GEMAPI, l’État rebat les cartes ou déforme la volonté du législateur ?

Rappel historique

C’est à la suite des inondations meurtrières de la Faute-sur-Mer en février 2010 que le législateur a décidé via la GEMAPI de responsabiliser et mobiliser les communes et leurs groupements autour du problème aigu des inondations. Il s’agissait alors à travers la protection contre les inondations, de donner aux élus les moyens et la volonté d’intervenir préventivement sur cette protection : constructions de dispositifs pour limiter la vulnérabilité, utilisation raisonnée des permis de construire et des plans d’occupation des sols.

Le législateur voulait à l’époque pousser la directive inondation en dehors des territoires à risque pour considérer le péril dans toutes les communes susceptibles d’y être confronté. La GEMAPI se justifiait donc par la nécessaire clarification des responsabilités des élus dans les zones soumises à un risque évident d’inondation(s). En la matière, son bien-fondé est évident.

 

La loi MAPTAM du 27 janvier 2014 modifia l’article L. 211-7 du Code de l’environnement et prévoit que « les communes sont compétentes en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Cette compétence comprend les missions définies au 1°, 2°, 5°, 8° du I (…)». En intégrant cette phrase, le législateur confia aux communes une compétence propre, la « GEMAPI».

La loi NOTRe du 7 août 2015 vient parachever la nouvelle organisation territoriale de la République.

 

Compétence des EPCI

Chaques catégories d’EPCI énoncent la même compétence qui est la « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, dans les conditions prévues à l’article L. 211-7 du Code de l’environnement ».

La  PI (protection contre les inondations) n’étant pas notre domaine, nous continuons à porter un regard sur le volet GEMA (gestion des milieux aquatiques) et ses modalités d’application.

Or, toutes les nouvelles assemblées territoriales n’offrent aucune garantie de fonctionnement démocratique car le quorum n’est jamais atteint : le vrai pouvoir de décision glisse des élus aux salariés. Et quand l’élu dicte un objectif, c’est pour le développement économique…jamais en faveur des milieux aquatiques.

 

Une dérive opportuniste insidieuse

Mais à ce moment, l’État et les Agences de l’eau font un autre constat :

Le concept de la continuité écologique et du « bon état » écologique (qui devait être atteint en 2015)  peinent à rentrer en opérationnalité. Dès lors qu’il s’agit d’une responsabilité de l’État, en termes de rapportage vis-à-vis de l’Europe, les Collectivités, ayant d’autres priorités, ne se soucient guère d’investir sur ce projet défini par la France d’atteinte du « bon état écologique ».

Seuls quelques opérateurs comme les Syndicats de rivière permettent à l’Agence de dépenser les redevances collectées et dédiées aux milieux aquatiques en intervenant sur les cours d’eau dans ce qu’elle considère comme pouvant être assimilé à une tentative d’atteinte du « bon état écologique », c’est-à-dire l’entretien des rivières : couper des arbres, protéger des berges, intégrer un peu la dimension paysagère et tout cela, la plupart du temps sur le domaine privé. La DIG (Déclarations d’intérêt général) devient l’outil incontournable. Ses justificatifs sont le plus souvent très contestables, exposant de pseudo études lacunaires, diagnostiquant des interventions sans effet réel sur l’écologie, tout cela sous couvert d’une préoccupation initiale théorique : les inondations.

 

Une pluie de DIG

Pour engager des fonds publics sur des propriétés privées, les syndicats et les EPCI doivent passer par une DIG (déclaration d’intérêt général) rappelant en préambule que la responsabilité première incombe au riverain en matière d’intervention sur le cours d’eau. Pour légitimer le projet d’intervention, les initiateurs s’auto-convainquent de « la défaillance des riverains qui n’assumeraient pas leurs obligations : la Collectivité serait contrainte d’intervenir à leur place ». Un argument très spécieux car les outils législatifs existent: il suffit que la DDT exerce son pouvoir régalien  pour les y contraindre puisque la charge d’entretien incombe au riverain d’un cours d’eau, comme pour toute voie publique. En effet le Conseil départemental ou la commune peuvent mettre en demeure le riverain sur ses obligations en termes d'entretien de surplomb des forêts et plantations ; nonobstant les linéaires très importants concernés, il n'y a jamais eu de DIG à ce titre... alors qu'il s'agit de sécurité civile.

