Héritage sédimentaire: analyser les sédiments des retenues de moulin avant intervention (Howard et al 2017)

 Des chercheurs anglais travaillant sur la vallée des moulins du Derwent, un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco, soulignent dans un article récent que les moulins ayant accompagné l'histoire proto-industrielle et industrielle, il est fréquent que les sédiments de leurs retenues conservent encore la trace de pollutions anciennes. Leur modèle montre que ces pollutions peuvent être remobilisées après un effacement et contaminer tout l'aval du bassin versant, même à longue distance. Ils appellent donc le gestionnaire à la plus grande rigueur dans la préparation des chantiers et dans l'estimation de leurs enjeux écologiques. Un point que notre association soulève régulièrement, mais en vain le plus souvent car l'administration et le gestionnaire ne s'intéressent guère à ces questions susceptibles de remettre en cause la pertinence des destructions à la chaîne d'ouvrages en rivière.

La rivière Derwent a un bassin versant d'environ 1200 km² pour une longueur de 80 km jusqu'à sa confluence avec le Trent. Entre Cromford et Derby, la vallée des moulins du Derwent fait l'objet d'un classement au titre du patrimoine mondial de l'Unesco. Une série de moulins à coton des XVIIIe et XIXe siècles y préfigure la révolution industrielle et la naissance de l'usine. Outre les ouvrages hydrauliques dédiés au travail du textile, d'autres servaient à moudre la farine pour nourrir les ouvriers ou fabriquer du papier. Les ouvrages mesurent de 1,2 à 3 m et sont assez caractéristiques des différentes formes de seuils anciens, à pente aval plus ou moins douces (cf image ci-dessous).

Les moulins du Derwent étudié par Howard AJ et al 2017, art cit, droit de courte citation.

En plus de son rôle dans l'histoire de la révolution industrielle du textile, la vallée du Derwent est un bassin carbonifère qui a donné lieu à des activités métallurgiques (zinc, plomb) et sidérurgiques. Des sédiments contaminés aux métaux ont été piégés dans les alluvions à des niveaux qui excèdent les critères de sûreté environnementale. Comme l'observent les auteurs, "les ouvrages peuvent donc agir comme des pièges locaux à sédiments sur le socle de la vallée et, étant donné que les seuils sont insérés dans la plaine d'inondation, toute perturbation de leurs structures a le potentiel de relâcher des sédiments contaminés aux métaux dans l'ensemble du système riverain".

Les chercheurs ont utilisé un modèle hydromorphologique (CAESAR-Lisflood) pour simuler ce qui se passerait en cas de destruction des ouvrages sur un linéaire de 24 km. Leur résultat montre que si la reprise de l'érosion et du transport reste faible, elle suffit à remobiliser et diffuser des sédiments pollués, donc à poser des risques environnementaux voire sanitaires à l'aval. Le modèle montre en particulier que lors de crues morphogènes, les sédiments peuvent être transportés à longue distance: l'ensemble de l'hydrosystème est concerné, et non la seule station d'intervention.

Les chercheurs concluent que cette question de l'héritage sédimentaire va au-delà du site étudié à l'heure où l'on modifie les ouvrages anciens pour les détruire, les rendre franchissables aux poissons ou encore les équiper de dispositifs énergétiques : "toute modification des seuils ou autres structures dans le chenal peut potentiellement soulever des enjeux et des problèmes similaires. Dans les zones où les dispositifs de protection patrimoniale ne sont pas bien développés, les conséquences peuvent être particulièrement dommageables, en particulier s'il y a un héritage de pollution. Les problèmes soulevés dans cette recherche démontre le besoin pour les ingénieurs, les hydrologues et les professionnels du patrimoine de travailler ensemble pour considérer les ouvrages comme un ensemble au sein du cadre plus large du bassin versant, plutôt que de considérer leur modification ou effacement sur une base de cas par cas".

Discussion
Le concept de la continuité écologique est aujourd'hui le principal alibi d'effacement des ouvrages hydrauliques en France, à raison de plus de 20.000 sites concernés. Il conviendrait d'avoir une approche intégrée et dynamique par bassin versant, qu'il s'agisse des évolutions de crues et étiages, des espèces invasives, de l'épuration des nutriments et polluants dans les retenues.                             Le travail d'A.J. Howard et de ses collègues rappelle que cette approche intégrée est encore plus nécessaire pour l'héritage sédimentaire dans les régions anciennement industrialisées aux alluvions potentiellement pollués. Effacer un ouvrage est toujours présenté comme un chantier modeste et sans impacts, mais quand 20, 30 ou 40 de ces ouvrages sont classés sur une rivière, la situation est différente. On risque, par effet cumulatif, en réalité une modification complète, substantielle, des écoulements et des sédiments.

Des cas d'héritages sédimentaires problématiques se présentent partout en France, quand on prend la peine d'analyser les sédiments avant d'agir. Par exemple cet été, au moulin de Sailleville à Laigneville, sur la rivière Brêche, où des activités anciennes ont pollué le lit. Mais dans la plupart des cas, le sujet n'est pas du tout étudié: il faut  "faire simple" pour prétendre que l'effacement est forcément la solution la moins coûteuse et de "ne pas faire de vague" pour préserver une réforme très contestée. Les maîtres d'ouvrages publics préfèrent  travailler par cas isolés, sans vue d'ensemble de l'action, sans préparation scientifique et technique sérieuse. Concernant les sédiments des sites d'anciennes activités sidérurgiques du Chatillonnais sur l'Ource, le syndicat estime qu'une analyse des sédiments serait inutile car ...la Dreal et l'AFB n'ont fait aucune remarque particulière à ce sujet. La meilleure façon de ne rien trouver est bien de ne rien chercher!  L'exploitation des mines d'uranium par la COGEMA dans le Limousin aurait-elle pu contaminer les sédiments des cours cours d'eau? Chaque destruction de barrage en Limousin fait fi de la radioactivité des sédiments, puisque les mines sont fermées ! C'est une lecture très peu crédible de l'écologie de la restauration qui insiste sur moult détails en ignorant les facteurs essentiels, des services instructeurs qui sont d'une extrême exigence pour des dossiers  de porteurs de projets privés et d'une grande indulgence pour autoriser un projet de destruction qui leur plait, qui est déjà autorisé bien avant que l'idée du projet ne soit émise. Quelques articles de presse crédibiliseront la démarche.

Un nombre croissant de travaux scientifiques tirent la sonnette d'alarme sur la nécessité de la rigueur et de la prudence dans la planification de ce genre de travaux. Nous sommes très loin du compte.

Référence : Howard AJ et al (2017), The potential impact of green agendas on historic river landscapes: Numerical modelling of multiple weir removal in the Derwent Valley Mills world heritage site, UK, Geomorphology, 293, A, 15, 37-52

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