Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau

Les étangs, plans d'eau et petits lacs sont reconnus comme des zones à fort intérêt écologique, en raison de leur biodiversité comme de multiples fonctionnalités (épuration, stockage, pêche, aménités sociales). Asséchés par les besoins en terres agricoles à une certaine époque, ils n'ont jamais été aussi menacés. Une politique dogmatique de continuité écologique  prétend supprimer les ouvrages hydrauliques, leurs retenues d'eau et leurs zones humides associées.  Nous avons étudié les cas d'effacement de plans d'eau dans le recueil d'expérience en hydromorphologie de l'Onema-AFB. Ils illustrent les mauvaises pratiques répandues en France : inventaire des biodiversités floristique et faunistique ignorés ou édulcorés, analyse chimique inexistante, suivi rare et limité le plus souvent à certaines espèces de piscicoles. Encore ces exemples sont-ils supposés être une sélection des meilleurs cas à vulgariser. De telles pratiques ne peuvent plus durer car elles sont déconnectées d'enjeux écologiques que ces destructions sont censées favoriser. Il est ici proposé d'associer systématiquement des inventaires de biodiversité et fonctionnalité à tout chantier pouvant impliquer la perturbation des hydrosystèmes d'intérêt dans le cadre de restaurations morphologiques de cours d'eau. 

A part quelques exceptions, les étangs, plans d'eau et petits lacs d'origine artificielle sont devenus des habitats d'intérêt pour de nombreuses espèces inféodées aux systèmes lentiques et à leurs annexes humides, des contributeurs à la biodiversité gamme régionale ainsi que des réservoirs de biodiversité pour certaines espèces rares (Davies 2008, Biggs 2017). Ces hydrosystèmes jouent également un rôle bénéfique dans l'épuration des masses d'eau (Passy 2012, Gaillard 2016, Cisowska et Hutchins 2016).

Compte-tenu de la valeur écologique de ces habitats et de leurs services écosystémiques, la décision de détruire un étang ou un plan d'eau à fin de continuité écologique ou de restauration morphologique doit donc faire l'objet de précaution particulière. En particulier, il faut s'assurer que le bénéfice attendu sur la station pour certaines espèces représente un gain significatif par rapport à l'état de ces espèces sur le reste du tronçon ou de la masse d'eau. Il faut également diagnostiquer les milieux et les autres espèces que l'on s'apprête à perturber, afin de vérifier si l'opération représente un bilan positif pour la biodiversité.

Ces pratiques sont-elles respectées? Pour le savoir, nous nous sommes référés au Recueil d’expériences sur l’hydromorphologie qui avait été lancé par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (aujourd'hui intégré dans l'Agence française pour la biodiversité), en lien avec les agences de l'eau et le ministère de l'écologie.

Le recueil comporte un chapitre intitulé "La suppression ou dérivation d’étangs sur cours d’eau". Ce chapitre comporte 7 exemples avec des mentions de "suppression" ou "effacement".

Le tableau ci-dessous résume les pratiques rapportées dans le Recueil et les espèces signalées comme d'intérêt.

On observe :

  • dans 1 cas sur 7 seulement un diagnostic élargi (mais non complet) de biodiversité est réalisé,
  • dans aucun cas le bilan chimique amont-aval de l'étang n'est réalisé,
  • dans 3 cas sur 7 aucun diagnostic n'est réalisé avant,
  • dans 3 cas sur 7 aucun suivi n'est réalisé, dans 2 cas sur 7 seuls les poissons sont suivis,
  • les poissons représentent la majorité des espèces signalées comme d'intérêt.

Nous en concluons que :

  • la qualité des opérations décrites est dans l'ensemble médiocre,
  • la biodiversité faune-flore n'est presque jamais prise en compte,
  • le suivi et les centres d'intérêt donnent un poids disproportionné aux poissons (ne représentant que 2% de la biodiversité aquatique),
  • le fait d'avancer ces opérations imprécises et hasardeuses comme des "exemples" est problématique de la part d'administrations en charge de l'eau, de la biodiversité et de l'environnement.