 

Autant ces déclarations d’intérêt général peuvent se justifier lorsqu’un constat évident de carence est formalisé, lorsque le danger est scientifiquement étudié puis avéré, autant cette mode contagieuse pour des travaux superfétatoires, ou déviant de l’idée Gemapi voulue par le législateur, constituerait une supercherie si de l’argent public n’était pas dilapidé et si la DIG n’infligeait pas de lourds préjudices à certains riverains sans rien apporter ou presque à l’environnement.

Le transfert de la GEMAPI s’effectue sans bilan et études préalables ni débat sur les réels besoins.

 

La GEMAPI, pourrait affaiblir le niveau de compétence intervenant sur les cours d’eau, ne pas donner les outils nécessaires pour :

• l’atteinte du bon état écologique dont les échéances devront sans cesse être reportées,

• régler les problèmes de la qualité des eaux (pollutions),

En clair, par ces DIG insipides et incapables de répondre aux enjeux, on réduit outrageusement l’atteinte du bon état écologique à des interventions sur les berges, en profitant de cette belle opportunité pour détruire les seuils des moulins ce qui est évidemment loin, très loin des facteurs impactant.

 

Enfin, on ne peut pas s’empêcher de mettre l’accent sur cette incohérence :

le riverain doit entretenir le cours d’eau, mais la GEMAPI permet de s’y substituer totalement techniquement et financièrement,

le riverain, au titre de la continuité écologique, doit assumer totalement et payer les travaux résultant de l’évolution réglementaire.

Une ambigüité qui mériterait de faire débat, car elle instaure le concept d’intérêt général à géométrie variable sur un même cours d’eau.

 

GEMAPI et droit de propriété

Quid de l’intervention sur les propriétés privées ? Selon les dispositions de l’article L. 215-14 du Code de l’environnement, le propriétaire riverain d’un cours d’eau doit en assurer l’entretien régulier pour le maintenir dans son profil d’équilibre. Les obligations se caractérisent par l’enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par l’élagage ou le recépage de la végétation des rives. L’article L. 215-16 du même code énonce les règles applicables en cas de carence du propriétaire, en prévoyant l’intervention d’office des collectivités locales, à la charge de l’intéressé, si une mise en demeure lui enjoignant de faire le nécessaire est restée infructueuse pendant un délai déterminé.

 

Discussions sur le droit de propriété

• La Gemapi concerne majoritairement les cours d’eau du domaine privé alors que les obligations d’entretien et d’intervention sur les cours d’eau incombent au riverain, propriétaire du cours d’eau.

 

• Si pour exercer cette compétence Gemapi sur la totalité du territoire, des DIG sont accordées par les préfets sur l’ensemble des cours d’eau, ceci revient à l’évidence à considérer que les riverains ne seraient plus responsables de l’entretien des dits cours d’eau, qu’ils n’auraient donc plus aucun devoir en matière d’intervention sur les cours d’eau ?

 

• le riverain conserve-t-il des droits et des devoirs sur ces mêmes cours d’eau alors que toutes ces interventions seront financées par de l’argent public ?

 

• les contribuables perçoivent-ils que le transfert de charge privée sur la collectivité grève les finances publiques locales et devient un impôt indirect durable?

 

• Si le syndicat intervient chez un riverain qui n’a donc plus la charge d’entretien, s’il a l’obligation de partager son droit de pêche, de facto ne sommes-nous pas dans le cas d’une atteinte au droit de propriété si les DIG étaient appliquées de façon systématique sur tous les cours d’eau du territoire comme cela en prend le chemin?

 

•Les cours d’eau non domaniaux qui étaient privés, gérés et entretenus désormais avec des fonds publics ne deviendront-ils pas publics ?

 

• Il nous semble très surprenant que les riverains n’aient pas encore pris la mesure de l’enjeu « propriété privée » auquel tout français est attaché, un droit constamment confirmé par le Code civil. Ils pourraient s’en émouvoir quand les pelleteuses arriveront à leur porte.

