La DDT des Deux-Sèvres dit non, le juge dit oui

L’Etat a été condamné le 15/11/2018 à 175 313,44€ en réparation d’une partie des préjudices causés par la prédation du cormoran et du héron sur le cheptel piscicole d’Erik BERNARD. Il exploite 42 ha d’étangs à côté de Bressuire. La préfète a évité une ardoise plus lourde en contestant tout en bloc: entre autres, la période du préjudice (5 ans au lieu de 15), le poids/ha... Elle ne semble pas avoir contesté le prix/kg ni la présence des prédateurs ?
A l’en croire, l’éleveur est responsable. Et en filigrane, pourquoi ne pas déposer son bilan, s’inscrire au RSA, plutôt que de tenter les oiseaux ichtyophages en leur offrant des proies.
C’est l’illustration du défaut de soutien de l’Etat à la filière piscicole française.
Nous souhaitons que Mme la Préfète maintienne ce fil pour les vendeurs de glyphosate, de tabac, d’amiante…

 

Selon la préfète des Deux-Sèvres, le problème du cormoran c’est le pisciculteur. La prédation est un aléa normal. Il n’a pas protégé son cheptel.

 

Telle est la doctrine scandaleuse de la DDT 79. Le juge l’a démentie.

La préfète conteste :

• Le comptage des nids de cormorans par l’expert,

• Ce serait bien la faute des pisciculteurs « d’exercer leur activité dans les zones à forte prolifération de grands cormorans et de hérons »,

• Que « les requérants n’apportent aucun élément de comparaison entre leur exploitation et celles d’autres pisciculteurs de la région »,  En clair, si la prédation est également de 50% de la production chez les voisins, cela devient une normalité et, la DDT 79, sous la plume la préfète, ne comprend pas pourquoi le requérant se plaindrait si les autres n’engagent pas de contentieux,

• La préfète invoque une prescription quadriennale avant les prédations de 2010 et que le requérant ne puisse pas produire les accusés de réception(1) de 2007,

• La préfète met en doute l’estimation chiffrée de l’expert, la comptabilité du requérant (2) et le fait qu’il n’aurait pas échangé d’alevins… « le préjudice du requérant doit donc être déterminé sur une autre base »,

• La préfète prétend qu’une part du préjudice doit être laissé à la charge du requérant « au titre de l’aléa inhérent à l’activité piscicole normale »,

• Enfin, la préfète « fait valoir que les requérants n’ont pas justifié avoir pris toutes les mesures utiles pour prévenir les dommages à leur entreprise, ni que les conditions effectives de son exploitation seraient optimales doit être regardée comme invoquant la faute de la victime ayant concouru à la survenance du dommage »(3).

 

Et ailleurs ?

Dans l’Yonne en 2012, un pisciculteur a dû aller jusqu’en Conseil d’Etat pour obtenir gain de cause. Il n’avait cependant pas été rigoureux en ne renouvelant pas ses demandes d’autorisations de tirs.

 

 

Discussion

• Sur le fond

Deux éléments fondamentaux :

1) l’écologie

Il est préjudiciable au plan environnemental de prendre une mesure de protection sans réserves.
La protection des espèces est un devoir. Qu’une espèce protégée porte ensuite préjudice grave à d’autres espèces, devrait faire l’objet d’études, puis de mesures conservatoires au profit des espèces impactées.
Le nouveau concept de « compensation » signifie à 100%, dans les pratiques, « compensation financière ».
Or, une compensation écologique est indispensable: quel est le « profiteur » et quelles sont ses « victimes » ?

Et en termes de prédation piscivore, quand les victimes sont d’autres espèces piscicoles(*) d’intérêt écologique majeur (saumon, anguille) et très accessoirement un pisciculteur, d’intérêt socio-politique mineur, nous estimons que les intérêts écologique, patrimonial et économique devraient être considérés.
Il a été démontré que 30 à 80%  des salmonidés (souvent objet de protection) d’une rivière européenne peuvent être victimes de prédation par les oiseaux.
Aux Etats-Unis, des mises en danger de truites (protégées) ont obligé à réguler des populations d’otaries (elles aussi protégées).
A pousser les curseurs toujours dans le même sens, les attentes des écologistes en France créent des déséquilibres écologiques non compensés (hormis dans ce jugement).

 

2) démocratie ou diktat administratif en 2019 ?

Il est inadmissible que des mesures univoques, provoquant des impacts multicritères généralisés, identifiés, très lourds, ne puissent être compensées que par une action judiciaire personnelle, infligeant une double peine à la victime.
Non seulement il subit les préjudices divers (technique, économique, drame humain), mais il est contraint d’ester en justice pour plaider sa cause (qui aurait dû faire l’objet d’études publiques avant de créer le préjudice) et tenter de faire valoir ses droits.

