La continuité écologique comme voie de fait? Le scandale de l'effacement de Nod sur Seine continue

L'effacement de l'ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine n'avait aucun intérêt écologique. Il a en revanche un certain intérêt en termes de retours d'expérience: effectué sur simple déclaration de travaux, sans aucune protection particulière pour les milieux, sans que le droit d'eau ait été préalablement annulé par arrêté préfectoral, il témoigne de la grande légèreté procédurale du syndicat et de l'administration dès lors que l'on détruit le patrimoine hydraulique. Interpellée en novembre dernier, la DDT 21 nous a répondu trois mois plus tard. Nous sommes en désaccord complet avec les termes de cette réponse.  Quand on sait comment les maîtres d'ouvrage sont actuellement assommés par les moindres détails dès qu'ils veulent entretenir ou rénover leur bien, on ne peut qu'être indigné par le double standard de l'administration : aucune mesure, aucune preuve, aucune démonstration ne nous est opposée, alors que plusieurs témoins ont constaté les centaines de mètres de profil en long modifié sur la Seine et que nous avons pris le temps de formaliser un rapport détaillé. Nous portons donc l'affaire au Préfet et à la Ministre, en attendant de la porter devant juridiction s'il y a matière contentieuse. 

Nous avions exposé au service de Police de l'eau de la DDT 21 les problèmes entourant l'effacement de l'ouvrage Floriet à Nod-sur-Seine, opération par ailleurs inutile au plan des milieux (impact faible,  IPR de la rivière indiquant une qualité bonne ou excellente, vannes déjà retirées par le syndicat Sicec). En particulier, nous avions devant témoins pris un certain nombre de mesures sur site montrant que, de toute évidence, le chantier de destruction avait entraîné une modification du profil de la rivière sur environ 500 m, ce qui aurait dû impliquer une autorisation, une étude d'impact et une enquête publique. Mais le syndicat Sicec a agi sur simple déclaration.

Nous avons reçu la réponse de la DDT 21, que l'on peut consulter sur ce lien.

Il est fait état d'une visite sur site le 20 janvier 2016 constatant un "processus d'érosion latérale sur une centaine de mètres à l'amont", sans aucun élément de preuve (ni photographie, ni relevé, ni mesure). Ce constat est rapporté à l'article L 211-1 CE, qui n'est pas le texte réglementaire que nous avons invoqué dans notre requête (mais bien le R 214-1 CE sur les dossiers IOTA et le R 214-6 CE sur les autorisations). Ce constat ne répond pas non plus à nos observations ni basiquement à notre demande, qui concerne la méthode choisie par la Sicec et la police de l'eau pour définir le profil en long au droit de l'ouvrage à effacer.

De la même manière, le courrier affirme que "la remobilisation des sédiments s'est opérée de manière naturelle et dans des volumes peu importants". Là encore, ce sont de simples affirmations sans quantifications, qui ne répondent pas à notre demande sur une éventuelle analyse chimique de ces sédiments remobilisés (ni de leur volumétrie).

Enfin, le courrier admet que l'arrêté préfectoral d'abrogation du droit d'eau de l'ouvrage n'est toujours pas paru : en d'autres termes, on a détruit un ouvrage légalement installé (au sens du L 214-6 CE). Sauf erreur, cela s'appelle une voie de fait.

Donc pour résumer, la DDT 21 admet que le Sicec a :

·                     effacé un ouvrage ayant encore une existence légale au moment de sa destruction;

·                     modifié le profil en long et en travers de la rivière sans document exposant la mesure de cette modification,

·                     remobilisé des sédiments en quantité inconnue sans analyse chimique de leur contenu ni analyse biologique de leurs effets sur les milieux,

·                     le tout sur une rivière dont l'IPR (point de mesure adjacent au chantier) était de bonne qualité au sens de la DCE 2000. 

Connaissez-vous un seul propriétaire d'ouvrage hydraulique qui pourrait se permettre une telle légèreté dans ses travaux en lit mineur? Nous, non.

Bien entendu, cette réponse n'est pas acceptable. La DDT ne règle aucune question de fond lié à cet effacement (évaluation du profil, des sédiments, des frayères, des risques pour les milieux), pas plus qu'elle nous ne transmet le dossier de demande du Sicec (lequel refuse de son côté de nous répondre, montrant le peu d'estime qu'il a pour les riverains dès lors qu'ils interrogent ses pratiques). Dans toute cette affaire, il n'y a pas le commencement du début d'une démonstration sur l'un des points essentiels pour l'interprétation de la règlementation, à savoir la zone d'influence de l'ouvrage et de son effacement, qui définit soit une déclaration (moins de 100 m de linéaire) soit une autorisation (plus de 100 m).

