Droits d’eau fondés en titre : nouvelle tentative de torpillage de l’Etat avec le décret du 1er Juillet 2014

Depuis 1790, les droits d’eau fondés en titre sont reconnus par l’Etat français et protégés par une jurisprudence administrative constante du Conseil d’Etat. On entend par « fondé en titre » le droit réel d’usage permettant à un moulin ou une usine d’exploiter la puissance de l’eau, pourvu que l’établissement existe de fait avant le 4 Août 1789 (abolition des droits féodaux) sur les rivières non domaniales ou avant 1566 (Edit de Moulins) sur les rivières domaniales.

Engin_en_riviere_6_tbd

Une copieuse jurisprudence des juridictions administratives montre que ce droit d’eau fondé en titre a fait l’objet de nombreuses attaques. Pourtant, le Conseil d’Etat a toujours maintenu avec fermeté le principe de protection de ce droit contre les manœuvres abusives et arbitraires qui l’ont régulièrement menacé au fil du temps. La haute juridiction a même consolidé ce droit d’eau fondé en titre en posant les conditions les plus strictes à son annulation quand l’administration invoque l’état de ruine ou de non-entretien.

Cette interprétation juridique forgée par deux siècles de réflexion des plus éminents de nos magistrats administratifs sera-t-elle maintenue ? Nous le saurons bientôt puisque plusieurs associations de moulins et de riverains se sont réunies pour déposer au Conseil d’Etat deux requêtes en annulation du Decret n° 2014-750 harmonisant la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques avec celle des IOTA (installations, ouvrages, travaux et activités) prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement.

Deux articles surtout mis en cause
Sont particulièrement en cause deux dispositions de ce décret. L’article 7 pose une nouvelle exigence : «Le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation d'installations ou d'ouvrages existants fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW sont portés, avant leur réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation». L’article 17 stipule : «Sauf cas de force majeure ou de demande justifiée et acceptée de prorogation de délai, l'arrêté d'autorisation ou la déclaration cesse de produire effet lorsque l'installation n'a pas été mise en service, l'ouvrage n'a pas été construit ou le travail n'a pas été exécuté ou bien l'activité n'a pas été exercée, dans le délai fixé par l'arrêté d'autorisation, ou, à défaut, dans un délai de trois ans à compter du jour de la notification de l'autorisation ou de la date de déclaration.»

destruction d'un seuil

destruction d'un seuil

 L’article 7 entend ainsi soumettre la reprise d’une production d’énergie sur un ouvrage de droit fondé en titre à l’appréciation (subjective) de l’autorité administrative, alors même que le principe du droit fondé en titre consiste à soustraire l’ouvrage de cette obligation générique d’autorisation – tout en respectant bien sûr les dispositions légales et règlementaires du droit de l’eau et de l’environnement.

L’article 17 quant à lui, interprété lato sensu pour les fondés en titre et non les seuls autorisés, aboutirait à prononcer la déchéance et l’abrogation du droit d’eau au seul motif qu’il n’y a pas «activité» sur l’ouvrage hydraulique pendant 3 ans. Quant à savoir ce que le rédacteur entend par «activité»… on appréciera le caractère très flou de ces textes. Un bel outil imaginé par la DEB

l’objectif : abroger le droit d'eau d'abord, détruire l'ouvrage ensuite
Que l’on assiste à une énième tentative de liquider les droits d’eau fondés en titre n’a rien de très étonnant, puisque les technocraties gestionnaires des rivières ont depuis longtemps ce supposé archaïsme dans la ligne de mire de leur prétendue modernité. Ce que la jurisprudence protège, ce décret va permettre, c’est son dessein, de torpiller les droits d’eau. Que cette tentative se masque de l’alibi d’une « modernisation » et « simplification » de l’action publique a quelque chose de pathétique, puisque les dispositions envisagées reviennent de toute évidence à alourdir un peu plus la complexité règlementaire qui assomme déjà toute initiative en rivière. On en vient même à s’interroger sur l’aubaine de l’invocation de l’hydromorphologie pour torpiller le droit d’eau qualifié jusqu’alors d’inextinguible.

Mais ce n’est pas comme si la parole publique restait crédible et audible après tant de contradictions entre ses dires et ses faits. Ainsi la DEB tente d’initier depuis 2 ans une opération de communication qui témoignerait son ouverture à la société civile par une « charte des moulins ». A quoi bon puisque l’objectif consiste à en détruire le plus grand nombre et à rendre les autres "transparents" ? Rappelons à ce sujet qu’un moulin affublé d’ouvrages "transparents" n’est plus qu’une maison inondable dans un fond de vallée humide qui voit le soleil 4 h/j.

Une charte côté face et des courriers recommandés/PV de l’ONEMA/arrêtés préfectoraux/décret, côté pile.

Pendant ce temps-là, le Ministère de l’Ecologie fête en grandes pompes et avec force langue de bois les 50 ans de la politique de l’eau. Cinquante ans d’échec et de dégradation sans précédent de la qualité de nos rivières et de recul de la biodiversité.

DSC00430

Mais tout est supposé aller mieux quand, après avoir détruit leur droit d’eau, on pourra mieux détruire les ouvrages hydrauliques.

Les technocrates s’en sont d’ores et déjà auto-persuadés, d’autant plus facilement qu’enfermés dans leurs bureaux et ne se parlant plus qu'à eux-mêmes, leurs oligarques n’ont vraisemblablement pas mouillé leurs bottes dans un bief depuis longtemps.

 

Photographies : destruction du barrage de La Mothe (Ellé, Finistère) en 2013 avec engins mécaniques en rivière malgré le référé en cours d’un tiers riverain et l’interdiction de cette pratique par l’arrêté préfectoral d’effacement, le tout sous les yeux des services instructeurs de l’Etat. L’image du progrès, du droit et de la protection de l’environnement tels qu'on les entend à la Direction de l’eau et de la biodiversité du Ministère de l’Ecologie. En bas, un bloom de cyanobactéries: azote minéral, nitrites, sels ammoniacaux...ou un excès de moulin?

.

.

.

.

.

.

Abonnez vous à notre flux d'articles ici

Les commentaires sont fermés.