les sources minérales et organiques sont alors estimées (sols supérieurs agricoles, berges, bordures et talus, fosses septiques et fumiers, végétation en cours de décomposition, etc.).

La mesure des matières en suspension de l'eau (ce qui définit sa turbidité) est souvent effectuée sur les rivières au titre du contrôle pour la directive-cadre européenne sur l'eau. Mais "les effets délétères des niveaux de sédiments fins sur l'écologie des cours d'eau sont associés à leur composante déposée plutôt que suspendue, car les caractéristiques du substrat exercent un contrôle important sur la disponibilité de l'habitat, particulièrement aux stades critiques de la vie", rappellent les chercheurs. Il y a donc un enjeu dans la capacité de quantifier avec précision la teneur en sédiments fins d'un lit de rivière soit directement (analyse physique), soit indirectement (présence ou absence de communautés d'organismes tolérantes des sédiments).

Enfin, comme le soulignent les scientifiques, "une meilleure compréhension des effets négatifs de l'excès de sédiments fins sur le fonctionnement des écosystèmes demeure un domaine où la recherche fondamentale est toujours requise. Malgré la richesse de la littérature et l'intérêt historique pour les conséquences écologiques de la sédimentation, de nombreux processus fondamentaux entourant les effets restent non étudiés". Les chercheurs observent que les implications des dépôts de sédiments fins sur les embryons de salmonidés ont été très étudiées, en raison de l'intérêt économique ou social donné à ces espèces. Mais bien d'autres aspects restent méconnus.

Référence : Mathers KL et al (2017), The fine sediment conundrum; quantifying, mitigating and managing the issues, River Res Applic, 33, 10, 1535-1467

Abonnez vous à notre flux d'articles ici

Les commentaires sont fermés.