En conséquence :

·                     nous allons saisir M. le Préfet et Mme la Ministre de l'Ecologie, ainsi que nos élus locaux, de cette affaire qui témoigne de notre point de vue de la partialité et de la subjectivité du contrôle administratif, du caractère bâclé des effacements d'ouvrage et du mépris dans lequel on tient la concertation avec les associations de riverains et propriétaires;

·                     nous allons demander de recevoir l'ensemble des déclarations administratives du Sicec relatives aux projets d'effacements votés en réunion syndicale ou inscrits dans la DIG du 11 juin 2015 (ainsi que les relevés des mesures prévues à l'article 17 de cette DIG) ;

 

Rappelons pour conclure ce qui est le lot quotidien de notre action associative :

·                     les propriétaires d'ouvrages hydrauliques font l'objet d’une surveillance extrêmement méticuleuses et souvent de demandes exorbitantes dès qu'ils veulent curer leur bief ou leur retenue, entretenir leurs vannes, restaurer leurs seuils ou modifier leurs turbines. Parallèlement,  le syndicat Sicec détruit un ouvrage ayant encore son droit d'eau et modifie 500 m de profil de cours d’eau sous couvert d’une simple déclaration de travaux. Et M. le Sous-Préfet de Montbard prétend à "l'impartialité de l'Etat". La sienne, probablement, mais ce n’est pas lui qui instruit les dossiers: cette impartialité n'existe pas sur les questions environnementales liées aux rivières. Cette dérive de l'Etat de droit ne prépare certainement pas des rapports pacifiés entre les riverains, l'administration et les syndicats ;

·                     quand on demande des documents aux fédérations de pêche (exemple du rapport sur l'Ource de la fédé 21), aux syndicats (exemple des documents afférents à Nod-sur-Seine au Sicec), aux Agences de l'eau (exemple des relevés DCE 2000 sur le bassin), il faut dans beaucoup de cas plusieurs courriers, parfois des menaces d'aller à la CADA pour obtenir ces pièces publiques relatives à l'environnement auxquelles tout citoyen devrait avoir accès sur simple demande;

·                     nous avons réclamé à la DDT 21 dès février 2013, à l'occasion de la parution de notre premier rapport sur la continuité écologique en Côte d'Or,  la tenue d'une vraie concertation sur la continuité (avec tout le monde autour de la table – DDT, Onema, Dreal, Agences, propriétaires, associations), mais elle n'est jamais venue, malgré plusieurs relances à la Préfecture ;

·                     nous n'avons pas plus été conviés aux réunions de concertation sur la nouvelle cartographie des cours d'eau lancée en 2015, de sorte que si les biefs ou canaux y sont inclus par l'administration, c'est contraindre le particulier à engager un recours contentieux pour régler le différend, faute d'une concertation digne de ce nom.

Cette attitude vis-à-vis des citoyens engagés dans l'action associative est antidémocratique, hautaine, d’autant plus insupportable quand on prétend accorder du crédit à la démocratie participative. Il n’y a que dans l’application de la politique de l’eau que ces mauvaises pratiques sont apparues depuis 2007 : manipulations d'opinion, désinformation, exigences à géométrie variable des règles et des prétendus besoins, interprétation du Code de l’environnement...

Tant que ces mauvaises pratiques ne seront pas rectifiées, le récent concept de continuité écologique manquera de crédibilité.

Post scriptum : quelques exemples de demandes administratives observées sur nos rivières.

-Un propriétaire veut curer les rejets provenant des travaux de la commune dans son bief : on lui oppose la nécessité de procéder à des analyses chimiques à ses frais (et de prendre la responsabilité des sédiments s'ils sont pollués) ;

- un propriétaire veut mettre une roue décorative dans son bief sans aucun changement ni du lit ni de la consistance légale : on lui demande un dossier détaillé aux cotes ;

- un propriétaire veut changer les pelles en bois de ses vannes : on lui dit qu'il faudra envisager une pêche électrique de sauvegarde dans son bief ;

- un propriétaire au cours d’un chantier de passes à poissons : la police de l'eau vient demander à l'entreprise de changer de quelques centimètres des plots de fond en béton déjà posés.

- cet après-midi, un propriétaire nous relate, indigné, la pression de sa DDT qui est revenue à la charge à plusieurs reprises pour effacer vannages et seuil gratuitement…et d’insister : avez-vous bien compris ? Tout est gratuit…alors que l’objet de la réunion qui venait de  était de constater que les ouvrages étaient conformes au Code !

Des exemples comme ceux-là, il y en a des centaines en France. Et de plus aberrants encore, tant l'administration est devenue fébrile, pointilleuse pour le moindre chantier sur un moulin ou sur ses organes hydrauliques…quand la même administration laisse un syndicat bâcler un effacement, opération autrement traumatique pour l'équilibre en place des milieux, laisse se dérouler des travaux au mépris des prescriptions de l’arrêté préfectoral. C’est tout simplement insupportable.

Il en va de même lorsque des riverains de l'Ource constatent sur plusieurs biefs une forte mortalité piscicole liée à l'ouverture forcée des vannes pour débit minimum biologique, et que l'administration ne procède à aucune enquête sérieuse et nie l'existence d'un problème écologique.

Les trois petits singes, qui symbolisent l’expression du bonheur et de la sagesse en Chine, sont l’allégorie du dogme de la continuité écologique au 21ème siècle en France.

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