La protection législative du patrimoine hydraulique aura vécu… un mois

La loi "patrimoine" avait légitimement institué en juillet 2016 un principe de protection du patrimoine hydraulique dans le cadre de la gestion durable et équilibrée de l'eau. Un mois plus tard jour pour jour, la loi "biodiversité" supprime cette disposition. La protection du patrimoine hydraulique aura vécu 30 jours en France alors que les parlementaires n’ont pas changé dans l'intervalle… Retour sur la pression des députés de la majorité de la Commission développement durable de l'Assemblée Nationale. Ces joutes politiciennes ne changent pas les problèmes de fond de la continuité écologique, notamment l'intolérable destruction des ouvrages hydrauliques anciens équipant les cours d’eau. Nous espérons qu'une majorité parlementaire un peu moins doctrinaire et versatile se profile pour clarifier les objectifs et engager des évolutions pragmatiques sur la définition d'une gestion équilibrée de la rivière.

 

La loi "patrimoine, architecture et création", publiée le 8 juillet 2016 au Journal officiel, avait créé un nouvel alinéa dans l'article L 211-1 du Code de l'environnement.

Article 101
Le code de l'environnement fut ainsi modifié :
1° L'article L. 211-1 est complété par:
«III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.»

Il s'agissait d'une avancée importante puisque la protection du patrimoine des rivières était reconnue comme un élément structurant de la gestion durable et équilibrée de l'eau.

La loi "biodiversité", publiée au Journal officiel un mois plus tard, a choisi d'abroger purement et simplement l'article à peine créé :

Article 119
Le III de l'article L. 211-1 du même code est abrogé.

C'est une image assez déplorable de la vie parlementaire envoyée au public: les mêmes assemblées élues adoptent un texte en juillet… pour le supprimer en août. La loi serait censée être l'expression patiemment mûrie des axes à mettre en œuvre ? La voilà qui devient un produit jetable comme tout le reste.

Jeux politiciens à la Commission développement durable

Cette abrogation résulte de l'amendement n°458 déposé par Geneviève Gaillard au nom de la Commission développement durable de l'Assemblée nationale (voir notre lettre ouverte à Mme Gaillard qui connaît mal ses dossiers). L'exposé sommaire nous dit: "cette disposition va à l'encontre de la volonté de favoriser la restauration des continuités écologiques exprimée par les députés, volonté  qui s'est traduite par l'adoption en deuxième lecture puis en commission en nouvelle lecture d'un amendement de suppression de l'article 51 undecies A."

Donc si l'on comprend bien et si l'on se contente d'inverser l'ordre de la proposition pour révéler tout son sens, selon ces députés majoritaires de la Commission développement durable, la restauration des continuités écologiques doit aller à l'encontre de la préservation du patrimoine ?
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Un pas en avant, deux pas en arrière

Point de pire lacets que les lacets de la loi mais dans de telles conditions ubuesques où elle change tous les mois, non seulement cela nous laisse un goût amer, mais cela suscite un grand scepticisme sur la loyauté de certaines postures.

La loi sur la biodiversité n’a pas été élaborée qu'à partir du 8 juillet 2016 ?

Le législateur savait donc pertinemment  que son article 101 de la loi « Patrimoine architecture et création » allait passer à la trappe de la loi « Biodiversité » qui était déjà gravée sur les tablettes. Donc… ?

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Comment sortir de cette impasse dogmatique ?

La mise en œuvre actuelle de la continuité écologique a de toute façon besoin d'une réforme profonde, allant au-delà de la nécessaire critique de la destruction effrénée du patrimoine hydraulique.

Cette grosse désillusion doit nous inciter à redoubler de vigilance. Les dossiers d'effacements sont généralement très défaillants sur plusieurs procédures réglementaires obligatoires (voir et surtout utiliser ce vade-mecum).

N'oublions que le premier problème de la mise en œuvre de la continuité écologique, avec son acharnement à détruire des ouvrages très modestes, c'est déjà son incroyable légèreté dans le domaine où elle prétend tirer sa légitimité, à savoir, l'écologie de la rivière. Les diagnostics complets ne sont pas réalisés. On détruit donc sans être capable de démontrer le bénéficie chimique, physique ou biologique de l’amélioration de la qualité des masses d’eau et des milieux.

En outre, les travaux de destruction ne garantissent pas le principe du "zéro perte nette de biodiversité", qui est inscrit dans la loi nouvelle de biodiversité.

Les casseurs du patrimoine gagnent encore dans les coulisses de certaines sphères : une commission parlementaire, dans les Agences de l'eau et quelques autres lieux discrets. Ils ont d’ores et déjà perdu la bataille de l'opinion face aux révélations progressives sur l'absurdité de la continuité écologique dans sa mise en œuvre et ses conséquences socio-économiques.

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Informer les élus

Le travail de sensibilisation des élus doit être poursuivi. Bon nombre d'entre eux reconnaît désormais que la continuité écologique va trop loin, promeut des diagnostics dépourvus de bon sens à des coûts disproportionnés, et surtout, créée un clivage profond entre les acteurs directement concernés et unanimes (riverains, agriculteurs, forestiers, étangs et moulins). Ce discrédit de l’administration dans le domaine précis de l’eau nous semble très préjudiciable dans un contexte général de regain de confiance vis-à-vis de l’administration dans les autres thématiques.

Il faut être lucide et patient : face à l'incroyable machine à décerveler mise en place depuis dix ans par une poignée de cadres de l'administration et par le lobby écologiste, l'opinion parlementaire ne va pas se renverser en peu de temps : ces thématiques revêtent une grande complexité technique et les élus sont vite dépassés car ils n’ont pas, à quelques exceptions près, une expertise approfondie du sujet. Ce qui les rend de bonne foi vulnérables aux exagérations, dissimulations, simplifications et autres biais par lesquels la continuité a tenté de s'imposer. Pour faire évoluer les avis des décideurs, il faut un travail d'information et d'argumentation, mené tant au niveau local qu'au niveau national.

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Epilogue

Quelles que soient les vicissitudes politiques et administratives et leurs effets collatéraux, cette confiscation de la rivière par une minorité aux manettes sans aucune légitimité démocratique n'est pas durable. Elle fait fi de l’intérêt général.

L’espoir se tourne vers les nombreux élus lucides sur la réalité des enjeux, qui pourraient remettre une dose de bon sens et de pragmatisme dans le concept de la continuité dite écologique.

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