Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)

Les eaux lentes ou stagnantes sont-elles si défavorables au vivant? Pas dans le cas des étangs piscicoles de la Dombes, dont les chercheurs ont montré l'existence d'une biodiversité d'intérêt à l'échelle régionale, avec parfois la présence d'espèces menacées. En écologie, chaque cas est particulier : tout projet d'aménagement d'un étang dans le cadre de la restauration de continuité écologique doit être précédé d'un inventaire complet de biodiversité, mais aussi d'une analyse coût-bénéfice du projet au regard de la biodiversité régionale. Car dans certains cas, augmenter la densité locale de poissons rhéophiles ou migrateurs par ailleurs communs dans les rivières d'un bassin n'est pas d'intérêt écologique si cela s'obtient au prix de la disparition d'un hydrosystème d'intérêt et d'une perte nette de biodiversité.

La production piscicole d’étang peut-elle concilier le développement des ressources pour le poisson avec la conservation de la biodiversité? Ces questionnements à l'oeuvre dans les projets de recherche d'Isara Lyon ont conduit à des publications intéressantes sur les cycles biologiques dans les étangs, notamment pour comprendre s'il existe des seuils d'eutrophisation au-delà desquels la biodiversité de ces masses d'eau décroît (Vanaker et al 2015).

Dans le travail de 2014 que nous commentons ici, les chercheurs ont étudié les étangs piscicoles de la Dombes (nord-est de Lyon). Ce plateau d'environ 1000 km2 est caractérisé par la présence d'environ 1100 étangs piscicoles, totalisant 12.000 hectares. Développés à compter du XIIIe siècle, ces hydrosystèmes sont issus tantôt de drainage de terres agricoles vers des cuvettes, tantôt de chaussées sur des cours d'eau. Les étangs font de 1 à 100 ha, ils sont vidés d'octobre à février, puis remplis de nouveau par les précipitations ou par les transferts de plans d'eau situés à l'amont.

Pour le travail, 83 étangs ont été sélectionnés. La surface moyenne est de 13 ha (2,3 à 29,6), la profondeur moyenne de 0,68 m (0,28 à 1,10). Les taux d'azote total (médiane 2,85 g/m3), de phosphore total (274 mg/m3) et de chlorophylle-A (94 mg/m3) indiquent des systèmes eutrophes voire hypertrophes, comme le sont souvent les plans d'eau.

Les inventaires de biodiversité ont été réalisés sur les macrophytes (59 étangs), le phytoplancton (83), les macro-invertébrés (84), les libellules (79) et les amphibiens (33).

La biodiversité a été analysée dans ses trois dimensions : alpha (au sein de chaque étang), bêta (entre les étangs) et gamma (à échelle de la région). La tableau ci-dessous précise ces résultats (nombre d'espèces ou de familles) pour chaque ordre faunistique ou floristique.

In Wezer et al 2015, art cit, droit de courte citation.

Le tableau ci-dessous donne la part de biodiversité alpah et bêta par rapport à la diversité gamma (c'est-à-dire dans quelle mesure chaque étang ou les différences  entre étangs contribuent à la diversité régionale).

In Wezer et al 2015, art cit, droit de courte citation.
 

"Dans l'ensemble, notent les chercheurs, la richesse spécifique pour un seul étang ou au niveau de la région (alpha et gamma respectivement) semble être relativement élevée pour l'ensemble des groupes étudiés, bien que l'on ait une situation de masses d'eau riches en nutriments".

Les libellules contribuent le plus fortement à la biodiversité régionale (41%), les amphibiens et macrophytes le moins (16 à 18%). Les auteurs soulignent également : "Certains étangs abritent un grand nombre d'espèces peu fréquentes et quelques espèces en danger, indiquant que la conservation de la biodiversité des étangs piscicoles doit être définie à échelle régionale".

Discussion

Appréciées dans le cadre de la protection des zones humides, les eaux lentes ou stagnantes le sont nettement moins, voire carrément pas du tout dans celui de la restauration de continuité écologique. Ainsi,le même dogme qui frappe les moulins concerne aussi les étangs piscicoles privés installés sur le lit mineur des cours d'eau depuis plusieurs siècles. L'argument souvent mis en avant pour stigmatiser les étangs serait qu'ils nuisent à la libre circulation d'espèces migratrices, ou encore qu'ils créent des conditions d'habitat / de température défavorables à des espèces de poissons rhéophiles ou eurythermes. Nonobstant, les Fédérations de pêcheurs n'ont de cesse d'en acquérir et/ou d'en louer.

Cette approche centrée sur les poissons est cependant réductrice: les hydrosystèmes aménagés de longue date abritent une biodiversité acquise, non seulement celle des groupes étudiés dans l'hydrologie particulière de la Dombes par Alexander Wezel et ses collègues, mais aussi bien des oiseaux ou des mammifères qui profitent des plans d'eau dans leur cycle de vie (voir par exemple le cas des étangs de Marrault classés en ZNIEFF). Par ailleurs, des chercheurs ont récemment mis en avant que les étangs piscicoles peuvent jouer un rôle d'épuration dans les bassins agricoles, notamment pour les pesticides (Gaillard 2016).

Nous découvrons très favorablement l'ère de la biodiversité... contrainte de faire grief à l'écologie sa vision intégriste et manichéenne..

Chaque diagnostic péremptoire de destruction d'étang doit relever d'un dossier d'autorisation loi sur l'eau, d'une étude d'impact robuste comprenant ente autres un inventaire de toutes les espèces inféodées au plan d'eau et d'une analyse des gains projetés dans l'hypothèse où le diagnostic dicté d'avance rêvait d'une "rivière renaturée". L'objectif est de dresser un bilan exhaustif en termes de biodiversité et de ne pas méconnaître les autres fonctionnalités d'un étang dans le cadre d'une "gestion équilibrée" et la ressource en eau.

Référence : Wezel A et al (2014), Biodiversity patterns of nutrient-rich fish ponds and implications for conservation, Limnology, 15, 3, 213–223.

Ilustration (photgraphie) : Dombes, vue aérienne, Didier Halatre, CC BY-SA 3.0

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