Le moulin du Bœuf gagne au conseil d'Etat contre le ministère de l'écologie.

Le Conseil d'Etat vient de reconnaître l’hydroélectricité des moulins d’intérêt général, et au moulin du Bœuf le droit d'exploiter l'énergie de la Seine à Bellenod. Le pot de terre l'a emporté sur le pot de fer après huit années de lutte dont près de 6 ans de combat judiciaire. C'est une victoire pour les propriétaires et les associations ARPHOC et HYDRAUXOIS qui les ont soutenus.

Cette décision de la haute juridiction est un message très important puisqu'elle rappelle explicitement aux administrations du ministère de l'écologie que l'équipement des moulins entre dans la gestion durable et équilibrée de l'eau telle que la définit la loi, cela sans réserve sur la puissance modeste de chaque moulin.

Ce dénigrement dogmatique de la faible puissance contredit l’esprit de la transition énergétique : toutes les petites productions se cumulent. Le nier est aussi insupportable que dénué de bon sens. Etre opposé par pur principe à tous les projets déroge à l’intérêt général et conduit à la construction de barrages pharaoniques et d’un EPR à Flamanville.

Le moulin du Bœuf envoie un signal puissant :

-       à tous les propriétaires de moulins: n’acceptez plus les arguments sur la production modeste d’un site ni le fait qu’il serait « sans usage ». Rien n’empêche à un ouvrage non valorisé de l’être à l’avenir,

-       à l’administration : quand elle n’a pas envie d’émettre un avis favorable (nous sommes dans

l’intuitu personae, pas dans une instruction loyale de dossier), qu’elle n’a plus d’argument opposable, elle appelle systématiquement à la rescousse l’article L.211-1 CE en dernière cartouche, quelles que soient les circonstances, quel que soit le cours d’eau, quel que soit le projet.
Cette situation spécifique aux dossiers loi sur l’eau est inadmissible : retoqués par principe. Après des appréciations univoques, le L.211-1 CE clôture une instruction dont le résultat était écrit d’avance. Le propriétaire est contraint à exercer un recours judiciaire pour que le juge remette du bon sens dans la balance et rappelle le droit.  

 

En 2013, la préfecture de Côte d'Or avait décidé de casser le droit d'eau du moulin du Bœuf (Bellenod-sur-Seine) et d'empêcher ses propriétaires d'installer une roue pour exploiter l'énergie hydraulique. Mais Gilles Bouqueton et Marie-Anne Portier maintenant leur objectif ont confié à Me Remy le soin de défendre leur dossier devant les tribunaux.
Près de six ans plus tard, dans sa lecture du 11 avril 2019 (arrête n°414211), le conseil d'Etat a donné raison aux propriétaires contre le ministère de l'écologie : il casse l'arrêt du 4 juillet 2017 de la CAA (cour administrative d
appel) de Lyon qui avait validé l'annulation du droit d'eau.

Cet arrêt du conseil d'Etat comporte des éléments d'intérêt pour le monde des moulins :

 

• Le juge suprême rappelle une jurisprudence constante : une absence d'entretien d'un site n'est pas synonyme de perte du droit d’eau : "il ressort des appréciations souveraines de la cour non arguées de dénaturation que si les dégradations ayant par le passé affecté le barrage et les vannes ont eu pour conséquence une modification ponctuelle du lit naturel du cours d’eau, des travaux ont été réalisés par les propriétaires du moulin afin de retirer les végétaux, alluvions, pierres et débris entravant le barrage et de nettoyer les chambres d’eau et la chute du moulin des pierres et débris qui les encombraient, permettant à l’eau d’y circuler librement avec une hauteur de chute de quarante-cinq centimètres entre lamont et laval du moulin, où une roue et une vanne récentes ont été installées. La cour, en jugeant que ces éléments caractérisaient un défaut dentretien régulier des installations de ce moulin à la date de son arrêt, justifiant labrogation de lautorisation dexploitation du moulin distincte, ainsi quil a été dit, du droit dusage de leau, a inexactement qualifié les faits de lespèce."

Maître Jean-François REMY commente : "l’état d’abandon ou l’absence d’entretien d’un ouvrage doivent s’apprécier, conformément aux règles de plein contentieux, à la date à laquelle le juge statue".

• Dans son deuxième attendu, la Haute juridiction cite l’article L.211-1 du code de l’environnent en précisant : "Il résulte de ces dispositions que la valorisation de l’eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production délectricité dorigine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource constitue lun des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l’eau doivent assurer le respect. Il appartient ainsi à lautorité administrative compétente, lorsquelle autorise au titre de cette police de leau des installations ou ouvrages de production d’énergie hydraulique, de concilier ces différents objectifs dont la préservation du patrimoine hydraulique et en particulier des moulins aménagés pour lutilisation de la force hydraulique des cours deau, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage."

Cette jurisprudence sera opposable à tous les services administratifs prétendant que la continuité dite écologique et elle seule primerait tous les autres éléments constituant la "gestion équilibrée et durable de l'eau". Il n'en est rien. Nous n’étions pas d’accord sur cette interprétation biaisée et cette lecture partisane. Le juge, avec bon sens, vient de dire la même chose.

• Le conseil d'Etat retoque également les appréciations de la cour d'appel qui avait allégué de la faible puissance du moulin pour tenter de justifier son absence supposée d'intérêt : "la cour a estimé qu’eu égard à la puissance du moulin du Bœuf, évaluée à 49,2 kilowatts, la perte du potentiel théorique mobilisable de ce moulin était minime à léchelle du bassin de la Seine. En se prononçant ainsi alors que, en tout état de cause, aucune disposition n’imposerait d’apprécier le potentiel de production électrique dune installation à léchelle du bassin du cours deau concerné, et alors, que, au demeurant, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la puissance potentielle du moulin du Bœuf correspond à la production électrique moyenne dun moulin, la cour a entaché son arrêt dune erreur de droit".

 

Donc, non seulement l'hydroélectricité doit être considérée comme faisant partie de la gestion durable et équilibrée de l'eau, mais le préfet doit apprécier chaque potentiel particulier, au lieu d’alléguer d’une manière péremptoire et illégale qu’une puissance modeste n’aurait pas d’intérêt.

Référence : Conseil d'Etat 2019, arrêt n° 414211, Bouqueton et autres contre le ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

Photo (le Bien Public): Gilles Bouqueton (au centre) avec Christian Jacquemin et François Blanchot (ARPHOC)

Abonnez vous à notre flux d'articles ici

Les commentaires sont fermés.