Le plaidoyer du sénateur Rémy POINTEREAU sur le retour au bon sens ne porte hélas pas plus en Normandie qu'ailleurs

Non seulement, nous ne constatons aucun retour au bon sens dans les décisions publiques concernant la continuité écologique, pire, nous observons que le curseur s’obstine vers les dérives. Cet exemple, parmi de nombreux autres, illustre le choc de complication que nous déplorons depuis 2010.

 

L’histoire

Un syndicat de rivière projette de détruire un petit seuil sur la Vie, cours d’eau du Calvados. Or, cet ouvrage permettait d’alimenter gravitairement un marais en aval. Cet écosystème fonctionnait très bien, avec zéro € de frais pour la Collectivité. Mais la destruction de marais et de zone humide étant lourdement sanctionnée par le Code de l’environnement, le SMBD (Syndicat Mixte du Bassin de la Dives) a imaginé le remède : il faut pomper l’eau pour assurer la pérennité de la zone humide.

Sans une once de bon sens, il diagnostique :

• la construction d’une pompe à vis d’Archimède prenant les eaux dans le ruisseau, afin d’assurer l’alimentation en eau du marais que la suppression du seuil aurait mis à sec,

• et pour produire l’énergie nécessaire au fonctionnement de la vis d’Archimède (qui lui, était pétrit de bon sens), le SMBD prévoit en toute simplicité  la construction d’un hangar à panneaux solaires.

Et l'Agence de l'eau subventionne(1).

 

Le dossier

S’appuyant sur un arrêté préfectoral du 29 octobre 2014 modifié par un arrêté complémentaire du 16 juin 2017 concernant le rétablissement de la continuité écologique sur le cours d’eau « la Vie », le SMBD a obtenu de la commune de Belle Vie en Auge, le 26 septembre 2017 un permis de construire un bâtiment de 26m de long et de 6m de haut, équipé de panneaux solaires, en bordure de la RD101 et de la rivière.
Le but de cette construction est d’installer des panneaux solaires pour fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement d’une vis hydraulique à construire sur la rivière.

Pourquoi une vis hydraulique ?

Parce que l’arrêté préfectoral du 16 juin 2017, modifiant l’arrêté préfectoral du 29 octobre 2014, autorise le démantèlement de la retenue d’eau. Le seuil a été détruit le 26 octobre 2017. Pour tenter de pallier les effets de la destruction de cet ouvrage, le SMBD a prévu un montage pharaonique et couteux, remplissant les mêmes offices que ceux assurés gratuitement par le seuil: faire remonter l’eau.

 

L’environnement ignoré et rappel du Code de l’environnement

1)    étude d’incidence :

Si un dossier « déclaration » (à supposer qu’il existe ?) a été déposé à la DDTM, aucune étude ne semble avoir été réalisée, avant la publication de l’arrêté complémentaire, pour mesurer l’impact environnemental de cette destruction sur les écoulements hydrauliques du bassin de la Dives et ses affluents, et en particulier sur :
– la faune et la flore aquatiques,

- la végétation ligneuse rivulaire,
– les inondations, les étiages,
– la qualité de l’eau,
– la préservation de la ressource équilibrée en eau, le niveau des nappes   phréatiques d’accompagnement,
– l’érosion des berges et la préservation du bâti.

 

2)    le Code de l’environnement :

Il appartient désormais à l’administration de vérifier que la destruction du seuil (inopérant pour l’AP antérieur du 16 juin 2017) et la construction du hangar (PC du 26 septembre 2017) réponde à deux principes :

             -en premier lieu, au principe de non-perte nette de biodiversité, inscrit dans la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 portant                               reconquête de la biodiversité, de la nature, et des paysages.

-en second lieu, au principe de non-régression, inscrit à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement.

Le permis de construire pourrait être entaché d’illégalité ?

 

Le bon sens

Les anciens installaient des béliers hydrauliques, mais pour fonctionner, il faut une chute d’eau. C’était l’époque du bon sens.

Le projet initial autorisé par l’arrêté préfectoral de 2014 prévoyait bien de maintenir la hauteur d’eau de la rivière pour alimenter le marais.

Dès lors, il suffisait de procéder à l’aménagement(2) du seuil comme l’exige l’article L.214-17 CE afin de permettre le franchissement des espèces migratrices.

Ce cas de figure est assez cocasse car il détruit un écoulement gravitaire en le remplaçant par un écoulement par pompage dévoreur d’énergie électrique.

 

L’efficience des dépenses publiques

Le défaut de bon sens plombe surtout les dépenses publiques car ce seuil alimentait naturellement le marais pour un cout de 0 €/an pour la collectivité.

Le remède est donc bien pire que le mal (non étudié) et nous serions curieux de savoir quel est le montant de cette opération financée par le SMBD et subventionnée par l’Agence de l’eau.

Le syndicat sera probablement gestionnaire de ces installations couteuses, ce qui nécessitera probablement le recours à d’autres subventions pour en assurer l’entretien et la maintenance.

 

Le paysage

Il suffit de consulter la carte IGN des alentours pour observer châteaux, manoirs, chapelle…des monuments probablement pour certains classés MH (monuments historiques). Ce hangar coiffé de panneaux solaires peut-il contribuer à améliorer le paysage ?

 

L’empreinte écologique désastreuse des travaux

L’ACB (Analyse coût-bénéfice) est là encore un concept ignoré, ce qui est inadmissible.

Ces travaux ne sont pas durables à bien des égards : une vis d’Archimède aurait une durée de vie de l’ordre de 20 ans maximum( ?), d’après nos informations il convient de changer les roulements tous les 10 ans, d’où viennent les panneaux solaires ? Comment seront-ils recyclés ? Quelle est leur ACV (Analyse du cycle de vie).

Pour résumer et si nous avons bien compris, il s’agit de travaux anti-écologiques en faveur de la continuité écologique ?

Ce type de fonctionnement intellectuel qui s’auto-congratule, qui ne doute à aucun moment de la pertinence du diagnostic, qui ignore outrageusement le fait que l’argent public ne soit pas gratuit, décrédibilise totalement la continuité écologique.


(1) Les ponctions de l’Etat dans les caisses des Agences de l’eau ont provoqué des remous ces derniers temps. Mais il subsiste un tel gaspillage en termes d’études et de destruction d’ouvrages hydrauliques que les consommateurs ne trouvent pas les revendications des élus siégeant aux Agences de l'eau et des salariés, crédibles: ils veulent conserver leurs avantages. La preuve dans cet exemple où l’Agence de l’eau finance probablement les études, les travaux de destruction puis des travaux de reconstruction non durables. Pour maintenir leur train de vie colossal, les Agences de l'eau ont brandi le spectre du changement climatique. Un bel argument circonstanciel.

(2) le Code de l’environnement prévoit que les ouvrages doivent être « géré, entretenu, équipé ». En aucun cas, il ne prévoit leur destruction.

 

Illustration : « il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ». Cette devise ne peut pas être celles des syndicats de rivières... puisqu’elle appartient aux Shadoks.

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