L'administration a récemment proposé une grille paysagère et patrimoniale des ouvrages hydrauliques ( grille analyse ) . 

L'objectif: que les maîtres d'ouvrages et bureaux d'études remplissent cette grille avant d'émettre un diagnostic puis de prendre une décision sur l'avenir d'un ouvrage.

Nous suggérons que, sur le même principe, l'administration rédige une grille d'évaluation exhaustive de la biodiversité et fonctionnalités des hydrosystèmes associés, afin d'éviter que des travaux interviennent sans le diagnostic indispensable du vivant sur site. Une méthodologie simplifiée et normalisée pourrait être conçue, en lien avec les techniques déjà développées pour l'inventaire du patrimoine naturel (ZNIEFF notamment) et les outils de la directive-cadre-européenne sur l'eau.

Cette grille devrait objectiver l'état initial du système étudié dans ses différentes stations et compartiments (amont, retenue, aval, annexes hydrauliques, berges, connexions à la plaine alluviale) ainsi que ses biocénoses. A partir de là, les hypothèses d'aménagement mettraient en correspondance des gains et des pertes attendus, afin d'éclairer la prise de décision.

C'est le rôle que nous attendons de l'AFB (Agence française de la biodiversité) qui reste encore ouvertement -avec ses gènes ONEMA- dans le camp des casseurs d'ouvrages, faisant fi de la biodiversité. L'ONCFS, par exemple, est plus dans ce rôle d'étude du vivant en cherchant à protéger les étangs et leurs riches biotopes. Une cohérence politique, nous la réclamons depuis des années, devient impérieuse. Le discrédit est total quand le seul statut détermine le diagnostic: l'étang privé est stigmatisé alors que les Collectivités territoriales sont dithyrambiques sur les bienfaits des étangs qu'elles acquièrent avec renfort d'études avant et après l'achat par tous les environnementalistes régionaux (DREAL, CEN...). L'exemple de ces deux étangs, pris parmi des dizaines d'autres, illustre les bienfaits des étangs publics: étang de Beaurepaire (79)   Beaurepaire  et l'étang du Louroux (37)  Louroux. 

Nous partageons ces plaidoyers et études en faveur des étangs.... quel que soit leur statut. La biodiversité y gagnera.

Cette étape ajoute bien sûr de la complexité et du délai aux projets. Mais dans le cadre de politiques publiques se donnant pour objectif la qualité de l'eau et la préservation de la biodiversité, il serait incompréhensible de continuer à sacrifier la qualité des interventions sur les bassins versants à une "urgence" en réalité absente des questions morphologiques. Il faut par ailleurs s'habituer à ce que l'écologie correctement prise en compte représente un coût public non négligeable dans le diagnostic des bassins versants et les analyses préparatoires des sites de chantier, ce qui impose du discernement dans la définition des programmes et la solvabilisation de leur financement.

Une note de réflexion sur la nécessité de cette évolution dans les opérations de conservation et restauration des hydrosystèmes est en cours de préparation à l'intention du Conseil national de l'eau. Une note technique et juridique sera par ailleurs formalisée pour les associations, administrations et gestionnaires, afin que, sans attendre, de meilleures pratiques soient enfin observées sur les chantiers.

Illustration : en haut, étang du Griottier-Blanc dans le Morvan. Ce plan d'eau d'origine artificielle et ancienne est gérée par la fédération de pêche 89, avec des déversements de truites pour des parcours de pêche à la mouche fouettée. Il court-circuite un petit rû typique des têtes de bassin morvandelles (rû des Paluds). Malgré ces impacts, la zone présente de nombreuses espèces d'intérêt et est classée en ZNIEFF de type 1. Cet exemple rappelle que les discontinuités ne sont pas toujours négatives pour le vivant et que les opérations de restauration les concernant devraient être menées après des études sérieuses. Nonobstant une ZNIEFF,  la même fédération de pêche a détruit l'étang de Bussière.

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