mémoires d'un meunier Bressan

Extrait des souvenirs (2013) de Jean Convert, ancien meunier, adhérent de l’Association des Amis des Moulins de l’Ain, publiés dans le bulletin des Moulins de Touraine (AMT)

Il nous semble intéressant de diffuser les témoignages des "anciens", antérieurs à l'industrialisation massive de l'agriculture et la montée en flèche des diverses sources polluantes. Il n’est pas de notre propos de jouer les anciens contre la science (du genre mieux vaut un bon dicton météo qu'un modèle de l'atmosphère ou la  "certitude" de la femme enceinte sur le sexe de son bébé), car ce n'est absolument pas crédible. Inversement, la céci-surdité des autorités de l'eau à ce genre de témoigne n'est pas tenable. Elle est d'autant moins tenable que sur la plupart des espèces et des cours d'eau, il n'y a aucune mémoire quantitative (aucune mesure dans le temps long). Cette surdité, c’est le déni de la mémoire et du sens de l’observation au profit de la science…ce n’est pas toujours plus probant.

 

 …En 1940, j’avais 14 ans, malgré les pénuries et le manque de main d’œuvre de cette époque, pas de moulin sans charretiers ou voituriers qui amenaient les grains et retournaient la mouture chez les clients, paysans ou boulangers. J’ai donc moi-même pratiqué, non le métier de « charretier » mais celui de simple conducteur. En effet si le cheval sait revenir au moulin par instinct il ne sait pas partir seul chez le client à livrer. J’étais assis sur les sacs, mais souvent il fallait marcher à coté du cheval dans les côtes, le tenir par la bride, et l’encourageais de la voix. Etant trop jeune pour porter les sacs, qui à l’époque faisaient tous 100 Kg, sauf ceux de son qui faisaient 50 Kg, mon père prévenait le boulanger de mon arrivée pour qu’il organise le déchargement des sacs. Mais un problème désagréable, que je cachais, se posait à moi. Les chevaux faisant souvent les mêmes parcours, prennent  l’habitude de s’arrêter devant les bistrots dans lesquels le charretier (en titre) avait ses habitudes. Notre cheval n’y faisait pas exception. Il s’arrêtait et malgré mes demandes insistantes, il ne repartait pas… Finalement, le tenancier sortait et faisait repartir mon cheval. Chaque fois j’étais penaud, surtout que d’un air goguenard il me lançait : « Mon pauvre garçon, tu ne feras jamais un bon charretier ». Paroles bien pénibles à entendre et que j’avais tout le temps de méditer le long du trajet de retour au moulin.

 Je me souviens de l’état dans lequel j’ai connu nos rivières avant les années 50. Ceci pour les jeunes générations qui ne peuvent l’imaginer. Aujourd’hui peu de gens peuvent en causer, car j’ai 84 ans. J’ai grandi chez mon père au moulin de Thuet, à Vonnas sur la Veyle, où je suis resté 40 ans. J’ai eu diverses activités sur d’autres rivières. A mon âge j’ai vu passer l’eau à divers débits, je me rappelle de la grosse crue de 1935, puis des suivantes ; des étiages d’été, des travaux d’entretien. A 18 ans j’ai participé à ceux de la réfection du vannage et la pose d’une nouvelle turbine. En ces temps, en dehors des grosses eaux, l’eau était claire, surtout en août et septembre, nous en buvions, on voyait le fond (1,5 à 2 m.) et l’on s’y baignait. Les pêcheurs étaient nombreux à faire leur friture de petits poissons ou prises de plus gros : la carpe avec des boulettes, le brochet avec un vif ou à la cuillère, comme pour les perches etc…Sous les cailloux, il y avait des « grémilles », dans la mousse des petites crevettes, les pêcheurs trouvaient facilement des appâts le long des berges où vivait tout un monde de petits animaux aquatiques, dont les vers « porte-bois »

Les goujons se pêchaient avec deux ou trois hameçons, maintenant leurs bancs de sable sont recouverts de vase où les herbes poussent. Pareil pour les vairons. Pour frayer, les barbeaux et d’autres venaient sur les bancs de graviers à l’aval du déversoir (ce gros poisson a été l’un des premiers à disparaître !) Les rousses et les chevesnes se frottaient contre le mur de la sortie de la roue ou de la turbine. On voyait, dans le courant, s’agiter leurs ventres argentés.

Les brochets remontaient, parfois assez loin, dans les losnes que formaient les biefs à leur jonction avec la rivière. En fin d’été, nous voyons près de la surface, les alevins regroupés en essaims.

Les anguilles se pêchaient au gros ver ou à la nasse. Lors des étés 41 et 42, du fait du manque de tout, il a fallu revenir aux travaux manuels ; les prés étaient fauchés à la main dès les premières lueurs du jour, dans ceux voisins de la rivière, il arrivait qu’un faucheur s’empare d’une anguille…

   Je sais pour y avoir travaillé, que dans l’estuaire de la Loire, s’y promène avec la marée « un bouchon » (c’est le terme utilisé là-bas), il est seulement chassé lors des crues, puis il se reforme. Ce bouchon est un réel repoussoir pour la faune aquatique, ce qui explique, pour elle, entre autre, la difficulté à remonter le fleuve.

   Aujourd’hui, la pollution a tué l’autodéfense et l’autoépuration, que l’eau de nos rivières avait en elle, favorisant aujourd’hui une eau morte. Pollution en hausse et débits en baisse ne font qu’augmenter  la mort du milieu halieutique. A qui la faute ? Aux seuils des moulins ? Le pauvre meunier est bien là, l’âne, le baudet, « des animaux malades de la peste » de notre bon La Fontaine !

Aujourd’hui, je n’ai plus de moulin, mais je reste attaché à ce que j’ai eu la chance de connaître dans ma jeunesse…                                                          

Jean Convert, ancien meunier Bressan

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