Continuité écologique: les préjudices sociaux et immobiliers ignorés

Des approches hasardeuses ont été menées sur l’estimation circonstantielle d’un droit d’eau, au seul dessein de faire acheter un ouvrage hydraulique à vil prix par une Collectivité territoriale. L’objectif ignominieux consistant à le détruire, avec un financement de 100 % de l’agence de l’eau. L’OCE dénonce cette méthodologie qui, pour être mise en œuvre, sous-entend gabegie d’argent public (tel le projet d’achat de la centrale de la Madeleine à Pont-Audemer) ou désinformation du propriétaire, menaces de sanctions administratives financières et pénales suivies d’une présentation de devis très élevés relevant de la charge « spéciale et exorbitante ». Nous n’avons pas encore de retours sur le cas d’héritiers qui auraient intenté un procès judiciaire pour spoliation, abus de faiblesse et de pouvoir. En l’espèce, ce type de recours serait recevable. L’OCE dénonce aussi le mépris des effets directs d’une application univoque de la continuité écologique aux seuls prismes des espèces piscicoles et des sédiments sans s’interroger : "en détruisant, combien le bien foncier perd-il en % de sa valeur initiale" ?

L’OCE expose depuis quelques années l'importante moins-value immobilière(1) d’un moulin sans seuil(2), d’un étang dont la crête du barrage serait baissée… et a fortiori quand il serait détruit(3).

Pour l’instant, il n’y a aucun écho ni prise en compte de ce sujet. Ce facteur bafoué n’est pourtant pas anodin, mais il est encore totalement "oublié" voire contesté des politiques publiques de la continuité écologique.

 

Deux chercheurs de l'Université du Michigan se sont intéressés à la valeur foncière des propriétés à proximité de l'eau (Nicholls et Crompton 2017). Ils ont passé en revue 25 études sur la valorisation des biens immobiliers en fonction de la "vue sur l'eau". Il en ressort –ce n’est pas une découverte- que ce critère a une influence positive sur le prix.

Toutes les agences immobilières de France vantent la proximité ou la vue directe sur l’eau. Il suffit de porter un focus sur les zones côtières de Calais à Nice ou sur la périphérie des lacs suisses pour savoir que la vue sur l’eau est en soi, facteur de plus-value immobilière.

Les Seigneurs et Rois de France ont construit beaucoup de châteaux en valorisant la symbolique de l’eau. François 1er aurait même demandé à Léonard de Vinci d’étudier le détournement d’une partie de la Loire vers Chambord.

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La continuité écologique : à géométrie variable, et pas partout.

Le Cher et l’Indre, par exemple, sont aménagés à 100%.

• Le maintien du plan d’eau, de la plage rive gauche du Cher à Montrichard (41) et des aménités sociales ne peuvent être pérennisées qu’en préservant un barrage à aiguilles.

Le Cher à Montrichard

• Qui oserait préconiser une "rivière sauvage" (c’est-à-dire un mince filet d’eau en étiage) sous le château de Chenonceau en effaçant le barrage à aiguilles juste en aval?

Château de Chenonceau

•L’Indre a été fortement aménagée à Azay le Rideau (37). Le moulin au droit du pont,outre la production hydroélectrique, a permis la création d’un miroir d’eau qui a rendu le château célèbre, appartenant à l’Etat. L’Agence de l’eau priorise-t-elle comme partout ailleurs, l’effacement du seuil en aval?

château d'Azay le Rideau

Preuve en est, nous l’avons souvent exprimé, que le statut du propriétaire de l’ouvrage est bien en cause, puisque le dogme s’abat sur les ouvrages immédiatement en amont, discréditant l’argument sur les prétendus besoins environnementaux. En effet, les sédiments et poissons ne font pas, eux, de discriminations statutaires.

moulin d'Azay le Rideau en aval du château

Ces trois exemples prouvent, si besoin était, que les facteurs socio-économiques sont bien quelquefois, et à juste titre, pris en compte dans la continuité écologique.

• Le classement des cours d’eau (art L.214-17 CE) a épargné tous les grands barrages. Là, il s’agit de l’intérêt énergétique : la houille blanche…ou le charbon.

De nombreux cas existent où des facteurs légitimes ont primé sur l’hydromorphologie et les poissons. En dehors des ouvrages historiques et emblématiques, les petits ouvrages (tout est proportionnel) ont eux aussi des éléments à exposer et à faire valoir. Les services instructeurs ne doivent plus refuser de les prendre en considération au lieu de feindre de les ignorer, pire, de les dénier.

 

Discussion

• S’il faut se référer à cette étude de Nicholls et Crompton –qui n’est pas une surprise, voire un truisme- utilisons là volontiers pour rappeler que la valeur économique, les aménités culturelles, sociales et paysagères, l’intérêt économique et la valeur vénale liées au patrimoine hydraulique, doivent être enfin considérées.

Cela fait partie des facteurs à intégrer dans la grille d'analyse multicritères(4) qui doit présider au choix d’une option, afin d'objectiver l’ACB (analyse coûts-bénéfices) directs et les effets induits de chaque scénario.

Les projets d’aménagements peuvent avoir des intérêts pour les espèces piscicoles et le transit sédimentaire mais l’instruction des dossiers ne doit plus refuser d’examiner les autres dimensions.

