Pourquoi la restauration écologique des rivières produit-elle des échecs?

Le Pr Christer Nilsson (Nilsson et al 2014)   nous a fait parvenir une intéressante étude de son groupe de recherche à l'Université d'Umel, Suède (département d'écologie et science de l'environnement). Le travail a consisté à examiner l'efficacité des opérations de restauration écologique menées sur des petites rivières boréales, en région finlandaise et suédoise.

Pourquoi cet objectif de recherche ? Ch. Nilsson et ses collègues rappellent qu'un certain nombre d'études récentes ont questionné l'efficacité de la réponse biotique aux opérations de restauration morphologique. Ainsi Jähnig et al 2010 comme Palmer et al 2010 ont dressé des constats d'échec partiel sur les effets l'ingénierie hydromorphologique – par exemple, deux rivières seulement sur 104 qui montrent une réponse des macro-invertébrés.

Analyser la réponse des milieux dans le cas des cours d'eau scandinaves
Poursuivant dans cette veine d'analyse critique de la restauration des rivières telle qu'elle est incitée par certaines interprétations de la Directive cadre européenne sur l'eau 2000, les chercheurs scandinaves ont sélectionné 18 études de rivières présentant le même profil : jadis modifiées pour le flottage du bois, ces rivières ont ensuite été abandonnées à elles-mêmes, puis ont fait l'objet de restauration fonctionnelle. Leur environnement ne montre plus d'impact anthropique majeur.

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Les facteurs pris en compte ont été la réponse abiotique (complexité / rugosité de l'écoulement vitesse de l'eau, capacité de rétention sédimentaire) et la réponse biotique (poissons, macro-invertébrés, végétation aquatique et rivulaire). Le temps de réponse du milieu allait de 1 mois à 24 ans dans ces études.

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Résultat : la majorité des études constatent un effet abiotique c'est-à-dire un changement dans la dynamique et la morphologie (vitesse plus lente de l'eau, écoulements plus variés, rugosité plus forte du lit, etc.). Mais la réponse du vivant est beaucoup moins évidente : une seule étude sur 8 montre un résultat sur les invertébrés ; une sur 5 une réponse positive des populations piscicoles ; la végétation est un peu plus "répondante" avec 2 succès sur 4.

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Pas de réponse consistante sur une période de 24 ans... 7 hypothèses
Et les auteurs de conclure : "Bien que les chenaux restaurés au nord de la Fennoscandie soit devenus plus larges avec une rugosité plus marquée et des vitesses d'écoulement moindres, la communauté biotique n'a pas montré de réponse consistante sur la période examinée de 24 ans".

De manière très intéressante, Christer Nilsson et ses co-auteurs proposent à la communauté scientifique 7 pistes de travail pour analyser ces situations d'échec, en forme d'hypothèses non exclusives :
- les objectifs de restauration sont trop médiocrement définis,
- les facteurs limitants des populations cibles sont trop mal connus ou pris en compte,
- des méthodes standardisées de suivis et mesures n'ont pas été prévues (ou respectées),
- les espèces choisies ne sont pas représentatives / indicatives des communautés d'intérêt,
- des pools de population susceptibles de recoloniser le milieu n'étaient pas présents à taille critique,
- le temps écoulé depuis la restauration est trop court,
- le retour à l'équilibre biotique a déjà eu lieu (les populations présentes au moment de la restauration étaient à l'optimum des sites concernés).

Ces travaux sont passionnants pour la recherche comme pour les amoureux des rivières. Nous l'avons dit et répété ici : hydro-écologie, hydrobiologie et hydromorphologie sont encore des disciplines jeunes, qui ont beaucoup à apprendre comme à nous apprendre en vue de mieux respecter les équilibres des milieux naturels aquatiques. 

La politique française de l'eau doit sortir de son dogmatisme 
Mais on se permettra bien sûr une conclusion plus concrète sur la politique de l'eau. En effet, rappelons qu'outre les travaux cités dans cet article, les études montrant l'impact relativement faible du volet morphologique sur la volet biologique de qualité de l'eau s'accumulent désormais (voir ici Dahm et L 2013, Haase 2013 ou ici Van Looy 2014), et cela alors même qu'en France, les Agences de l'eau ont engagé un budget de plus de 2 milliard d'euros sur la restauration fonctionnelle des rivières. En particulier, le patrimoine hydraulique formé par des dizaines de milliers de seuils, chaussées et barrages de moulins est menacé aujourd'hui de destruction pure et simple, à la pelleteuse et au bulldozer. Cela pour des résultats écologiques manifestement non garantis, avec une probable non-atteinte des critères de qualité DCE 2000 (condamnation à venir de la France, comme déjà pour la directive nitrates) et au prix d'une incroyable perte de valeur en terme patrimonial, paysager et énergétique.

La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie doit immédiatement réviser ses priorités sur les rivières si elle ne veut pas être tenue plus longtemps pour responsable de ce naufrage français en matière de qualité de l'eau et des milieux aquatiques. Et toute restauration morphologique impliquant des destructions doit faire l'objet d'un moratoire, le temps que des analyses coût-bénéfice plus sérieuses soient menées sur ces questions. Après le dogme administratif, la cécité idéologique et la pression lobbyiste, place à la prudence, au doute et à l'enquête scientifiques dans un climat plus serein. Avec toujours à l'esprit les mesures les plus efficaces et les plus responsables pour améliorer l'état de nos cours d'eau.

Référence : Nilsson et al (2014), Riparian and instream restoration of boreal streams and rivers: success or failure?Ecohydrology, doi: 10.1002/eco.1480

Illustrations : ©Nilsson et al 2014, extraits de l'article de recherche montrant quelques exemples des hydrosystèmes analysés.

 

Nilsson et al_Ecohydrology2014_preprint

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