Quand les sciences sociales auscultent les cours d’eau

Depuis quelques décennies, l’étude et la gestion des cours d’eau ont été l’apanage des sciences naturelles et des savoirs techniques. Pour prendre leurs décisions dans le domaine de l’eau, les pouvoirs politiques se reposaient alors quasi exclusivement sur les compétences des hydrologues et des hydrauliciens aptes à fournir, chiffres et mesures à l’appui, les solutions les plus adéquates pour autant qu’elles s’inscrivaient dans la logique économique du moment.

Longtemps on a non seulement fermé les yeux sur les impacts que les projets hydrauliques pouvaiet avoir sur les écosystèmes, mais on a aussi largement négligé de mettre en exergue les relations étroites et parfois complexes que les populations entretiennent avec leurs ressources en eau, les  aménités sociales, les dynamiques solidaires ou recensions conflictuelles, que génèrent les différents usages de l'eau

Mais, avec le temps, on a un peu mieux perçu l’importance sinon la nécessité, de prendre en compte les dimensions socio-culturelles de la ressource et de son utilisation. Cela implique qu’au-delà des considérations relevant des sciences naturelles et de la technologie on s’intéresse aussi de très près par exemple aux valeurs qu’attribuent riverains et usagers à leurs ressources hydriques, aux différentes manières d’organiser le territoire autour d’elles, aux jeux de rivalités et de pouvoir qu’elles peuvent susciter, etc. Tant il est vrai, pour reprendre une formule de l’anthropologue Olivia Aubriot, que "l’eau est le miroir de la société" : non seulement les modes de gestion de l’eau reflètent l’organisation de la société, mais la société elle aussi s'est construite autour de ses pratiques et des usages qu'elle a eu de l’eau.

Il n’est pas inutile ici de rappeler que l’approche des sciences sociales, qui s’intéressent à l’homme dans ses relations avec son milieu social et avec son environnement, incite à la pluridisciplinarité et se doit de faire appel entre autres à l’histoire et à la géographie humaine, à la psychologie sociale et à l’anthropologie culturelle, à l’écologie politique et au droit des institutions.  Et que contrairement aux sciences dites exactes qui mesurent et quantifient avec la plus grande précision possible les données qu’elles recueillent, les sciences humaines et sociales procèdent quant à elles par observations et enquêtes de terrain, entretiens et recherches documentaires pour ensuite construire des typologies et formuler des hypothèses sans légitimer pour autant des conclusions ou des vérités définitives.

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Confluent des deux bras du Rhône au sud d’Avignon (aqueduc.info)

Échos d’un colloque rhodanien sur
l’observation sociale des territoires fluviaux

Depuis dix ans, la Zone Atelier Bassin du Rhône, basée dans la métropole lyonnaise et regroupant une vingtaine d’établissements de recherche, soutient des programmes pluridisciplinaires dédiés à la gouvernance des cours d’eau et à la gestion sociale des risques. Avec l’appui du Groupement de recherche Rhône-Alpes sur les infrastructures et l’eau (GRAIE), elle a organisé le 7 novembre 2016 en Avignon une journée d’échanges portant précisément sur l’observation sociale des territoires fluviaux, sur les enseignements à tirer de cette décennie de recherches en la matière et sur les perspectives que ces études ouvrent aux gestionnaires de ces espaces.

Brièvement dit et pour reprendre la synthèse qu’en ont faite Anne Honegger, directrice de recherches au CNRS (Centre national français de la recherche scientifique), et Carole Barthélémy, sociologue à Aix Marseille Université, les sciences humaines et sociales permettent
- de mieux comprendre comment les territoires de l’eau se sont construits au fil du temps et comment ils interagissent avec d’autres découpages territoriaux,
- d’étudier comment sont menées les politiques publiques (avec leurs impacts espérés ou inattendus) et ce qui pourrait améliorer le couplage entre gestion environnementale et développement territorial,
- d’analyser les blocages et les controverses pour mieux cadrer les espaces de débat entre scientifiques, gestionnaires et riverains et proposer de nouvelles modalités de gouvernance,
- et enfin de proposer des outils participatifs qui favorisent la confrontation des savoirs scientifiques et des savoirs locaux ainsi que la coopération des différents acteurs concernés à l’échelle des territoires.

Il convient de prendre ces hypothèses de travail pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire "des points de repères – des briques de connaissance - dont chaque acteur pourra se saisir pour contribuer à la mise en œuvre d’une politique intégrée de l’eau". On trouvera ci-dessous un bref aperçu de trois des douze présentations faites dans ce colloque autour de problématiques certes différentes mais illustrant assez bien le propos plus général des chercheurs.

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