Gestion des étangs: y a-t-il des mensonges innocents ?

Il nous semble nécessaire de déconstruire le dogme de la priorisation de la destruction des étangs en mettant en exergue ses faiblesses juridiques, sa   légèreté administrative et ses croyances environnementales. Cette doctrine récente, portée par des tiers, qui prétend détruire moulins et étangs n’existe que dans le domaine de l’eau. Personne n’aurait l’outrecuidance d’éditer une plaquette prônant l’arasement des forêts, des parcelles en déprise agricole et des immeubles "non entretenus". La posture des FD de pêcheurs qui à la fois acquièrent, louent et stigmatisent les étangs est très incohérente. Le défaut d’entretien n’est pas un modèle technico-économique(1), c’est évident ; mais l’acharnement actuel(2) qui martèle la destruction (que la loi n’exige pas) au lieu de la mise en valeur est scandaleux. Et sept partenaires publics dilapident l’argent du contribuable au lieu de favoriser la gestion, synonyme d’emploi et de rentrées fiscales significatives. C’est la double peine bafouant l’intérêt général: "on détruit et on perd".

 

Plaquette de l’EPTB-Vienne :Effacement_etang

 

En préambule, interrogeons-nous sur la manière d’obtenir le consentement du propriétaire ? Que l’administration auto-proclame et vante les « opérations réussies » nous laisse perplexe quand on en connait précisément le cheminement administratif et psychologique qui président à l’obtention du consentement.

. 1ère étape : la terreur et l’intox

Le propriétaire reçoit des courriers copieux, abscons, de la DDT ou d’un syndicat de rivière invoquant des dispositions légales –souvent interprétées ou erronées- assorties de menaces de sanctions administratives et pénales (voire de prison).

L’intox, c’est le conseil très appuyé de la DDT qui suggère le recours à un BE (bureau d’étude) pour répondre à des calculs hydrauliques complexes (la plupart du temps inutiles puisque la DDT est censée détenir toutes les archives pour les ouvrages autorisés depuis le 15 avril 1829 et avoir régularisé ceux ultérieurs au 29 mars 1993). Les cartes pipées sont sur la table, mais tous les atouts sont dans une seule poche.

.2ème étape : la preuve par 9

Quelques temps après, le bureau d’étude apporte « les preuves » sur un plateau de la nuisance de l’ouvrage. Le bureau d’étude travaille pour être agréable à l’administration et présente sa note d’honoraires à son mandant. En clair, dans 95% des dossiers, le propriétaire paye une étude qui va à l’encontre de ses propres intérêts. Des études sont souvent commandées par un syndicat de rivière, une Collectivité ; c’est plus rapide et englobe tous les ouvrages d’un bassin versant ou d’un cours d’eau ; c’est aussi plus inquiétant pour les considérants et les diagnostics.

.3ème étape : la reddition des troupes

La pseudo étude présente un devis surestimé pour des aménagements et un devis faible –subventionné entre 80 et 100% par l’Agence de l’eau. C’est la carotte à la subvention pour porter l’estocade.

De guerre lasse, les propriétaires privés fragiles et les étrangers -ne maîtrisant pas les tenants et aboutissants- finissent par céder. Dans bien des cas, ces démarches dolosives relèveraient de l’abus de droit et de confiance : les témoignages oraux et les courriers concordent.

Les Collectivités territoriales propriétaires d’ouvrages, désinformées par le martelage idéologique acceptent les destructions et quelquefois se livrent à des manœuvres d’acquisitions immobilières/foncières … pour mieux détruire après la signature de l’acte notarié. Tous les coups sont permis, tous les leviers aussi.

 

La construction de la désinformation depuis 10 ans

1)    Elle repose essentiellement sur un sophisme de ce style: "Il existe beaucoup d’étangs, les étangs peuvent être détruits, donc il faut détruire tous les étangs".

2)    La démocratie de l’eau : un facteur ignoré.

Le récent désamour unilatéral administratif des étangs déroge au très fort engouement social des étangs. Pourtant 1000 personnes sur un plan d’eau de 100 ha n’éprouvent pas plus de plaisir que 10 pêcheurs autour d’un étang d’1 ha. L’administration, censée mettre en œuvre la même loi, a tendance à oublier les plans d’eau de taille conséquente au motif que les effets cumulés des petits étangs, c’est une croyance, seraient plus pénalisants… de l’expertise au doigt mouillé ! Nous observons plus prosaïquement qu’il s’agit d’un rapport de force : l’administration n’a pas le même comportement avec un petit propriétaire paisible de 85ans qu’avec le barrage voisin d’EDF. Ce n’est pas un reproche à EDF, c’est un encouragement au lobby des 450 000 ha d’étangs d’expliquer le poids socio-économique de cette filière ignorée.

