Projet de décret portant diverses modifications des dispositions du code de l’environnement relatives à la notion d’obstacle à la continuité écologique

Le premier article du projet de décret vise à modifier la définition réglementaire de l’obstacle à la continuité écologique qui est actuellement donnée au R214-109 du code de l’environnement : « constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 et de l'article R. 214-1, l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants :

1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu'il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ;

2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;

3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ;

4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques ».

 

Cette définition nous semble suffisante.

 

http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?page=article&id_article=1742

 

A)   COMMENTAIRES

Ce projet de rédaction de décret, tout d’abord concernant la note de présentation, appelle de notre part les remarques suivantes :

 

«Cette définition énonce des critères génériques et identiques quel que soit le niveau de protection du cours d’eau sur lequel il se situe ». Rien de plus normal : il s’agit de définir l’obstacle, pas le cours d’eau.

En idée subliminale : l’objectif inavoué du décret consiste à imposer les contraintes de la Liste 2 à tous les ouvrages, voire à imposer des prescriptions complémentaires au cas par cas (cela ouvre de grandes portes), sans remettre en cause le classement du cours d’eau en L1. Plus la ficelle est grosse, mieux elle passe.

En d’autres termes: cela s’appelle "refonte de la loi sans y toucher"  et "déni total de l’esprit du législateur".

 

•Outre l’aveu d’absence de «justification réelle», la note de présentation est très délusoire. Ce n’est pas parce que la «différence de niveau d’effet » ne serait pas précisée par l’art L.214-17 qu’il existerait un lien avec «l’interdiction complète de toute construction nouvelle édictée par le législateur ».

Traduction : et toujours cette tromperie d’associer ce prétendu « besoin de renforcer les critères des ouvrages existants… puisque les constructions nouvelles sont interdites ».

En très confus : le décret prétendrait appliquer «une protection plus forte de l’effet d’un obstacle»…pour «un ouvrage qui ne peut pas être autorisé» (ce sont les termes) et de confirmer plus loin : «le niveau d’effet d’obstacle qui ne peut pas être autorisé sur un cours d’eau classé en liste 1».

Décodage : ne nous méprenons pas : le sujet n’est pas de définir "l’effet des obstacles" (qu’il est de toute façon interdit de construire), mais de faire le rapprochement symétrique : "définition réglementaire de l’obstacle ó interdiction" ou, a minima, de lui infliger des prescriptions quasi abrogatoires.

 

«Cette protection doit nécessairement être plus forte». Il est donc indispensable d’étayer cette allégation qui doit être prouvée. En quoi consisterait cette prétendue «nécessité» ? Affirmer ne constitue pas une preuve.

 

«Une autorisation qui pourrait éventuellement l’être sur un cours d’eau non classé». Pour être très précis et sans polémique : combien d’autorisations ont-elles été accordées pour des créations nouvelles d’obstacles sur de cours d’eau classés L2 et sur des cours d’eau non-classés ?

«Une circulaire du 18 janvier 2013 essayait de préciser cette différence mais a été en partie annulée par le Conseil d’Etat qui a considéré que les dispositions législatives et réglementaires existantes ne permettaient pas de faire cette différence par le biais d’une circulaire».

Faisant fi du Conseil d’Etat : il est "nécessaire" de resserrer l’étau "pour appliquer l’objectif de la loi de protection plus forte".

Cette clarification intrication permettra de simplifier aux services déconcentrés d’harmoniser sur tout le territoire le traitement des demandes (voire d’alimenter les contentieux.... ou d’encourager l’inertie par la crainte et l’incompréhension qu’elle va accentuer).

 

Ce projet de décret proposé au regard d’un seul prisme méconnaît, lui encore, l’intérêt général.

 

B)   QUEL EST L’INTERET GENERAL ?

Sans évoquer la hiérarchie des textes et des lois, sans évoquer l’emploi, nous avons trouvé que l’intérêt national était assez bien résumé dans les missions des préfets exposées dans le  décret n°2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets et à l'action des services de l'Etat.

L’art 1 dispose : « le préfet de région et le préfet de département sont dépositaires de l'autorité de l'Etat. Ils ont la charge des intérêts nationaux(…) ».

L’art 65 dudit décret précise clairement : « Le préfet de département est consulté sur toutes les décisions administratives prises au nom de l'Etat à l'égard des entreprises du département dont la situation est de nature à affecter l'équilibre du marché local de l'emploi (…)

Il en est de même pour toute décision administrative prise au nom de l'Etat et destinée à faciliter toute opération d'investissement, de développement ou de restructuration d'une entreprise, touchant un établissement situé dans le département ».

 

1)   La sécurité alimentaire

La sécurité alimentaire : un intérêt national

Un intérêt national prioritaire concerne l’autosuffisance alimentaire. Les français consomment 34,5kg de produits aquatiques par an (apport nutritionnel riche en acides gras-oméga 3). La France, qui doit importer 86% de sa consommation, est en déclin régulier depuis des années avec une balance commerciale déficitaire de 3,3 milliards d’euros en 2015(source : Le Sénat. Projet de loi de finances pour 2017 : écologie, développement et mobilité durables : pêche et aquaculture).

En vertu de l’art L.214-17 qui censure de facto le dépôt d’un dossier de demande d’autorisation de création d’ouvrage, le Préfet ne déroge pas au décret n°2004-374. Mais le classement des cours d’eau en L1, par son opposition à encourager la pisciculture d’eau douce, fait fi de l’autosuffisance alimentaire, enjeu d’intérêt national.

