Continuité écologique - les communes doivent-elles aussi payer pour leurs ouvrages?

Continuité écologique des cours d'eau

Question orale sans débat n° 1204S de Mme Anne-Catherine Loisier (Côte-d'Or - UDI-UC)

publiée dans le JO Sénat du 16/07/2015 - page 1693

Mme Anne-Catherine Loisier attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les difficultés de mise en application de la continuité écologique des cours d'eau et ses conséquences sur le territoire.
En 2006, la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, introduit le principe de continuité écologique qui émane de la transposition en droit français de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE). Elle renforce le caractère contraignant et la mise en œuvre de la continuité écologique sur le terrain. Elle s'impose sans concertation, dans un contexte budgétaire difficile, à tous les propriétaires d'ouvrages publics et privés, situés sur les cours d'eau classés en liste 2, constituant un obstacle à la continuité écologique.
Les ouvrages faisant l'objet de projet de réhabilitation sont choisis dans le cadre de programmes nationaux, mis en œuvre localement par les syndicats intercommunaux de gestion des cours d'eau, en collaboration avec les agences de bassin qui déterminent les financements.
D'ici à décembre 2017, l'ouvrage devra être géré, entretenu et équipé afin de permettre la circulation des poissons migrateurs et le transport suffisant de sédiments. Dans le cas contraire, l'ouvrage devrait être supprimé.
Il convient toutefois de s'interroger sur les conséquences financières, pour les communes propriétaires d'ouvrages, contraintes de mobiliser des moyens et d'engager des actions souvent lourdes.
En Côte-d'Or, à titre d'exemple, la situation du moulin de Saint-Marc-sur-Seine, de même que les projets d'aménagement des ouvrages de Bézouotte, d'Is-sur-Tille et de Rochefort-sur-Brevon, engendrent de fortes inquiétudes chez les élus locaux.
Il est regrettable que les études de préconisation ne prennent pas en considération les spécificités locales et les usages antérieurs. Entre la solution de l'arasement complet de l'ouvrage et l'obligation d'équipement, coûteuse pour les propriétaires, il existe d'autres options respectueuses de l'intérêt collectif, pour annuler ou réduire à minima les impacts sur la continuité écologique (abaissement de seuil, ouverture de vanne...).
De plus, soumis au respect du débit réservé, reprécisé par la loi sur l'eau de 2006, les propriétaires et gestionnaires d'ouvrages hydrauliques font face à un « empilement » de contraintes réglementaires. Obligatoire depuis le 1er janvier 2014, le respect du débit réservé se traduit par un renforcement de la responsabilité des exploitants. Même si les effets impactent les ouvrages et la vie aquatique - particulièrement en période d'étiage où le débit minimal ne suffit plus pour garantir la sauvegarde des espèces - des contrôles sont effectués par l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), habilité à sanctionner en cas de non respect du débit réservé.
Elle lui demande donc s'il est possible de prendre considération les difficultés vécues par les propriétaires et exploitants d'ouvrages pour aménager, dans la concertation locale, des facilités qui ne condamnent pas systématiquement les petits ouvrages.

 

Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargé des droits des femmes

publiée dans le JO Sénat du 14/10/2015 - page 9468

Mme Anne-Catherine Loisier. Ma question porte sur le principe de continuité écologique, introduit en 2006 par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Huit années se sont écoulées depuis l'adoption de cette loi qui, malheureusement, a donné lieu à une application aveugle et précipitée.

La restauration des continuités écologiques s'impose sur le terrain, sans concertation, dans un contexte budgétaire difficile pour tous les propriétaires d'ouvrages situés sur les cours d'eau classés en liste 2, qu'ils soient publics ou privés.

Certes, la continuité écologique est essentielle à la circulation des poissons migrateurs, au transport de sédiments, mais on ne peut ignorer les conséquences financières qui pèsent aujourd'hui sur les propriétaires de ces ouvrages, contraints de mobiliser de lourds moyens pour les aménager.

Nous assistons ainsi à une destruction du patrimoine des territoires ruraux, sans parler de la perte de potentiel hydroélectrique pour les barrages ou les installations qui contribuent pourtant aux objectifs de transition énergétique !

On délaisse également la fonction de réserve d'eau des biefs pour les usages locaux, et aucune garantie n'est apportée en ce qui concerne les risques pour les personnes, les habitations et les écosystèmes en aval.

Des études scientifiques démontrent pourtant que la continuité écologique n'a, en réalité, qu'un poids très faible sur les obligations de bon état chimique et écologique imposées par la directive-cadre sur l'eau. À l'heure actuelle, on le sait, les rivières souffrent de nombreuses pressions : changement climatique, prélèvements excessifs d'eau, pollutions. Il est réducteur d'imputer toute la responsabilité de ces phénomènes aux moulins, présents pour la plupart depuis plus de deux siècles !

Sans remettre en cause le principe de la continuité écologique, il est nécessaire de s'interroger sur sa réelle efficacité en matière de qualité des milieux. La dépense d'argent public doit aujourd'hui être justifiée par des bénéfices environnementaux avérés.

Entre la solution de l'arasement complet de ces ouvrages ou l'obligation d'équipement, il existe d'autres options respectueuses de l'intérêt collectif pour annuler ou a minima réduire les impacts sur la continuité écologique ; par exemple, l'abaissement de seuil ou l'ouverture de vanne. Le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable en date de 2013 avait d'ailleurs recommandé la gestion concertée des vannages et l'élaboration de grilles multicritères pour servir de base d'évaluation de l'intérêt des ouvrages.

