Adour-Garonne: l'Agence de l'eau empêtrée dans ses contradictions

Malgré une pluviométrie moyenne annuelle confortable de 90 milliards de mètres cubes et des réserves artificielles représentant 800 millions de m3, le bassin manque d'eau. On voit qu'il y a de la marge, alors où sont les problèmes? Une ressource abondante que l'on regarde pourtant filer vers l'océan. Il suffirait de créer des étangs et réserves en dérivation de cours d'eau. Mais Sivens a laissé des traces. Créer des retenues collinaires alimentées par forages? Un non sens total non durable. Les remèdes techniques simples semblent hors de portée des prospectives à cause de postulats dogmatiques qui priment les enjeux réels. Circonvolutions, compromis, consensus, défaut de bon sens et de gouvernance l'emportent sur l'intérêt général. Résultat, en attendant (pourquoi pas) plusieurs Charlas, l'Agence paye pour avoir de l'eau dans les cours d'eau et va payer aussi pour évacuer vers l'océan celle retenue dans les barrages et seuils d'étangs et de moulins. En 2017, la continuité écologique peut s'enorgueillir d'un immense gâchis.
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Le saviez-vous? Pour qu'il y ait de l'eau à Toulouse et à Bordeaux, l'agence de l'eau paye l'eau

Avec une telle ressource, l'exemple de l'eau gravitaire transportée dans des canaux et stockée dans des étangs, une technique fonctionnant gratuitement depuis des millénaires dans les pays méditerranéens, mais qui ne semble pas de mise; probablement trop écologique, trop simple ou trop bon marché?

Dans les remèdes évoqués, on lit: "une compensation totale implique de lourds investissements en termes de création de réserves, sécurise les activités mais est très coûteuse (réservoirs nouveaux à hauteur de 360 millions de m3 et création de deux stations de transfert d’énergie par pompage permettant en parallèle de bénéficier d’un accord de déstockage estival de 500 millions m3 issus des réserves hydroélectriques". En d'autres termes, faire très compliqué "pour faire sérieux"...le bon sens fait généralement défaut.

Quoi qu'il en soit,"les réserves EDF sont dédiées à la production d’électricité en période de pointe (essentiellement pour répondre instantanément aux fortes demandes sur le réseau en période hivernale). Compte tenu des engagements dans la production d’énergie renouvelable au niveau Européen et de l’augmentation des prix de l’énergie, l’achat d’eau à EDF n’est pas une solution pérenne sur le long terme. De plus en plus coûteuse (coût carbone élevé): le déstockage de 46 Mm³ pour soutenir les débits de la Garonne cet été et prolongé en automne a coûté environ 3 M€ à la collectivité dont 75% payé par l’Agence. A titre d’exemple, une journée de déstockage en relâchant un débit de pointe de 15 m³/s consomme plus de 1 Mm³/jour pour un coût de plus de 70 000€/jour. Ou encore, lorsque l’on lâche 15 m³/s dans la Garonne, c’est presque 1€/s (90 ct€/s) qui passe dans le fleuve".

L'auriez-vous imaginé? Budget triplé pour la destruction des seuils et barrages qui constituent des réserves d'eau, l'Agence de l'eau paye

Au lieu de prospectives cherchant à optimiser les capacités de dérivation-stockage des ouvrages existants, l'option de les détruire est privilégiée. Or, la solution de destruction des ouvrages hydrauliques n'a jamais figuré dans la loi et elle soulève une réprobation croissante. Mais l'administration française n'en a cure: elle poursuit son programme détaché de tout contrôle démocratique. Avec le triplement du budget dédié à la seule casse des ouvrages hydrauliques, ainsi que diverses approximations et tromperies dans ses outils de communication, l'Agence de l'eau Adour-Garonne illustre cette dérive. Face à ce déni démocratique, nos parlementaires doivent de toute urgence rappeler aux fonctionnaires qu'ils sont là pour exécuter les lois, et non les interpréter ou les réécrire selon leur bon vouloir.

Les dérives de l'Agence de l'eau se confirment et s'amplifient, comme on peut l'observer dans sa dernière lettre d'information. Extrait:

"L’appel à projets « continuité écologique », proposé par l’Agence entre mars et fin décembre 2016, a très fortement mobilisé 


L’enveloppe prévisionnelle a été triplée pour répondre aux dossiers éligibles (16,5 millions au lieu des 5 initialement prévus). Au final, 167 opérations (sur 215 dossiers reçus) ont été retenues selon les critères de départ : effacement de seuils sans usage économique, situés sur des cours d’eau en liste 2 (effacement obligatoire en 5 ans), dans le cadre d’opérations coordonnées. Pour rappel, 1200 à 1400 ouvrages présents sur les cours d’eau du bassin doivent faire l’objet de travaux pour restaurer la circulation des poissons et des sédiments d’ici 2018.