3)    Elle a recours au mensonge(3) 

 « Dire faux n’est mentir que par l’intention de tromper, et l’intention même de tromper loin d’être toujours jointe avec celle de nuire a quelque fois un but tout contraire. Mais pour rendre un mensonge innocent, il ne suffit pas que l’intention de nuire ne soit pas expresse, il faut de plus la certitude que l’erreur dans laquelle on jette ceux  à qui l’on parle ne peut nuire à eux ni à personne en quelque façon que ce soit. Il est rare et difficile qu’on puisse avoir cette certitude : aussi est-il difficile et rare qu’un mensonge soit parfaitement innocent. Mentir pour son avantage à soi-même est imposture, mentir pour l’avantage d’autrui est fraude, mentir pour nuire est calomnie : c’est la pire espèce de mensonge. Mentir sans profit ni préjudice de soi ni d’autrui n’est pas mentir : ce n’est pas mensonge, c’est fiction ».

J-J Rousseau. Les Rêveries du Promeneur Solitaire (1776-1778).

Mais qu’est-ce que mentir ?

Suffit-il de dire faux pour qu’il y ait mensonge. Rousseau affronte cette question dans ce texte où il propose une série de distinctions propres à circonscrire l’essence du mensonge.

Nous apprenons au début que le mensonge implique l’intention de tromper, mais critère est immédiatement relativisé par le fait que l’intention de tromper peut être exempte de toute malignité. On peut mentir par générosité à l’égard d’autrui, cependant Rousseau pointe d’emblée la difficulté de l’argument. Car dire qu’on peut tromper sans méchanceté revient à soutenir l’idée qu’il y a des mensonges innocents. Or suffit-il de ne pas avoir l’intention de nuire pour innocenter un mensonge ? Ne faut-il pas encore s’assurer que ce mensonge ne soit, en quelque façon coûteux pour ceux à qui l’on parle et est-il possible d’avoir cette assurance ? Aussi la thèse du texte consiste-t-elle, derrière ce qui peut apparaître comme une casuistique suspecte, à affirmer qu’il est rare et difficile qu’un mensonge soit parfaitement innocent.

D’où la nécessité de distinguer différentes espèces de mensonge et de faire apparaître combien elles sont aux antipodes de l’innocence. Les notions d’imposture, de fraude et de calomnie impliquent des jugements moraux d’une grande sévérité. Le mensonge est la plupart du temps un mal et il est important d’interroger ses diverses motivations pour mesurer la profondeur de sa nature vicieuse.

 4)    Elle est dans l’affirmation et ne repose sur aucune étude scientifique.

Un simple exemple, le reproche « d’évaporation » n’est pas sérieux : un hectare de futaie feuillue "évapore" beaucoup plus qu’un hectare d’étang. Ce reproche est-il opposé aux futaies feuillues ? Autre appréciation à géométrie variable sur les sédiments…

 

 Faiblesses juridiques et manœuvres dolosives

1)    L’option de la destruction fait fi de la loi au titre de la gestion équilibrée de l’eau. Le code de l’environnement est clair : ce sont tous les usages qui doivent être considérés au titre de l’article  L 211-1 CE.. A défaut, la décision est contestable.

2)    L’abus de droit de faiblesse et de consentement ;

3)    La preuve du préjudice ;

4)    Défaut de l’obligation générale d’information

L’obligation générale d’information (art 1112-1 du Code Civil) concerne tous les co-contractants. Il existe bien un contrat ou une convention entre le propriétaire et le maître d’œuvre ? Il y a fort à parier que le devoir d’information du sachant soit toujours lacunaire sur les points juridiques suivants :

défaut de mention de la valeur du bien,

informations déterminantes (le montant du préjudice immobilier, par exemple)

informations que le propriétaire ignore légitimement.

L’EPTB précise-t-il au propriétaire que la valeur vénale du foncier sera divisée par 10 ? Qu’il devra changer la nature de culture au cadastre : "lande" à la place "d’étang". Les Collectivités territoriales complices de ces destructions se privent du recouvrement de la taxe foncière élevée (60 à 90€/ha selon les communes) des étangs.

Si ces opérations se poursuivent, il ne serait pas étonnant qu’un jour, un ayant droit s’estimant spolié, réclame réparation du préjudice financier au maître d’œuvre au titre du manquement à son devoir d’information.

 

Les légèretés et complaisances administratives

L’iniquité de l’instruction d’un dossier de "création" par rapport à un dossier de "destruction" discrédite le service instructeur. Il appert que l’équité de traitement n’est pas acquise.