Les propriétaires font face à un empilement de contraintes réglementaires. Les politiques de l'eau ont, elles aussi, besoin d'un choc de simplification !

Ces derniers jours, Mme la ministre de la culture a annoncé devant l'Assemblée nationale la mise en place d'un groupe de travail, conjointement avec les services du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et les parties prenantes pour traiter de la question des moulins à eau. S'agit-il d'un travail de concertation, en vue d'aboutir à plus de pragmatisme dans l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la sénatrice, vous avez interrogé Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Ne pouvant être présente, celle-ci m'a chargée de vous répondre, et je vous prie de bien vouloir l'excuser.

La préservation et la restauration de la continuité écologique des cours d'eau constituent un enjeu important pour le bon état des eaux et pour la préservation de la biodiversité.

En application de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, les cours d'eau classés en liste 1 sont à protéger de tout aménagement supplémentaire ; ceux qui sont classés en liste 2 doivent donner lieu à de véritables programmes de restauration de la continuité écologique centrés sur certains secteurs, afin de respecter les objectifs de bon état des eaux de la directive-cadre sur l'eau et les engagements de la France en matière d'amélioration de la biodiversité.

Parmi les 80 000 obstacles recensés aujourd'hui, tous ne sont pas des seuils d'anciens moulins ! S'il est indéniable que certains moulins sont des éléments importants du patrimoine culturel et paysager qui doivent être préservés, tel n'est pas le cas de tous les ouvrages hydrauliques abandonnés qui obstruent inutilement la continuité de nos cours d'eau.

Ségolène Royal tient à ce que ces choix se fassent à l'issue d'une procédure participative. C'est souvent le cas dès lors que les projets de restauration sont pris en charge par les groupements de collectivités ou élaborés dans le cadre des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau, à l'échelle d'un cours d'eau.

À l'échelon national, des discussions visant à l'élaboration d'une charte sont engagées depuis un an entre le ministère et les représentants des propriétaires de moulins, notamment. Cette charte vise à construire un partenariat entre les différents acteurs, autour des principes fondamentaux d'un compromis entre la restauration de la continuité écologique et la préservation des moulins. Les réflexions sur cette charte ont déjà abouti à la rédaction d'un projet, qui est actuellement en attente d'une validation officielle de la part des différents signataires.

Concernant les ouvrages de Rochefort-sur-Brévon et de Talfumière à Saint-Marc-sur-Seine, ils font l'objet d'études conduites par le syndicat intercommunal des cours d'eau châtillonnais.

Sur le premier, l'étude est au stade préliminaire et concerne trois ouvrages, où la dimension architecturale est prégnante et où les retenues d'eau sont inscrites au titre des monuments historiques. Aucune solution n'a été arrêtée pour le moment, mais la commune et le propriétaire des ouvrages participent au comité de pilotage.

Concernant le moulin de Talfumière, les études privilégient la gestion des vannes de l'ouvrage permettant l'alimentation en eau du moulin, afin d'assurer cet usage.

En ce qui concerne les deux autres moulins que vous mentionnez, les procédures contentieuses ne permettent pas d'avancer sur les projets pour le moment.

Sur l'ouvrage de Bézouotte, le projet initial de rétablissement de la continuité écologique, défendu par le syndicat intercommunal du bassin versant de la Bèze et de l'Albane, le SIBA, privilégiait l'effacement, mais il pourrait évoluer vers un aménagement du fait des risques entraînés par l'abaissement du niveau d'eau sur la stabilité des berges. La commune concernée est associée aux démarches engagées.

Concernant les ouvrages d'Is-sur-Tille, les études sont conduites par le syndicat intercommunal d'aménagement de la Tille, de l'Ignon et de la Venelle, le SITIV. La commune et les propriétaires des ouvrages participent au comité de pilotage. Les études se poursuivent, pour limiter les inconvénients d'une mise hors d'eau du bief où est implanté un parcours de pêche destiné aux jeunes.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse. Effectivement, le dialogue avance sur le terrain.

Permettez-moi de rappeler que ces quelques dossiers suscitent de très nombreuses inquiétudes chez les acteurs locaux, compte tenu des investissements, qui sont très lourds, et du faible accompagnement financier de la part de l'État. La discussion est donc vive.

Aujourd'hui, vous l'avez souligné, un certain nombre de sites présentent un risque de catastrophe réel, reconnu par le préfet lui-même. Je pense à l'ouvrage hydraulique de la Bèze. Un certain nombre de désordres survenus dans des habitations riveraines et liés à la rétraction des argiles inquiètent les élus. Les dernières études réalisées par un cabinet d'experts mettent clairement en évidence que, si le niveau baisse encore, comme c'est prévu, au cours de la procédure d'effacement des ouvrages, le phénomène engagé, quelle que soit son origine, aura tendance à se poursuivre. Et en cas d'effondrement ou de préjudice immobilier pour les propriétaires, qui paiera ?

Il est important que le Gouvernement étudie ce sujet transversal, qui concerne à la fois l'écologie, mais aussi notre patrimoine architectural. Il est essentiel que les décisions prises soient fondées sur les réalités du terrain et fassent l'objet d'un engagement de la part des acteurs locaux, afin que nous pussions réellement avancer vers une meilleure prise en compte de notre environnement.

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