A noter que les 48 dossiers refusés à cet appel vont être toutefois examinés et leurs porteurs seront contactés pour étudier la possibilité d’agir sur ces ouvrages."

Nos remarques :

  • Avec 16,5 millions pour 167 ouvrages, le coût moyen estimé est de 100.000 euros par ouvrage. On est donc loin du soi-disant coût modeste des effacements et on devine qu'avec un tel budget, ce ne sont pas des buses qui sont concernées. Au demeurant, cela s'observait déjà dans les recueils d'expérience de l'ONEMA (coût moyen observé de 89 k€ par mètre de chute aménagé, soit plusieurs milliards d'euros pour l'ensemble des ouvrages classés au titre de la continuité en France, plus de 20.000).
  • Il y a 1400 ouvrages à traiter selon l'Agence, donc à ce compte-là le coût de la continuité longitudinale pour le seul bassin Adour-garone et pour les seuls ouvrages classés serait au minimum de l'ordre de 140 millions d'euros. Les élus du comité de bassin sanctionnent-ils cette pharaonique dépense et leur a-t-on seulement donné un chiffre prévisionnel, au lieu des généralités floues cachant les données essentielles? Y a-t-il le moindre intérêt général à détruire le patrimoine historique et paysager pour ces sommes exorbitantes? Et cela alors que les plus grands barrages du bassin n'ont de toute façon pas de projet de continuité, car ils sont impossibles à aménager ou effacer vu leurs dimensions et leurs usages?
  • L'Agence de l'eau AG se félicite du succès de son appel à projets, mais il ne concerne que 11% des ouvrages classés : il reste donc 89% de cas orphelin de solutions, indiquant assez combien le délai initial de 5 ans relevait d'un incroyable amateurisme de l'action publique.
  • L'Agence de l'eau AG prétend que le classement d'une rivière en liste 2 signifie pour les ouvrages "effacement obligatoire en 5 ans". C'est une scandaleuse tromperie, la loi n'a pas demandé ni même mentionné l'effacement en rivière de liste 2 !
  • L'Agence de l'eau AG prétend que le délai est 2018 alors qu'en réalité, un délai de 5 ans supplémentaires a déjà été voté l'an passé (donc en fait c'est 2023). Habituel chantage à l'urgence des bureaucrates, qui mentent sur les dates et qui font pression sur les propriétaires en suggérant que les subventions disparaîtront bientôt.

Le déni démocratique permanent: priorité aux solutions les plus décriées par les riverains comme par les parlementaires
Les Agences de l'eau disposent des principaux outils financiers au service de la programmation publique: elles savent très bien que leurs choix sont décisifs pour solvabiliser les réformes. En choisissant arbitrairement de surfinancer la destruction, les Agences se croient manifestement investies d'un pouvoir normatif qu'elles n'ont pas dans le droit français: leur programmation (SDAGE) n'a jamais que le poids d'arrêtés préfectoraux, comme tels soumis à l'obligation de respecter ce que disent les lois (supérieures dans la hiérarchie des normes).

Or, non seulement la loi de 2006 demande que chaque ouvrage soit "géré, équipé, entretenu", et non effacé, ou arasé mais les députés et sénateurs n'ont de cesse de rappeler que la casse des ouvrages hydrauliques n'est pas souhaitable, en particulier les ouvrages des anciens moulins à eau et autres édifices d'intérêt patrimonial ou énergétique. Leur message n'atteint manifestement pas les fonctionnaires en charge de l'eau. Les administratifs continuent d'agir à leur guise, soulevant la colère légitime des citoyens face à ce déni de démocratie et engageant une grave crise de légitimité de l'action publique en rivière.

Informer les parlementaires de la persistance de ces dérives, organiser le débat citoyen sur chaque effacement
Il faudra donc que la loi aille plus loin pour rendre définitivement impossibles les dérives observées, notamment pour imposer un financement public égalitaire de toutes les solutions de continuité. Un certain nombre de sénateurs en sont convaincus et ont déjà voté une proposition de résolution pour réviser en profondeur la politique de l'eau, dont la continuité écologique. Les postures extrémistes produisent l'échec de cette continuité tant qu'elles persistent à promouvoir les effacements, dissuader les aménagements, défendre un programme fantasmatique de "renaturation" qui n'a jamais figuré dans les choix politiques français, mais uniquement dans l'imaginaire de ceux prônant le retour des rivières sauvages, aux oueds.

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