 

2)   La transition énergétique

il n’est pas de notre ressort de traiter le sujet des ouvrages hydroélectriques, FHE dispose de l’expertise pour le faire concernant les ouvrages existants.

quelles sont les prospectives nationales pour augmenter la production, dans l’esprit de la transition énergétique ?

La réflexion sclérosée par une approche dogmatique interdit toutes prospectives. Or, le potentiel hydroélectrique français est largement sous exploité. Chaque nouvelle dérivation de cours d’eau dans une zone vallonnée, en fin de canal à pente de 0,5%, produirait une chute d’eau. Au lieu d’abroger les droits d’eau des moulins, il faudrait accorder des milliers de nouveaux droits d’eau, non plus pour écraser du blé, mais pour produire de l’électricité. Les programmes de développement français promeuvent ces techniques simples dans au moins une quinzaine de pays étrangers.

En vertu de l’art L.214-17 qui censure de facto le dépôt d’un dossier de demande d’autorisation de création d’ouvrage au Préfet, celui-ci ne déroge toujours pas au décret n°2004-374. Mais le classement des cours d’eau en L1, par son interdiction de construction d’ouvrages hydroélectriques répondant aux besoins, fait totalement fi de la transition énergétique, enjeu d’intérêt national.

 

C)   DES DISPOSITIONS LEGALES CONTRARIANT L’INTERET GENERAL

1) Si ce projet de décret avait considéré, l’intérêt général, son 1° de l’art1 eût été rédigé comme suit : « ne sont pas concernés les seuils ou barrages dédiés à la pisciculture et à la production hydroélectrique ainsi que les seuils ou barrages à construire pour la sécurisation des terrains en zone de montagne dont le diagnostic préalable du projet conclut à l’absence d’alternative ».

 

2) Une orientation réglementaire portant interdiction totale doit être motivée afin de contrôler la nécessité qui commanderait une telle précaution à titre préventif.

De plus, une interdiction totale de police administrative n’est pas reconnue légale si les libertés publiques sont sanctionnées intrinsèquement.

Par l’arrêt Benjamin du 19 mai 1933, le Conseil d’État affirme qu’en l’espèce, « s’il incombe au maire, de prendre les mesures qu’exige le maintien de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion ». Si la mesure de police est nécessaire au maintien de l’ordre, elle ne peut revêtir un caractère général et absolu d’interdiction.

Cette même autorité juridictionnelle se prononcera le 22 juin 1951 (arrêt Daudignac) à propos de la liberté du commerce et de l’industrie en annulation d’un arrêté de police d’interdiction générale.

Une discrimination non justifiée constitue une exception d’illégalité qui entraîne des conséquences obligatoires de non-application de la norme illégale par l’Administration.

 

3) Le développement durable

•Quant au concept de « développement durable » repris au niveau européen et introduit dans le droit français il reposerait, parait-il, sur trois  piliers : «l’environnement, l’économie et l’homme». Dans les projets d’investissements, il y a toujours un pilier circonstanciel qui prime les deux autres quand l’administration s’oppose au dossier, alors que l’instruction devrait les considérer tous les trois.

Une telle décision illustrerait la primauté illégale et non justifiée de l’environnement sur l’économie et l’homme.

L’exception d’illégalité provient d’une triple origine :

• l’interdiction générale et absolue non fondée par une nécessité réelle et motivée,

• l’atteinte à la notion de développement durable (cf. article L 211-1 CE)

• une discrimination non justifiée au titre de la pisciculture et de l’hydroélectricité, par exemple.

Par voie de conséquence, l’Administration ne pourrait pas appliquer une orientation illégale et se devrait de l’écarter dans ses dispositions illégales         (CE section 14 novembre 1958.Sieur Ponard requête n°35399).

 

4) L’article L.211-1 CE

Nous relevons la contradiction entre les ZRR (zone de revitalisation rurale) censées favoriser, par des incitations financières, le développement économique rural et les interdictions au titre de l’eau et de sa prétendue « gestion équilibrée »  de l’article L.211-1 CE. Il prévoit « la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ».

Cela ne rend-il pas illégale toute décision non conforme à l’alinéa 5° ?

A ce jour cet article est invoqué partiellement et uniquement à charge par l’administration qui invoque des arguments aléatoires et discriminatoires.

L’administration se contredit souvent de manière implicite et à bien des égards, sans apporter aucune preuve ou de nécessité publique quand elle entend s’opposer à une demande.

 

D)   CONCLUSION

 

Il ne s’agit pas dans notre esprit, par cette réflexion loin d’être exhaustive, de refaire le monde et en particulier sur le classement des cours d'eau.

Puisque l’avis du public est sollicité depuis hier, en plein mois d’août, nous l'exprimons et pointons :

-      les non-sens administratifs sans cohérence, qui dérogent à l’intérêt général… variant lui-même curieusement selon les convictions  des interlocuteurs.

-      Les dysfonctionnements administratifs dans le domaine précis de l’eau, qui ont l’habitude de relire la loi à la place du législateur.

Il nous semblait nécessaire de traduire cette note de présentation et de rappeler que le législateur n’avait pas prévu d’assujettir les ouvrages sur les cours d’eau classés en liste 1 aux mêmes règles que ceux classés en liste 2.

Enfin, les prescriptions floues faisant référence à une "perturbation significative" par exemple, ou toute autre, d’un champ d’application imprécis (tel le 4° de l’art 1 qui peut être invoqué à tous les ouvrages de France) sont sujettes à interprétation. 

.

.

Les commentaires sont fermés.