Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)

Deux chercheurs australiens ont procédé à un passage en revue de la littérature scientifique récente et internationale sur les masses d'eau artificielles. Il en résulte que l'origine artificielle des plans d'eau, canaux et autres hydrosystèmes pourtant issus de l'action humaine, ne les empêche pas d'être riches en biodiversité et servir de refuges à des espèces endémiques. Les auteurs appellent les gestionnaires à se montrer plus attentifs à ces masses d'eau et à identifier les propriétés qui favorisent leur rôle de refuge. Cette ré-orientation est nécessaire en France, où la politique publique reste presque entièrement guidée par un idéal de "renaturation" aux coûts importants pour des résultats incertains, aléatoires. Quand cette politique détruit des milieux aquatiques et humides d'intérêt, des espèces protégées, ne devient-elle pas franchement anti-écologique? Les seuls rapports dithyrambiques en faveur de la richesse environnementale des plans d'eau sont produits... pour justifier la dépense publique quand une Collectivité ou une Fédération de pêcheurs achète ou préempte un étang (nombreux exemples). Ces mêmes acteurs les blâment et militent  pour leurs destructions. La porte est grande ouverte à la désinformation, l'intuitu personae, le dogme et les croyances: c'est tantôt "bon" et le lendemain "mauvais". Tel est l'état lacunaire de la science en France sur ce sujet.

E.T. Chester et B.J. Robson (université de Murdoch, Australie) ont passé en revue la littérature scientifique décrivant le potentiel des masses d'eau douce anthropiques à agir comme des refuges pour le vivant face à des perturbations, notamment les changements hydroclimatiques.

Les auteurs observent que les études des masses d'eau artificielles se sont longtemps concentrées sur leur rôle négatif, notamment l'expansion d'espèces invasives ou l'homogénéisation de la faune. Mais récemment, observent-ils, "il y a davantage d'études qui analyses la biodiversité dans les masses d'eau anthropiques et les facteurs qui soutiennent la biodiversité en leur sein. (…) Les études se sont concentrées sur les oiseaux, les amphibiens, les poissons, les macro-invertébrés et les macrophytes aquatiques, avec peu d'études sur le plancton, bien que le zooplancton ait attiré l'attention".

Ils ajoutent : "Certains écosystèmes anthropiques sont reconnus dans la littérature comme refuges pour les espèces indigènes, mais d'autres pourraient potentiellement devenir des refuges avec des modifications dans leur gestion, malgré leur petite taille (Davies et al 2008a, Lundholm et Richardson 2010). Comme le concept de refuges face aux perturbations est relativement récent, cette revue se concentre nécessairement sur la littérature récente (c'est-à-dire l''ère électronique'). Cependant, il est important de noter que de nombreuses études sur les écosystèmes artificiels ont été publiées à l'ère pré-électronique, incluant des évaluations de la biodiversité et des impacts environnementaux, de sorte que les connaissances sur les écosystèmes artificiels sont plus vastes que celles citées ici dans Baxter 1977, Paul et Meyer 2001, Herzon et Helenius 2008 et Gopal 2013)".

Les chercheurs ont identifié 15 types de masses d'eau artificielles dans leur passage en revue de la littérature des années 2000 et 2010 : canalisations et canaux d'irrigation, fossés de drainage ruraux et urbains, canaux de navigation, bassins de rétention des eaux pluviales, zones humides agricoles et étangs, barrages de réserve incendie, mares et étangs urbains, lacs de golf, bassins industriels désaffectés, rizières, réservoirs de grande dimension, bassins de gravières et de carrières, mares de bordure routière, bassins d'abreuvement, parois et bords de rivière et lac artificiels.

Après avoir observé que les masse d'eau artificielles, courantes ou (plus souvent) stagnantes, hébergent elles aussi de la biodiversité (y compris des espèces endémiques de leurs régions), Chester et Robson énumèrent quelques attributs favorables.