Ces éléments sont négligés des études préparatoires. Ne cherchons pas d’information exhaustive chez les Agences de l’eau qui priorisent les destructions dans toutes les études qu’elles financent.

• Ne comptons pas sur l’AFB pour exposer les préjudices a posteriori, puisque « tout va bien » dans les retours d’expérience encensoirs.

 

Conclusion

Face à l’obscurantisme et la désinformation, nous tentons une vulgarisation légale, une réelle information et une prise en compte d’une lecture multicritères.

 


Proximité de l'eau et valeur foncière des propriétés (Nicholls et Crompton 2017)

 

Depuis toujours, la proximité de l'eau est recherchée par les humains. D'abord pour des raisons de subsistance et d'hygiène, puis pour d'autres valorisations à mesure que les sociétés se sont complexifiées. Dans les sociétés industrialisés, la qualité de l'environnement fait partie des atouts appréciés, et la proximité d'une eau courante (rivières, canaux) ou stagnante (étangs, lacs) est un critère d'information sur la valeur d'un bien.

Ce critère a-t-il un effet sur le prix ? S. Nicholls et J.L.Crompton (université d'Etat du Michigan, Etats-Unis) se sont penchés sur la question de l'effet des rivières et canaux sur la valeur des propriétés foncières (leur étude n'intègre pas les eaux stagnantes).

La méthode des prix hédoniques (MPH) appliquée aux biens environnementaux repose sur l’idée que le prix d’un bien immobilier dépend de ses différentes caractéristiques, parmi lesquelles la qualité de l’environnement. A caractéristique identique, le consentement à payer pour l'achat d'un bien peut varier en fonction de ce qui est valorisé par les acheteurs, en particulier donc son insertion dans l'environnement et dans certaines spécificités de cet environnement. En comparant une grande quantité de transactions dont on connaît les variables, on peut isoler celles qui co-varient : ici, le prix et la proximité de l'eau.

Les deux chercheurs ont ainsi analysé 25 études utilisant la MPH pour évaluer la valeur de proximité de l'eau, en écoulement naturel ou artificiel (rivières, ruisseaux, canaux), dans des contextes urbains, ruraux ou mixtes, aux Etats-Unis et en Europe.

La vue sur l'eau apparaît comme un critère de valorisation foncière pour l'ensemble des types d'écoulement, avec un effet plus marqué en milieu urbain (hausse de 10-30% des prix). Les milieux ruraux voient une valorisation moindre, probablement en raison de la présence ubiquitaire de l'eau sous différentes formes dans les paysages.

"Dans l'ensemble, les études passées en revue démontrent que les aménités récréatives et esthétiques peuvent être une source majeure de hausse d'une valeur foncière au long des linéaires en eau", soulignent les chercheurs.

De manière intéressante pour les débats français actuels, S. Nicholls et JL Crompton cite dans leur publication un exemple de restauration écologique ayant conduit à une perte de valeur foncière : les mesures du Plan de l'Oregon pour le saumon et les cours d'eau ont conduit à élargir la bande tampon boisée en rive, ce qui a induit une perte de 3-11% de la valeur foncière moyenne des biens concernés.

Les deux scientifiques concluent : "Les bénéfices récréatifs et esthétiques pour les propriétaires vivant à proximité sont une valeur importante à considérer dans les analyses coûts-bénéfices des programmes de restauration, et en plus de la réduction des dommages matériels résultant probablement de ces mesures. Des données précises et fiables, qui représentent adéquatement la gamme complète des avantages procurés par les écosystèmes, sont une condition préalable essentielle au développement d'efforts de gestion axés sur les parties prenantes de prévalence et d'importance croissantes dans le domaine de la ressource en eau (par ex Bell, Lindenfeld, Speers, Teisl et Leahy 2013, Snell, Bell et Leahy 2013)".

Référence : Nicholls S, Crompton JL (2017), The effect of rivers, streams, and canals on property values, River Res Applic, 33, 9, 1377-1386

 

(1)  La moins-value ne s’enregistre évidemment qu’au moment d’une vente. Quand il n’y a pas "vente", il s’agit d’une dépréciation, d’une décote de la valeur foncière.

(2)  Un moulin dont le seuil a été détruit n’est rien d’autre qu’une « maison souvent inondable ». Tant que le moulin (même sans usage) est en capacité de faire usage de la force motrice de l’eau, il reste un moulin. Le terme « ancien moulin » est donc souvent utilisé à mauvais escient.

(3)  Si un étang détruit devient "une belle zone humide", il n’en demeure que le tènement a perdu de 20 à 25 fois sa valeur initiale. Il y a un réel défaut d’information (au sens légal) des services qui financent les travaux de destruction.

(4)  Le volet "analyse multicritères" des dossiers des bureaux d’étude relève de la provocation. N’ayant rien cherché, ils ne trouvent rien: pas d’usage, pas d’intérêt patrimonial, aucun intérêt économique etc… seul l’enjeu piscicole (non démontré) avec un zeste de « transport solide » affichent les meilleurs scores (prédéfinis, pour être agréable au financeur). La valeur immobilière n'est même pas considérée comme un enjeu.

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