 

Redistribution des compétences et des responsabilités entre les différents acteurs

Gestion de l’eau : une opportunité d’aménagement du territoire ? Dommage c’est loupé

Avec l’intégration de la GEMAPI les responsabilités incombant aux élus, nous pouvions imaginer l’effet positif de leur implication dans une réflexion approfondie sur la nouvelle opportunité entre la gestion de l’eau et l’aménagement du territoire.

Mais le transfert souhaité par les Agences de l’eau voire de l’Etat, à des structures périphériques comme les syndicats exonère aujourd’hui au moins en partie les décideurs de cette réflexion et de cette responsabilité.

Alors que la GEMAPI faisait le lien entre l’aménagement du territoire et les inondations ce qui est somme toute logique, les agences de l’eau décidèrent avec le concours de l’État de profiter de ce flou législatif pour ramener avec force dans le débat, le volet DCE (Directive cadre sur l’eau) et son ambition de bon état écologique. L’aubaine de la GEMAPI allait pouvoir impliquer les collectivités territoriales dans la restauration, la protection des cours d’eau, en les rendant responsables de l’atteinte du « bon état écologique ». C’est d’ailleurs un peu plus tard qu’un décret officialisera cette démarche en rendant les collectivités territoriales coresponsables avec l’État de futures sanctions européennes. Elles seront responsables juridiquement et éventuellement financièrement.

L’opportunité de redynamiser les territoires en aidant la valorisation des ouvrages(1) proches des cours d’eau tout en abondant les finances publiques en retour sur investissement est un fiasco. L’objectif affiché par la DEB est de les détruire.

D’une disposition louable (lutte contre les inondations), voilà les Collectivités, trompées sur les enjeux de la « GEMA », contraintes de mettre en œuvre une politique contraire à l’intérêt général. Elles sont devenues, sans s’en apercevoir, le bras armé des Agences de l’eau qui financent généreusement les travaux privilégiés alors qu’elles refusent d’investir sur les inondations et à dépenser le budget alloué. Pour parachever la trame, les personnels techniques, focalisés sur leurs croyances en termes d’hydromorpologie, priment sur les orientations politiques qui pourraient être prises en termes d’aménagements.

Malgré tout, des élus clairvoyants sont réticents. Ils sont dubitatifs mais cela s’explique aussi par les définitions particulièrement floues des missions de la GEMAPI (articles 1, 2, 5, 8 du L.211-7 du code de l’environnement).

Si ils laissent la défense contre les inondations de côté, ils se retrouvent avec une obligation de restauration, de gestion, de protection et d’aménagement des milieux aquatiques, d’aménagement de bassin et de sous bassins. 

Autant de sujets qui, sur des cours d’eau privés, interpellent très peu certaines  collectivités territoriales qui ne souhaitent pas particulièrement s’impliquer sur ces thèmes.

 

La réaction des élus ne s’est pas fait pas attendre au moins sur un sujet. L’union des maires de France s’est vite rendu compte du risque réel pour la commune de se trouver co-responsable avec l’État de la non atteinte du « bon état écologique » qui reste très hypothétique, tant les causes des dégradations sont nombreuses : pollution agricole, industrielle ou urbaine, problèmes de débit, bien plus qu’à des problèmes hydromorphologiques que les programmes priorisent.

 

L’abandon de la gestion hydraulique par bassin : des EPTB aux EPCI ?

Qui va motiver puis convaincre un maire ou un EPCI très en amont, d’entreprendre de gros travaux pour diminuer l’impact d’inondations en aval ?

En rendant responsables les EPCI c’est-à-dire en ramenant l’échelle de gestion et d’action au niveau local, on perd la notion de grand bassin hydrographique qui restait pourtant l’un des concept défendu par la France depuis la loi 1964 renforcée par la loi 1992. Cette balkanisation aurait pu être évitée en confirmant par exemple, aménagement du territoire et gestion de l’eau à l’échelle d’un bassin aux EPTB dont c’est le rôle.