Au niveau du site :

  • berges végétalisées et peu abruptes
  • végétation aquatique (submergée ou flottante)
  • absence de poissons
  • hydropériode (durée de l'eau présente en permanence)
  • sols en sédiment naturel plutôt que sol artificiel

Au niveau du contexte :

  • proximité d'autres masses d'eau
  • connectivité à d'autres masses d'eau
  • proximité de zones terrestres arborées

La superficie ou l'âge ne sont pas forcément des prédicteurs de biodiversité. Les refuges sont d'autant plus efficaces que les zones avoisinantes sont altérées. La qualité chimique de l'eau n'est cependant pas une variable toujours déterminante.

Enfin, les chercheurs énumèrent des points-clé en action de gestion et en question de recherche :

"Beaucoup de masses d'eau artificielles peuvent héberger des espèces particulières parce qu'elles n'ont pas un régime naturel, ou qu'elles varient de quelque manière des conditions naturelles. Par conséquent, l'utilisation d'actions de restauration traditionnelles doit être soigneusement examinée par les gestionnaires avant la mise en œuvre.

Il faudrait envisager d'améliorer la connectivité entre les refuges anthropiques et les plans d'eau environnants et les paysages terrestres

Les masses d'eau artificielles doivent être gérés en même temps que les plans d'eau naturels environnants en tant que mosaïque d'habitats pour les espèces d'eau douce. Il convient de prêter attention aux schémas de biodiversité bêta dans les masses d'eau.

L'hydropériode  est plus facile à contrôler dans de nombreuses masses d'eau artificielles que dans les masses d'eau naturelles. L'hydropériode peut donc être gérée au profit d'espèces particulières ou de groupes d'espèces.

Il convient de prêter attention aux menaces potentielles pour les refuges anthropiques tels que le dragage, le busage, le drainage et l'utilisation de pesticides".

Discussion
L'étude de Chester et Robson témoigne de l'évolution des approches écologiques depuis les années 2000. Longtemps, l'écologie a été centrée sur l'étude des systèmes naturels non ou peu perturbés par l'homme, dans la perspective de leur conservation. Mais on s'est progressivement ré-aperçu et souvenu que l'influence anthropique est bien plus ancienne qu'on ne le pensait initialement. Les campagnes et cours d'eau "vierges" ou "sauvages" portent la marque de plusieurs occupations humaines au fil de l'histoire. Le caractère désormais massif de cette influence (changement des cycles carbone, azote, eau, réchauffement climatique, explosion mondiale des espèces exotiques, etc.) a conduit à désigner notre époque comme l'anthropocène (Christian Lévèque) c'est-à-dire l'âge géologique où l'homme devient la première force de transformation de la nature, avec des effets à long terme non réversibles.

Par ailleurs, la distinction entre le naturel et l'artificiel perd son intérêt si l'écologie s'intéresse aux capacités évolutives et fonctionnelles du milieu. Si une masse d'eau  présente des propriétés d'intérêt, qu'elle ait été créée ou modifiée par l'homme ne fait pas disparaître ses propriétés et ne devrait pas dicter sa destruction.

Nous aurions préféré que s'engagent des travaux d'étude des masses d'eau(*) en France bien avant que la prise de décision administrative de leurs destructions soit imaginée. Rappelons qu'il existe en France 450 000 ha de plans d'eau, artificiels pour l'immense majorité. La renaturation de la nature originelle est un paradigme ancien et désormais débattu de l'écologie (la nature pré-humaine comme référence à retrouver (Alexandre et al 2017 sur le fixisme en écologie).

(*)mais qui pourrait avoir intérêt à initier de telles études scientifiques robustes et indépendantes?

Référence : Chester ET, Robson BJ (2013), Anthropogenic refuges for freshwater biodiversity: Their ecological characteristics and management, Biological Conservation, 166, 64–75

Illustration : une zone humide au pied d'un déversoir sur la Seine, à Chamesson (21). Ce milieu d'intérêt n'est pas étudié alors que le gestionnaire incite à faire disparaître l'hydrosystème au profit d'une "renaturation" optimisée pour les truites et espèces rhéophiles du lit mineur.

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