Décret n° 2019-827 du 3 août 2019 modifiant diverses dispositions du code de l'environnement

Continuité écologique apaisée : un décret change tout en août 2019. Aura-t-il le moindre impact sur l'amélioration de la qualité des masses d'eau ?

Paru au JO (Journal officiel) du 6 août 2019 nous nous hasardons à commenter ce décret le même jour. L’administration a mis 2 ans à déconstruire les textes entre le projet de décret de 2017 et sa finalisation publiée aujourd’hui.
En résumé : l’étau se resserre par tous les outils administratifs et légaux.

 

Un principe administratif depuis 13 ans : la loi démocratique, c’est une chose… mais elle doit être contournée

Nous exposons régulièrement les systématiques tentatives de neutralisation de la loi par la DEB (Direction de l’eau et de la biodiversité) depuis 2006. Des circulaires internes, voire note technique non datée non signée du ministère, sans valeur légale, destinées aux services déconcentrés, ont martelé une doctrine orientée faisant fi de la démocratie et des débats parlementaires. Posture tellement dogmatique, univoque, qu’elle a provoqué brutalement le discrédit de l’autorité en charge de l’eau : une régression de 30 ans en termes de regain de confiance que les français commençaient à accorder à leur administration. La rupture est profonde.

 

Une nouvelle cible : la jurisprudence

Si les circulaires tentent de neutraliser la loi, ce décret est bien plus impactant. Dans l’esprit, il bat en brèche une jurisprudence constante.

 

En clair : ce décret circonstanciel prétend effacer le tableau noir, le noircir pour que rien ne puisse plus y être écrit :

-   construction de barrages = non, plus jamais ça et par principe… (nonobstant les besoins actuels en eau dont la continuité écologique n’a cure ; elle ne s’occupe que des sédiments et des espèces piscicoles. Point).

- chaque ouvrage sera susceptible de contrarier "le bon déroulement" des sédiments,
- chaque ouvrage sera susceptible de modifier "substantiellement" l'hydrologie,
-   Liste 1, liste 2, = mêmes prescriptions complémentaires possibles avec un arsenal administratif copieux permettant à s’opposer à tout projet en tous lieux et toutes circonstances. En clair : le décret modifie implicitement les prescriptions sur le classement des cours d’eau au titre de l’art L214-17 CE.  qui n’a plus d’effet réel.

- sur les espèces piscicoles : cet arrêté resserre les mâchoires de l’étau : s’il n’y a plus de poissons dans le cours d’eau, il y aurait au moins quelques espèces "biologiques" appelées administrativement à la rescousse pour infliger des prescriptions aux pétitionnaires. C’est un degré supplémentaire dans la hiérarchie des prétendus besoins piscicoles requalifiés "biologiques". 

 

L’infox administrative     

L’administration introduit l'arbitraire une première fois :

• l’article 214-18 CE dont il est fait référence évoque le "débit minimum".
Rappel : ce débit réservé aux espèces piscicoles est de 10% du module inter-annuel. L'article L 214-18 CE n'évoque pas de "débit biologique".
Méfiez-vous des prétendus "besoins biologiques" indéfinis, jamais justifiés par le service instructeur (la DDT) mais proposés dans les projets d’arrêtés préfectoraux qui exigent au mépris de la loi un débit réservé effectif qui peut être de 20, 30 ou 40% voire 60% au titre de prescriptions particulières: goulotte de dévalaison, débit d'attrait, passe à canoës, passe à poissons....
Rappelons un principe simple : il ne suffit pas d’affirmer, il faut que l'administration prouve les "besoins" allégués au profit des espèces piscicoles cibles.

• il faut s'en tenir au débit réservé de 10% selon l'exigence de l''art L 214-18. Notons qu'avec la baisse tendancielle des débits, c'est plus le changement climatique qui va modifier substantiellement l'hydrologie que les ouvrages hydrauliques.
• des espèces biologiques indéfinies ;

rappelons qu’elles peuvent mesurer quelques microns. Le curseur administratif prétend élargir son spectre de champ d’action pour en imposer toujours plus.

 

 

Sur l’infox se traduisant par des prescriptions complémentaires prétendument technico-innovantes et juridico-branlantes:

-      Tous les ouvrages perturbent par un principe non défini « significativement » la circulation d’espèces qui n’ont aucun besoin avéré de circuler, sans que le curseur administratif de ce qui est « significatif » ne soit définit.

-      Le préjudice « affectant substantiellement l’hydrologie » est un argument univoque : la notion de préjudice est indéfinie et le « substantiel » instaure l’arbitraire total qui peut être opposé à tous les dossiers,

-      Sur le débit réservé : c’est la loi qui relit la loi. Le débit réservé (art L 218-18 CE) n’évoque en aucun cas le nouveau concept dogmatique sans fondement légal du débit biologique.

 

Un pied de nez au Conseil d’Etat et à une jurisprudence constante

-   le décret relit la loi en requalifiant l’appréciation de  « ruine » en ignorant  le fait que l’eau pouvant alimenter le moulin relativise, selon la jurisprudence, l’appréciation infondée de « ruine » d'un barrage pour en profiter pour abroger le droit d’eau à mauvais escient.

-      Il en est de même sur les délais de non-usage de la force motrice de l’eau et notion temporaire très subjective de « non entretien » pour des ouvrages multiséculaires.

 

En résumé, ce décret, bafoue :

-      La prétendue consultation démocratique dont on se sait rien et qui, hormis son sens légal, n’a probablement eu aucun effet,

-      La loi (LEMA 2006)

-      230 ans de droits d’usage de l’eau,

-      et prétend maintenant effacer la jurisprudence.

 

Ce décret illustre l’esprit administratif qui appelait une politique apaisée en 2017 et qui persiste, à la moindre occasion, à prendre des mesures tentant de neutraliser la loi, au mépris des ouvrages hydrauliques et de l'intérêt général.

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