La continuité écologique: un outil de désaménagement du territoire rural?

Des milliers de moulins en France sont menacés. Ce focus sur le moulin de Crocy illustre les déviances, compromissions, conflit d’intérêts mesquins au service d’un dogme destructeur de moulins au détriment de l’intérêt général. Tout est bon pour spolier les propriétaires après une campagne de désinformation et de menaces en attendant qu’une Fédération de pêcheurs, infudibulum à subventions, puisse acquérir l’ouvrage pour, non pas le "gérer l’entretenir ou l’aménager" comme l’exige la loi, mais pour le détruire ! Une démarche vicieuse mais légale qui prouve que tout est imaginé et que les finances publiques sont disponibles...même pour les coups tordus. C’est au 21ème siècle une provocation indécente de dépenser 500 000€ pour neutraliser un ouvrage qui aurait pu, par son activité, abonder la fiscalité locale, payer de la TVA, générer de l’impôt sur le revenu et surtout, rester un outil de valorisation du territoire rural. Comment peut on se satisfaire d'analyses lacunaires, spécieuses et d'erreurs d'appréciation opposées à l'intérêt général? 

Nous reproduisons ci-dessous un article d'Hydrauxois:

Suite à notre article sur les ravages paysagers et patrimoniaux de la continuité écologique sur la Dives, M. Marcel Coulon, de l'Association pour la sauvegarde de la Dives, nous fait parvenir ce compte-rendu détaillé de la manière dont le moulin de Crocy a vu son système hydraulique plusieurs fois centenaire détruit et son bief asséché. On y rencontre une fortunée Fédération de pêche qui peut se permettre d'acheter un barrage et un bief pour 70 000€ dans le but de les détruire, puis rétrocéder le foncier à l'euro symbolique à une commune dont plusieurs édiles, ô surprise, sont aussi impliqués dans le monde halieutique. Et nos "sauveurs de la rivière" font disparaître sans état d'âme le système hydraulique de l'un des plus importants moulins de la région, tout en proposant pour calmer les riverains d'alimenter le cloaque du bief desséché par une pompe électrique, et de construire un pont en béton dont l'esthétique peut faire débat. Coût: un demi-million d'euros couvert par l'Agence de l'eau Seine-Normandie, connue pour son acharnement dogmatique en faveur des effacements. On a hâte de comparer les indicateurs biologiques avant et après pour comprendre les gains sans doute prodigieux de ce chantier, car les riverains sont pour le moins sceptiques sur le caractère d'intérêt général de telles dépenses d'argent public.

Le Syndicat Mixte du Bassin de la Dives (SMBD) est créé le 1er janvier 2013. Il fonctionne avec son comité de pilotage composé d’élus des communes concernées du Calvados. A peine installé, suivant les préconisations de l’Agence de l’eau, le SMBD lance les études d’arasement de tous les barrages du bassin versant de la Dives.

Crocy est une petite commune rurale de 300 habitants située le long de la Dives, au sud du Calvados à la limite de l’Orne. L’existence d’un important moulin à blé au Hameau des Moulins sur la commune de Crocy est attestée depuis le XVIIe siècle dans des documents aux Archives Départementales. Ce moulin a cessé son activité en 1984. Il était alors composé de :

  • un barrage sur la Dives situé dans le hameau de Vitreseul constitué de 4 vannes métalliques d’un seul tenant en parfait état, installées au début des années 2000. Répartition des débits entre la Dives et le bief estimée respectivement à environ 30 % et 70 %, en moyenne,
  • 50 m plus bas, un petit barrage sur le bief avec 2 vannes du même type et déversoir,
  • le moulin installé au bord du bief à 2 km en aval qui disposait d’une hauteur de chute de 4 m,
  • son équipement : une turbine, 8 cylindres de mouture, une génératrice électrique, etc.,
  • la capacité de production de la minoterie : 80 quintaux par jour, ce qui en faisait un des moulins à blé et orge les plus importants de la région.

Le SMBD commande l’étude de l’arasement du barrage de Crocy / Vitreseul à la société Artelia en 2013. L’ensemble formé par le barrage, son long bief et le moulin appartenaient à la "Société Civile Immobilière (SCI) Le Moulin de Crocy" qui l’a acheté en 1992 à la famille Vauvrecy résidant à Montigny (14). Le SMBD informe cette SCI qu’elle doit mettre ses 2 barrages en conformité avec la réglementation : ils ne sont pas équipés de passes à poissons permettant la libre circulation des poissons migrateurs. De plus, pour assurer le transit des sédiments, le mieux serait l’arasement des barrages. Dans ce cas, les travaux seront pris en charge à 100 % par l’Agence de l’Eau. La SCI répond qu’elle n’est pas intéressée par ces travaux, qu’elle est prête à tout vendre. Son souhait de vendre arrange tout le monde.

La Fédération de pêche du Calvados se porte acquéreur mais uniquement des parcelles constituant le bief. Marché conclu. Mr B., propriétaire-riverain au niveau du barrage de Vitreseul, soutient le projet d’arasement avec vigueur car il n’arrive pas à s’entendre avec la SCI à propos de l’exploitation du vannage.

Les élections municipales de mars 2014 approchent avec une possibilité de changement pour une équipe municipale favorable à l'arasement. On préfère donc attendre le résultat des élections tout en continuant à travailler sur le dossier. Mme Clara Dewaele, jeune et récente résidente à Crocy (depuis 2012), brigue la mairie de Crocy. Sa liste est élue dès le premier tour. Mme B. entre au Conseil Municipal puis est nommée 1ère adjointe.

