Evaluation de la politique de l’eau. Quelles orientations pour faire évoluer la politique de l'eau ?

Le CGEDD vient de publier un rapport sur l’évaluation de la politique de l’eau. Ces orientations ne nous semblent pas à la  mesure du diagnostic : des mesures lacunaires de la qualité de l’eau, un retard massif sur les pollutions diffuses, des menaces de sanctions lourdes de l’Union européenne, un déficit démocratique. Dans le domaine de la continuité écologique, les conclusions et les orientations du rapport sont clairement inacceptables.  

 - L'idée qu'une masse d'eau sur deux est dégradée à cause de la morphologie est reprise de manière acritique dans le rapport. C'est injustifiable pour une évaluation technique : ce ratio sorti de nulle part n'a aucune valeur scientifique. On pourrait le qualifier de "rumeur d'Etat", diffusée de rapports d'ONEMA en plaquettes d'Agences de l'eau. Il faut cesser de jouer ainsi avec la crédibilité du discours public. L'eau a besoin d'une politique fondée sur l’analyse, l’étude, la preuve pour escompter des résultats tangibles. Pas d’actions sans effets proportionnés aux dépenses ni d'idéologie incapable de démontrer ses préjugés.

 - Nulle-part le rapport précise que dans le cadre de la restauration morphologique, en particulier de la continuité écologique, la plupart des problèmes observés sur le terrain vient de la volonté parfois obsessionnelle d'effacement des ouvrages hydrauliques. Les opérations d'aménagement (type passes à poissons, reprofilage d'annexes hydrauliques, etc.) ne sont envisagées qu’avec des devis surévalués et des subventions minorées. C’est une erreur pédagogique qui produit chez le particulier l’inverse de l’effet escompté : un rejet de plus en plus brutal de la politique de l’eau. Pourquoi refuser de nommer clairement, directement, ce qui ne va pas, à savoir une préférence d'Etat pour la destruction pure et simple des ouvrages? Pourquoi ne pas proposer aux élus de commencer par tous les ouvrages publics, où l’Etat est loin de montrer l’exemple ?

 - Il est écrit: "le recul manque encore sur les effets bénéfiques sur l’état des masses d’eau des travaux de renaturation engagés".

C’est un euphémisme ! La vérité est qu'aucune analyse coût-avantage digne de ce nom n'existe sur la continuité écologique. Aucune campagne de suivi systématique et scientifique des effets environnementaux de mesures de restauration n'est organisée à ce jour, sur un nombre représentatif de la diversité des situations hydrologiques. Le problème n'est donc pas le recul, mais la méthode : soit on a un programme scientifique d’étude, puis de suivi (avec analyse des effets), soit on a une approche par tâtonnement. Le recueil des « retours expériences »  de l'ONEMA est du verbiage sans aucune rigueur dans son élaboration (chaque cas est plus ou bien renseigné) et ne permet à ce jour aucune exploitation scientifique sur la mesure exacte des bénéfices dans chaque compartiment DCE. 

 - Il est répété que "des efforts d’explication et de concertation sont à poursuivre pour faire adhérer aux enjeux nouveaux que sont le bon état des eaux et la continuité écologique."

C'est encore un leurre qui ne tient aucun compte des travaux menés en sciences humaines et sociales sur l’adhésion aux opérations de restauration des rivières. Ces travaux ont montré que le refus des populations locales ne procède nullement d'un déficit d'information, mais bel et bien d'un choix motivé, informé, conscient en faveur d'un certain profil de bassin versant ou d’usages de l'eau et du respect du patrimoine. Il n'y a pas de déficit ni dans l’information ni dans la désinformation. Il y a défaillance de démocratie, avec des acteurs directs (moulins, riverains, pêcheurs, sports de loisirs, écologistes de terrain, etc.) qui ne sont absolument pas écoutés.  http://oce2015.wordpress.com/2013/10/23/consultations-antidemocratiques/

 - La rapport propose : "la redevance sur les obstacles pourrait être restructurée: la logique serait de taxer les ouvrages faisant obstacle, c'est-à-dire au minimum ceux supérieurs à 1mètre (hauteur maximale de franchissement pour les poissons très bons nageurs), ce qui rendrait redevables la moitié des propriétaires d’ouvrages ; une première étape pourrait élargir l'assiette à tous les obstacles supérieurs à 2mètres au plan national (multiplication par 7 du nombre de redevables), en visant une adaptation par bassin et par cours d'eau en fonction des enjeux (espèces, classement des cours d'eau) ; l'exonération des ouvrages hydroélectriques devrait être remise en cause, les impacts des ouvrages dépassant la seule question du prélèvement".

La révolte des bonnets rouges en Bretagne résulte pour partie de cette fureur française de tout taxer. On ne comprend pas pourquoi un obstacle acceptant d'être aménagé pour se mettre en conformité (avec un coût pour le maître d'ouvrage) subirait la double peine d'une fiscalité punitive. L'assiette des taxes perçues par les Agences de l'eau inclut déjà la qualité de l'eau. Par ailleurs, imaginer qu'un ouvrage hydraulique « coûterait » à l’environnement n'a de sens que si l’on évalue ce coût (voir point précédent sur l’absence d’ACA) mais si l'on évalue également ce qu'il apporte à la Collectivité en terme de vie sociale, de valeur patrimoniale, touristique, économique (piscicultures, industries…) en valeur d'agrément et de loisirs etc… Des facteurs, comme nous ne cessons de le déplorer, qui ne sont jamais chiffrés dans une décision d’arasement. Cette idée de taxe trahit un dogme, pas une mesure compensatoire légitime.

 - Le rapport écrit : "La conciliation de la politique de l’eau et de la politique énergétique (développement de l’hydroélectricité́) (…) pourrait être complétée par la définition de cours d’eau à fort enjeu énergétique dans lesquels le développement de l’hydroélectricité serait privilégie". Inadmissible. Cette position de "rivières à deux vitesses" n'est pas tenable. Les 60.000 ouvrages hydrauliques en rivière référencés par l'ONEMA (ROE) sont répartis dans tous les bassins versants. Ils représentent ensemble l'équivalent d'une tranche nucléaire. Nous refusons que ce potentiel indispensable à la transition énergétique soit majoritairement sacrifié au profit d'une sélection ad hoc de quelques rivières à « fort enjeux » qu’il faudrait suréquiper. Les enjeux concernent chaque ouvrage capable de produire une électricité locale, propre, décarbonée. C'est-à-dire partout en France. Le potentiel de production d’un site est proportionnel au cours d’eau. Bloquer voire interdire tous les petits projets est un concept profondément anti-écologique, et antidémocratique.

 Evaluation de la politique de l’eau. Quelles orientations pour faire évoluer la politique de l'eau ?    

Anne-Marie Levrault et al., 2013

http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/008843-02_rapport_cle2f5aa1_cle085b85.pdf

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