La cour d'appel de Nantes condamne encore l'Etat: le préfet voulait abroger un droit d'eau et détruire un plan d'eau

L'acharnement administratif depuis 2010-2012 prétendant abroger les droits d'eau bat son plein, comme si le statut administratif d'un ouvrage hydraulique allait améliorer la qualité chimique des masses d'eau. Ce n'est qu'un prétexte pour terminer ce que la Révolution a épargné en 1789 pour éviter que la population ne crevât  de faim. Cédant à cette mode récente par rapport à l'antériorité des ouvrages, le préfet d'Ile-et-Vilaine a tenté d'annuler le droit d'eau d'un moulin associé à un étang et tenté d'obliger à la destruction du plan d'eau au nom de la récente continuité écologique.
La cour d'appel administrative de Nantes le  condamne rappelant une jurisprudence constante: la présence ou l'absence d'un site sur la carte de Cassini n'est pas le seul moyen d'établir la preuve de l'antériorité, d'autre part  l'usage de la force motrice de l'eau au droit d'un moulin accolé à un étang n'implique pas la persistance du moulin et encore moins l'existence d'un bief.  On déplore que l'administration s'obstine dans ses erreurs manifestes d'appréciation, voire dans ses excès de pouvoir, pour obtenir la reddition des propriétaires alors que la loi ne l'exige pas.


La cour d'appel administrative de Nantes a examiné le cas d'un propriétaire ayant demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de déclarer fondés en titre l'étang du Gué Charet et son barrage, situés sur le territoire des communes de Treffendel et Monterfil, et, en conséquence, dispensés de déclaration, et, d'autre part, d'annuler la décision du 28 octobre 2014 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a rendu un avis défavorable à sa demande de régularisation de cet étang et de son barrage et lui a demandé d'effacer le plan d'eau afin de rétablir la continuité écologique.Le tribunal administratif de Rennes avait rejeté sa demande. Il est fréquent que la première instance soit ainsi défavorable aux particuliers et associations, mais cela ne présage pas toujours de la suite.Les juges d'appel viennent ainsi de donner raison au propriétaire et de condamner le représentant du ministère de l'écologie, en annulant son arrêté.Ils relèvent d'abord que "une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date. La preuve de cette existence matérielle peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini datant du XVIIIème siècle."On observera ici une petite anomalie, c'est l'antériorité à l'instruction d'août 1790 obligeant à l'autorisation administrative des moulins, non à l'abolition des droits féodaux (août 1789), qui est requise dans le cas des fondés en titre.Mais peu importe ici, puisque les documents attestent l'ancienneté du site :

"la preuve de l'existence matérielle du droit fondé en titre qu'il revendique peut être apportée par tout moyen. Il résulte de l'instruction, notamment de la carte géométrique de la province de Bretagne établie en 1771 par Jean-Baptiste Ogée, faisant apparaître deux étangs sur le cours d'eau non domanial du Serein entre " Tréfandel " et " Monterfil ", et d'un acte de baptême du 4 septembre 1774, tiré des registres paroissiaux de Treffendel, mentionnant la naissance de l'enfant " au Moulin du Gué Charet ", que l'étang existait avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1789 ayant aboli les droits féodaux et que cette réserve d'eau, située en amont du moulin du Gué Charet à Treffendel et à proximité immédiate de celui-ci, participait à l'époque à son alimentation. S'il est vrai que la carte de Cassini, dont la feuille dite de Rennes a été établie de 1785 à 1787, fait apparaître sur le Serein, à proximité de l'actuel étang du Gué Charet, l'existence d'un moulin sans désignation de nom ou de lieu et sans faire figurer de retenue d'eau, alors qu'un moulin peut fonctionner au seul fil de l'eau, la seule absence de l'étang sur cette carte de Cassini ne suffit pas à valoir preuve de l'inexistence ou de la ruine de cet ouvrage à la même date. (...)Dès lors, l'étang du Gué Charet et son barrage doivent être regardés comme fondés en titre."

Le préfet est donc débouté pour avoir prétendu que la carte de Cassini et elle seule pourrait attester de l'antériorité avant 1789.
Cette allégation inexacte est assez fréquente. Elle illustre, si besoin était encore, le besoin de formation et combien l'administration de l'eau rechigne à valider les documents produits pour reconnaître l'antériorité d'un ouvrage, pire, un droit fondé en titre.
La réponse courante de la DDT est souvent la suivante: "votre ouvrage figurant sur la carte de Cassini, mon service reconnaît l'antériorité de l'ouvrage".
On doit supporter un jeu administratif stérile qui consiste à "dire sans ne rien dire" et au pétitionnaire, de faire semblant de comprendre et d'accepter docilement les oukases.

Ce même préfet a ensuite tenté d'invoquer de l'état de ruine. Mais la Cour d'Appel confirme: "ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit."

En l'espèce, "il résulte de l'instruction que le moulin, entendu comme l'appareil actionné par la force motrice de l'eau destiné en l'espèce à moudre le blé, n'était pas l'un des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau, tandis qu'aucun bief n'a jamais existé entre la retenue d'eau et la roue du moulin, cette dernière étant directement alimentée au fil de l'eau depuis la " vanne meunière " située sur la digue de l'étang."

Au final,  "il résulte de l'instruction que la force motrice de l'eau est toujours susceptible d'être utilisée par le détenteur de l'étang du Gué Charet et de son barrage et que, dès lors, le droit d'eau fondé en titre ne s'est pas éteint".

A resservir continuellement les arguments pour lequel l'Etat a été condamné à de multiples reprises à tous les échelons judiciaires, la continuité écologique sera-t-elle apaisée un jour ?

Référence : Cour d'appel de Nantes, arrêt n°18NT00067, 26 novembre 2019

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