"Les données sur l'eau ne sont pas assez précises ou pas suffisamment robustes"; le Directeur de l'eau et de la biodiversité reconnait le problème

Laurent Roy, directeur de l'eau et de la biodiversité depuis novembre 2012 au ministère de l’Ecologie, sort de son silence en accordant un entretien au Journal de l’Environnement. Le propos change d’une certaine langue de bois, comme celle choisie depuis deux mois par Elisabeth Dupont-Kerlan, nouvelle directrice de l’Onema.  Mais les propos de Laurent Roy apportent autant de questions que de réponses. Quelques extraits commentaires.

Laurent Roy : "La question posée est la suivante: l’architecture institutionnelle française est-elle capable d’assurer les objectifs imposés par la directive-cadre sur l’eau (DCE)? Qu’il y ait des lacunes par rapport à ce qui devrait être fait, des dysfonctionnements dans la mise en œuvre concrète du SIE et que l’Onema ait failli dans ses missions, personne ne le conteste. Mais notre ambition en la matière est grande et c’est pourquoi la ministre de l’écologie a demandé à la directrice générale de fournir des réponses concrètes".

OCE : certes, l’ambition est grande… mais cette « grande ambition » est affichée depuis la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006 et avant elle, depuis la Directive-cadre sur l’eau (DCE) de 2000. L’ambition ne suffit pas, il faut y mettre les moyens faute de quoi la politique publique de l’eau est bâclée par des mesures précipitées et mal informées.

Par ailleurs, la DCE 2000 impose des objectifs à très court terme : deux-tiers des masses d’eau en bon état d’ici 2015, soit dans 2 ans. La direction de l’eau et de la biodiversité doit changer clairement de cap et respecter la feuille de route de la DCE 2000, en traitant d’abord les causes chimiques et physicochimiques de pollution des cours d’eau. Le volet hydromorphologique (classement des cours d’eau à fin de continuité) sera dans les mois à venir une cause de coûts disproportionnés par rapport au bénéfice environnemental (incertain, voire inconnu) et, de surcroît, un motif probable d’innombrables contentieux.

Cette gabegie de temps et d’argent publics reste incompréhensible alors qu’il y tant à faire pour lutter contre les pollutions directes des masses d’eau.

Laurent Roy : "Alors que la France est en contentieux communautaire sur certains dossiers, ça n’est pas le cas pour la DCE. Et la Commission européenne ne nous reproche rien concernant le rapportage, quand plusieurs pays sont en phase de pré-contentieux".

Ce n’est pas exact. La Commission européenne a publié un rapport en novembre 2012 et s’est montré critique vis-à-vis du rapportage français. Certes, ce n’est pas un précontentieux comme pour la Directive Nitrates de 1991, mais la Commission ne signe pas pour autant un blanc-seing aux données françaises.

Voilà ce que dit notamment la Commission européenne : «Il y a des manques dans la réseau de surveillance des eaux de surface. Tous les éléments de qualité environnementale ne sont pas surveillés dans les programmes de mesure (…) Le statut chimique des eaux de surface a été considéré comme correct pour un peu plus de 53% des masses d'eau, tandis que 23% ne parvenaient pas à ce statut. Le pourcentage élevé (34,1%) de masses d'eau en état chimique inconnu doit être souligné. C'est un problème majeur, car cela entrave le reste du processus de programmation, c'est-à-dire l'établissement des objectifs et la mise au point des mesures appropriées pour améliorer l'état (…) L'analyse des éléments qualitatifs fondant les caractéristiques physico-chimiques et hydromorphologiques n'a généralement été développée que partiellement à ce jour (…) Pour les éléments hydromorphologiques, la continuité de la rivière et les conditions morphologiques n'ont généralement pas été analysés. Dans les premiers programmes par bassin, des standards n'ont pas encore été établis pour les données hydromorphologiques, et l'évaluation a été fondée sur l'information disponible sur les pressions hydromorphologiques».

On voit que les mesures françaises sont loin d’être réputées complètes et fiables. Ce qui laisse planer un risque sérieux d’entrer en pré-contentieux, d’autant que l’actuel « scandale de l’eau » ne passe pas inaperçu à Bruxelles.

Laurent Roy : "Aujourd’hui, l’évaluation de l’état des masses d’eau est beaucoup plus complexe. Et elle porte sur des paramètres dont certains sont peu maîtrisés au plan scientifique. Par exemple, la DCE nous impose de rechercher les diatomées  -qui sont peu connues- ou les macrophytes  -pour lesquels les analyses ne sont pas si généralisées- ou encore des substances toxiques et dangereuses qui font appel à des données peu connues".

Nous prenons acte de la faible maîtrise scientifique. Mais les substances, paramètres ou populations aquatiques à analyser sont connues depuis longtemps.

Laurent Roy : "La DCE ne porte pas sur l’état sanitaire des masses d’eau, mais bien sur leur état environnemental. La recherche de la présence de résidus médicamenteux ne fait donc pas partie des missions du SIE. Cependant, des discussions sont en cours au plan européen pour élargir le spectre des substances dangereuses aux substances médicamenteuses".

Il s’agit là d’une confusion manifeste : Laurent Roy semble considérer que les pollutions médicamenteuses n’ont que des effets sanitaires, alors qu’elles ont bien sûr des effets environnementaux. Les poissons aussi sont sensibles aux perturbateurs endocriniens, par exemple. En effet, la DCE 2000 n’intègre pas ces pollutions qui sont pourtant suspectée d’effets graves sur la faune pisciaire (voir le travail d’Anne Spiteri).

Laurent Roy : "La «photo» des masses d’eau –souterraines et supérieures- est partielle et partiellement floue. Partielle, car nous ne disposons pas de tous les éléments de connaissance. Partiellement floue, car les données ne sont pas assez précises ou pas suffisamment robustes".

Voilà qui est dit clairement. Mais il est inexplicable qu’après un tel aveu sur le manque de connaissance, la direction de l’eau et de la biodiversité persiste à soutenir à bout de bras le classement en cours des rivières.

Du point de vue environnemental, les effacements de seuils et barrages auront des effets sur les charges sédimentaires dont le niveau de pollution est généralement peu connu et, globalement, ils auront des effets probablement négatifs sur la capacité d’autoépuration des rivières (cinétique plus rapide et donc moindre métabolisation des nitrates, qui vont se répandre plus facilement). Le besoin en montaison se justifie éventuellement pour des grands migrateurs, sur des axes prioritaires, mais certainement pas pour la version maximaliste du classement qui a été choisie par le ministère. L’Union européenne regarde l’hydromorphologie comme une condition du « très » bon état écologique, et non simplement du bon état, car elle considère à juste titre que les causes chimiques et physicochimiques de dégradation des cours d’eau doivent être traitées en priorité. Faute de quoi on assure la circulation des polluants.

Du point de vue économique, le coût est très élevé et ne peut être toléré que si l’autorité en charge de l’eau est capable de démontrer un avantage écologique tangible (ce qui suppose des connaissances robustes et non embryonnaires).

Du point de vue juridique, les maîtres d’ouvrage seront fondés à opposer à toute demande d’aménagement cette reconnaissance officielle des incertitudes, en contradiction avec le principe de précaution et le principe d’information qui doivent être au cœur des politiques environnementales.

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