Cette configuration favorable se prolonge autour de la Société de pêche : un concours de circonstances fait que le Président de la Société de pêche de Crocy souhaite passer la main.  On propose alors le poste à Mr B. qui l’accepte volontiers bien qu’il ne soit pas pêcheur. Il sera nommé Président de la Société de pêche de Crocy en février 2015.  Mme Clara Dewaele, une fois maire, est élue 8ème vice-présidente du Conseil départemental du Calvados en mars 2015. Elle est aussi une membre active de la Société de pêche de Crocy, élue à la commission de contrôle. On compte sur elle. Avec cet ancrage, l’opération peut être lancée, puis les travaux réalisés.

En juin 2014, la Fédération de pêche du Calvados achète le barrage, le bief et son droit d’eau à la "SCI Le Moulin de Crocy" pour 70 000 €. On ignore comment la Fédération a financé cet achat. Quant au moulin qui n'en sera plus un, il sera vendu séparément un an plus tard à un couple de particuliers.

Le rapport d’avant-projet d’Artelia est présenté au Conseil municipal par des techniciens spécialistes des rivières. Le barrage et son vannage seront supprimés, l’entrée du bief sera remblayée. L’eau dans le bief sera maintenue au même niveau qu’avant les travaux par un pompage électrique dans un puits à créer à proximité dans le lit de la rivière. Il est proposé en prime de supprimer les 2 ponts de Vitreseul, l'un sur le bief en bon état et l'autre sur la rivière un peu fatigué, et de les remplacer par un beau pont tout neuf sur la Dives. Coût de l’opération : 500 000€.

Le projet est "discutable mais non négociable" avec le rituel chantage financier:  "ou bien vous l’acceptez tel quel et il est financé à 100 % par l’Agence de l’Eau, ou bien vous le refusez, vous ne bénéficierez d’aucune subvention et le bief sera remblayé". Le Conseil municipal accepte le projet à la demande des riverains du bief qui souhaitent le conserver en eau.

Il y eut aussi une réunion de présentation aux riverains à laquelle n’assistaient aucun des conseillers municipaux à l’exception de Mme Dewaele. Celle-ci n’a pas dit un seul mot pendant toute la réunion ce qui a parait-il, étonné les participants. Selon plusieurs témoignages, les présentateurs auraient surtout brillé par leurs certitudes et leur arrogance.

Dans le rapport général d'Artelia réf. 4-53-1224 de novembre 2013 - page 78, le débit mesuré dans le bief de Crocy est 0,4 % de celui de la Dives en amont. Or d'après plusieurs riverains, beaucoup d'eau coulait dans le bief avant les travaux, on y pêchait des truites. Une personne âgée s’y est même noyée, un soir. Il semblerait donc que la modélisation ait été pipée, en fermant les 2 vannes qui se trouvaient à l'entrée du bief. Cela reste à vérifier dans le rapport spécifique à Crocy auquel nous n'avons pas pu avoir accès.

Les travaux de destruction des ouvrages hydrauliques et de modification du bief sont commandés comme d’habitude à l’entreprise Lafosse, Sannerville (14) qui a le monopole des travaux sur la Dives. Ils sont réalisés tambour battant entre fin 2015 et début 2016. Nous rappelons ici que ces travaux sont payés par des fonds publics.

Aujourd’hui, l'entrée du bief est effectivement remblayée, le niveau d’eau y est maintenu artificiellement par une pompe de relevage de trop faible débit (25 m³/h) et par plusieurs petits barrages en béton répartis sur son parcours. La Municipalité gère le pompage assumant "les coûts inhérents" (sous-entendu l’alimentation électrique). L’eau dans le bief est pratiquement stagnante, elle n’atteint plus le moulin.

Aux dernières nouvelles, la Fédération de Pêche céderait le marigot (ex-bief) à la Municipalité pour 1 € symbolique, charge à celle-ci d’en assurer l’entretien. Elle aurait donc une perte sèche de 70 000 €. La Fédération semble avoir joué ici un rôle de paravent afin de justifier "qu'il s'agit de travaux privés sur des biens privés" (réf. lettre du 03 janvier 2017 signée par la Mairie de Crocy, mais ostensiblement rédigée par le SMBD : même présentation, même police de caractères). La question posée portait sur la responsabilité des élus face à la politique de l’Agence de l’eau.

Les riverains rencontrés sont conscients que l'affaire n'est pas claire. Certains se plaignent du résultat. De plus, ils auraient préféré que les deniers publics soient utilisés pour installer un assainissement tel qu’un tout-à-l’égout. A noter que les propriétaires actuels du moulin auraient été d'accord pour l'équipement d'une micro-centrale hydroélectrique. Mais comme nous l’a dit un conseiller municipal : "Vous arrivez bien trop tard !"

Maintenant plutôt que maintenir un pompage ridicule et contraire aux économies d’énergie, il serait envisageable d'agencer une répartition naturelle des débits entre la Dives et le bief à l’aide de seuils convenablement dimensionnés. Dans son courrier cité plus haut, la Mairie de Crocy nous a écrit que les travaux réalisés "permettent dorénavant de limiter le débordement au droit de deux habitations". Or parmi ces deux habitations, se trouve celle de Mr et Mme B. Surprenant, non ?

La question de fond demeure : l’Agence de l’eau Seine-Normandie s'acharne sur l'arasement des barrages. Les élus vont-ils pouvoir remettre un peu de bon sens dans une analyse multi-critères conforme à ce qu'est l'intérêt général?

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