Discussion

Quand un porteur de projet dépose un dossier de "déclaration", il comporte une étude sérieuse et exhaustive. Selon la nomenclature, il peut s’agir d’un dossier "d’autorisation", procédure beaucoup plus lourde (étude d’impact, enquête publique…). Dans les deux cas, le dossier est instruit "à charge". En clair : à la virgule près, quel moindre élément pourrait être opposé au pétitionnaire au titre du CE, du SDAGE, du SAGE, de la DREAL, des avis de l’AFB (ex-ONEMA), et de la FD de pêcheurs départementale, puis de l’AAPPMA locale, du SPANC et des ONG ? Les prétextes pour retoquer un dossier ne sont pas difficiles à trouver.

Pour une destruction d’ouvrage, la DDT se contente souvent d’une déclaration de travaux très édulcorée, voire d’un simple "porter à connaissance". Pourtant, la destruction d’un étang, donc d’un écosystème, n’est pas sans incidence environnementale.

Il serait significatif de comparer un dossier de demande de création et un dossier de demande de destruction : les éléments étudiés, le nombre de pages –annexes comprises- et les délais d’instruction. Rappelons que l’on peut demander à la DDT copie d’un dossier quand des fonds publics sont engagés.

 

Les croyances et les paradoxes environnementaux

L’invocation des maigres considérants environnementaux(4) nous laisse très perplexe. Les éléments sont réversibles selon les nécessités d’un argumentaire erroné ou très pauvre. Dans un dossier "création"  ou de renouvellement d’autorisation trentenaire, il faut exposer dans le moindre détail les impacts environnementaux et les mesures compensatoires à la charge du porteur de projet.

Pour un dossier "destruction"  d’étang, il n’y a pas d’impact : pas d’espèces protégées menacées, aucune plante d’intérêt, pas d’insecte ni de batracien…rien; circulez!

Ces certitudes manichéennes sont peu crédibles car des étangs "non gérés" depuis des décennies constituent de véritables oasis de biodiversité…des mangroves en France !

 

Epilogue

Personne ne contestera le fait qu’un bien foncier (un étang en particulier) doive être géré et entretenu ; c’est la théorie.  Les organisations professionnelles tentent d’inciter les propriétaires à gérer leurs étangs. Dans la pratique : un contexte économique difficile, une prédation très importante, l’absence d’encouragements des pouvoirs publics pour cette filière oubliée…nous avons les principaux facteurs conduisant à la non-gestion temporaire. Il n’y a pas mort d’homme(5).

L’impact sur la qualité de l’eau (t°et O2 dissous) reste à hiérarchiser par rapport aux produits chimiques qui déciment les peuplements piscicoles et mettent la santé publique en danger.

 

source : Roussseau_mensonge

(1) le défaut d’entretien peut résulter d’une conjoncture difficile ou –c’est souvent le cas- provenir de facteurs personnels. Chaque propriétaire n’a pas forcément ni la compétence ni l’envie de "gérer" ses biens. C’est très dommage mais ce n’est ni illégal ni irrémédiable : les générations suivantes peuvent y pourvoir.

la vulgarisation, c’est son rôle originel, est orientée vers la gestion, la promotion d’une technique, d’une filière avec, pourquoi pas, l’étude de mesures incitatives. Cela frôle l’ignominie quand cette "vulgarisation" est portée par un tiers, à l’insu des propriétaires, des organisations professionnelles sur un sujet qui va à l’encontre de leurs intérêts et de l’intérêt général.

(2)l’EPTB-Vienne excelle dans cette voie ; cet EPTB cherche-t-il des missions innovantes pour légitimer sa présence, tenter de pérenniser l’officine par crainte de sa disparition? Toujours est-il : on sent bien que les réflexions tous azimuts ne pensent pas toutes dans le bon sens, mais ce qui est écrit est écrit…comme ce qui suit.

(3)le dogme, l’outrance et le mensonge à l’aune de la philosophie : ce site internet nous rappelle que l’homme ne change pas.

(4)de nombreux étangs non gérés (nous en connaissons de 3 à plus de 30 ha) depuis des décennies constituent des réservoirs de biodiversité tellement riches que l’option de leur effacement verrait une opposition ferme, nette et justifiée des ONG environnementales, du CEN et de la DREAL associées.

pour les grands étangs, le dogme se frictionnerait à l’opposition de la LPO et de tous les classements environnementaux.

(5)où est l’homme dans ces paradoxes ? Tout prochainement et dans la douleur (prix du fret, considérations environnementales, autosuffisance alimentaire en protéines), on pourrait découvrir que le poisson pourrait être élevé en France (les moines le faisait déjà) au lieu d’importer un poisson élevé sans traçabilité à l’autre bout du monde. Circuits courts ou court-circuit ? Le défaut de bon sens nous exaspère.

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