 

Fort de ce constat l’État, après que les parlementaires aient décidé de transférer cette compétence obligatoire des communes aux EPCI, pousse maintenant à leur transfert à des syndicats de rivière qui doivent eux aussi s’organiser à l’échelle du bassin versant. Or, leurs compétences initiales ne sont pas dans le droit fil des compétences nécessaires à l’atteinte du bon état écologique. Ils ont été mis en place soit pour travailler sur des problématiques agricoles soit à des fins d’interventions physiques sur les berges des cours d’eau : bûcheronnage, protection rustique etc... Cela ne répond pas aux objectifs ambitieux de gestion intégrée, susceptibles d’apporter des réponses positives à l’enjeu d’atteinte de bon état écologique d’autant qu’ils n’ont pas tous les mêmes missions (qualité des eaux, régulation des usages…).

En confiant la GEMAPI à ces syndicats, de facto à une approche technicienne pas toujours robuste, quelquefois dogmatique ou aléatoire, on éloigne les élus des prises de décision de la gestion de l’eau et de la politique d’aménagement du territoire au profit des salariés de ces structures. C’est à la foi une perte de professionnalisme dans la gestion de l’eau qui nécessite des experts à l’échelle des grands bassins.

Pire encore la responsabilité financière et juridique sera de fait transférée au niveau de ces syndicats qui n’auront très certainement pas les moyens de l’assumer et qui se retourneront contre les EPCI.

 

Les collectivités vont rechigner à doter l’environnement de tous les outils et de tous les métiers nécessaires à des missions encore mal définies, extrapolées à tout le L.211-7, pour assumer une fonction qui était initialement celle des EPTB. Ces derniers se trouvent aujourd’hui particulièrement affaiblis alors que la seule pertinence des syndicats et EPCI pourrait être l’accroissement en personnel. Ce serait un nouveau bilan amer à l’heure de l’efficience des dépenses publiques.

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EPCI ou FNPF ?

Ce transfert de compétences de « la gestion des milieux aquatiques » aux EPCI serait-elle une excellente opportunité de reprendre la main sur « la gestion des milieux aquatiques » ? Ce privilège a été dévolu par défaut aux FD de pêcheurs par le régime de Vichy. L’eau est affirmée comme un bien commun, n’appartenant à personne ou plus exactement appartenant à tout le monde. Si l’eau et les rivières sont des biens publics, il serait légitime que la « gestion des milieux aquatiques » soit du ressort d’un établissement public plutôt que de la FNPF, association dont le dessein est la satisfaction de ses membres, autrement dit, la jouissance privée d’un bien public.

 

Conclusion

• A y regarder de plus près, sous l’enjeu environnemental arboré par l’Agence de l’eau et l’administration, ne se cachent-ils pas de gros enjeux économiques ?

• Si le transfert de la compétence GEMAPI ne va pas chambouler la thématique(2) des milieux aquatiques mise en place après la sur-transposition de la DCE en LEMA 2006 (Loi sur l’eau et les milieux aquatiques), nous ne voyons encore pas du tout ce qu’elle pourrait apporter à la gestion quantitative et à l’amélioration de la qualité de l’eau.

• Si la GEMAPI ne modifie pas la gestion du risque d’inondation mise en place avec la transposition de la Directive Inondations en 2010 (Loi Grenelle II), il va y avoir une redistribution des compétences et des responsabilités entre les différents acteurs dont nous venons d’évoquer quelques effets probables.

• Nous avons au moins une certitude, c’est la naissance d’un nouveau monstre bureaucratique, technocratique, assez peu démocratique qui pourrait être d’une grande complexité.

 

 

 

(1)  Valorisation des ouvrages hydrauliques: production hydroélectrique abondant les finances locales et publiques par les taxes et l’impôt par exemple, mais aussi par l’emploi induit (pisciculture, accueil, gîtes, restaurant et activités diverses) c'est à dire, la redynamisation des territoires ruraux.

(2)  Les options de la mise en œuvre de la LEMA2006 sont très controversées par les usagers. Si l’application dogmatique, distillée unilatéralement par la DEB (au grand mépris des parlementaires) se confirme, les recensions déjà copieuses pourraient s’amplifier. 

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