 

• Sur la forme : rôles et missions de l’administration

1)    Le respect de la loi :

« Une chose n’est juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste » (Montesquieu)

L’administration est garante du respect des lois.
Concernant le code de l’environnement, elle est devenue le gendarme qui soupçonne a priori et verbalise le pétitionnaire par anticipation.


Ces dérapages dogmatiques sont déplorés depuis 10 ans.

Les soupçons :
les dossiers souffrent d’un a priori(**) spécifique à la thématique de l’eau. L’instruction, toujours à charge, résulte d’un parti pris que la loi n’exige pas.
La DDT refuse, par pur principe, un dossier de demande de création de pisciculture… pourtant éligible aux aides européennes.

Les procès-verbaux :
Des PV sans fondement de l’AFB sont souvent classés sans suite par le procureur de la République, ou retoqués au TA (tribunal administratif) ou au tribunal pénal. Le propriétaire est parfois réputé délinquant avant toute analyse robuste du site et sans que le délit ne soit caractérisé. Un décalage se creuse entre le prix coûtant d’une telle procédure pour la collectivité et des enjeux environnementaux indéfinis, parfois insignifiants.

 

Nous estimons que chaque pétitionnaire devrait avoir droit à une analyse impartiale de son dossier au lieu de lui opposer des appréciations personnelles sans fondement scientifique et que la mauvaise foi n'est pas légalement requise dans les échanges avec les administrés.

 

2) l’intérêt général :

• Mme la Préfète ignore qu’un poisson français dévoré par un oiseau prédateur qu’elle protège équivaut à un panga sans traçabilité qui devra être importé du Viet-Nam,

• Mme la Préfète méconnaît la balance commerciale déficitaire des produits aquatiques,

• En s’opposant à la création d’une pisciculture dans son département et en contestant l’incontestable facteur impactant les piscicultures, Mme la Préfète ne répond pas à l’enjeu majeur de la sécurité alimentaire (Michel BARNIER 2007) et ne cherche pas à contribuer à endiguer l’énorme déficit de la balance commerciale française.

 

On constate qu’un gros travail reste à accomplir sur les réels enjeux.

 

Conseils aux pisciculteurs :

• ne pas oublier vos demandes d’autorisations de tir de régulation,

• s’adresser à la DDT par courrier recommandé avec avis de réception à conserver,

• dans l’esprit de la transition énergétique et pour réduire les importations de fioul, couper tous les ligneux en bordure de vos étangs pour en faire du bois de chauffage destiné à votre usage personnel. Si vous n’avez pas traduit ce message: vous ne détruisez pas les nids, c’est interdit : vous façonnez votre propre bois de chauffage, fusse-t-il du bois blanc.


Nous voyons au moins 5 stères de bois dans ce peuplier mûr.

 

(*) information à l’attention de l’administration : la prédation des oiseaux piscivores ne se limite pas aux étangs. L’oiseau ingurgite un poisson, quel que soit son statut et le statut du cours d’eau. Quand DDT-AFB prétendent protéger les espèces amphihalines (c’est un bon objectif) et que sur le même linéaire, ils laissent proliférer leurs prédateurs en les protégeant au mépris de tout bon sens, il y a une contradiction flagrante que nous ne cessons pas de pointer et qui décrédibilise le discours… surtout ensuite quand elles ciblent des boucs émissaires.

 

(**) témoignages non exhaustifs :

propos entendus des DDT :

•« vous pouvez envoyer vos pièces mais je ne les lirai pas »,

•« vous auriez dû me téléphoner avant de vous lancer dans l’élaboration de votre dossier de demande d’autorisation » (sous-entendu et sans même savoir de qui il s’agit « je vous aurais dissuadé de vous lancer dans une telle demande »)

Et dans un courrier sanctionnant une instruction très partielle : « je clos l’instruction de votre dossier », et d’informer le pétitionnaire sur les voies de recours (en se défaussant sur le juge pour terminer l’instruction du dossier ?)

•« si vous n’êtes pas satisfait, vous allez au tribunal administratif ».

 

 

(1) Mieux vaut donc écrire en LRAR. On s’interroge : la DDT peut-elle produire tous les accusés de réception des dossiers de déclaration de travaux « destruction  d’ouvrages » ?

(2) La comptabilité du pisciculteur: tous les arguments auront vraiment été employés pour tenter de décrédibiliser le mémoire du requérant.

(3) . En clair, s’il y a des dégâts de cormorans, c’est la faute du pisciculteur ! Une anthologie de la mauvaise foi, pourtant pas une mission régalienne.

jugement du 15 novembre 2018 - TA de Poitiers

Illustration : photo © esoxiste.com. Le cormoran a le ventre bien plus gros que les yeux.

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